Africolor 99

L'un des plus grands rendez-vous musicaux de l'Afrique sur Seine a pris fin ce week-end par un Noël mandingue surchauffé et des plaisirs multiples pour mélomanes avertis et non-avertis. La 11ème édition du festival de Saint-Denis confirme son succès par les chiffres. Plus de 2500 personnes en trois dates pour une salle du TGP (Théâtre Gérard Philipe) censée n'accueillir que 700 spectateurs par soir.

Bilan positif à tous point de vue

L'un des plus grands rendez-vous musicaux de l'Afrique sur Seine a pris fin ce week-end par un Noël mandingue surchauffé et des plaisirs multiples pour mélomanes avertis et non-avertis. La 11ème édition du festival de Saint-Denis confirme son succès par les chiffres. Plus de 2500 personnes en trois dates pour une salle du TGP (Théâtre Gérard Philipe) censée n'accueillir que 700 spectateurs par soir.

C'est que le festival est un véritable succès. Sur tous les plans d'ailleurs. Sur le plan artistique, la programmation, pointue ou grand public, permet à chaque fois de découvrir de nouvelles têtes, tout en confirmant les talents les plus renommés venants de l'Afrique et de l'océan Indien. Cette année, on peut affirmer, sans avoir à se dédire, que l'affiche valait bien le déplacement. Le 22 décembre, la Corne de l'Afrique s'enflammait en paix, en révélant le talent prometteur de la jeune Faytinga. Ancienne combattante pour la libération de l'Erythrée, elle venait aux côtés de l'Ethiopienne Sèblè et de la Tigréenne Tsèhaytu Bèraki enterrer en musique les haches d'une guerre complexe qui déchire toujours leurs contrées d'origine. Une belle leçon d'amitié possible entre deux cultures cousines que l'histoire fait se confronter les armes à la main depuis des lustres. Un formidable concert à la charge symbolique indiscutable.

Le festival a également été une bonne occasion pour la jeune chanteuse d'Asmara de se frotter à un vrai public. "Elle n'avait jamais chanté pour un autre public que sa propre communauté", raconte Philippe Corath, patron du festival. "Elle a fait des tournées dans le monde. Mais elle a toujours chanté devant les Erythréens en exil. Et la veille d'Africolor, elle a chanté au forum culturel du Blanc-Mesnil. Et là, on s'est aperçu avec elle que l'approche qu'elle avait du concert était une approche encore très folklorique. Elle ne savait pas comment jouer devant un public qui ne la connaissait pas. Donc on en a discuté. On a essayé de lui proposer une autre manière d'aborder le public au concert d'Africolor. En une nuit de réflexion, elle a changé complètement sa manière d'aborder le public. Et je pense que c'était utile… Pour quelqu'un qui l'avait vue la veille, c'était extraordinaire. Et pour elle aussi, c'est-à-dire qu'elle a réussi à toucher un public qui ne comprenait rien à ce qu'elle chantait, parce qu'elle a compris que l'important c'était sa voix. L'important, c'était sa musique, et pas sa danse ou ce qu'elle disait. Et je pense que cette approche-là, on essaie de la mener avec tous les artistes avec qui on travaille". Une mission que revendique fortement le festival, qui, contribue avec d'autres partenaires, au-delà du festival, à construire un espace professionnel de diffusion et de promotion des artistes d'Afrique et de l'océan Indien qui viennent jouer sur la scène du TGP en cette période de l'année. Une manière de prolonger le festival, avec des artistes qui ont un grand besoin de faire connaître leur musique à un public de plus en plus large.

La découverte a eu lieu également les 23 et 24 décembre. Avec le Comorien Soubi, les Malgaches Senge et Tiharea, la jeune chanteuse malienne Ramata Diakité. On aura retenu quelques surprises comme la venue de Soriba Kouyaté, griot sénégalais, virtuose de la kora qui mélange les univers, du jazz aux traditions de l'Afrique de l'Ouest. On aura aussi beaucoup apprécié la prestation du Réunionnais Danyel Waro (photo), un des plus grands chantres du Maloya, qui fut consacré cette année par toute la critique, après la sortie de son dernier album "Foutan Fonkèr" (Mélodie).

Vous résumer les trois dates d'Africolor n'est pas chose évidente en réalité. Il aurait fallu y être pour saisir toute la force d'un tel festival. Certes, on aura également noté quelques petits incidents le soir de Noël. "Le problème, nous dit Philippe Conrath, c'est qu'il y a une jauge dans les théâtres. Donc tout d'un coup le responsable de la sécurité m'a dit 'ben on a dépassé la jauge'. Alors évidemment, il y avait des gens dehors. Mais finalement, et c'est tant mieux, ils ont tous pu entrer. Donc voilà… Le problème, c'est qu'il va falloir élargir les murs. Donc je ne sais pas comment on va faire. C'est la question qu'on se pose". Autrement dit, le festival cette année a connu un bilan plus que positif. Et en fréquentation. Et en qualité.

Un succès sur lequel Philippe Conrath, saint patron de cette grosse affiche annuelle des musiques d'Afrique et de l'océan Indien en région parisienne, s'engage à réfléchir en profondeur durant les mois qui viennent. Il s'engage surtout à ne pas rater l'entrée du troisième millénaire, lors de l'édition 2000, une édition durant laquelle il compte rendre hommage aux plus grands instrumentistes qui animent depuis près de cinquante années les "scènes d'ailleurs" et qui nourrissent régulièrement la programmation de ce festival. Il compte ainsi produire une création qui saluera en particulier les plus grands interprètes maliens du balafon, du n'goni, etc.

"Une espèce de 'symphonie musicale' dédiée à ces grands musiciens. C'est un peu l'angle choisi pour l'année prochaine. On passe d'un millénaire à l'autre, donc on va essayer de se souvenir aussi de ceux qui nous ont amenés à cette musique. Des musiciens qui sont complètement inconnus ici, qui risquent finalement de commencer à être oubliés, même au Mali, parce que souvent ce sont des musiciens qui n'ont enregistré qu'une cassete au mieux et parfois rien du tout". Voilà qui est dit, en ce qui concerne les vœux de l'homme sans qui cet événement ne serait pas ce qu'il est devenu aujourd'hui. A ses côtés, l'équipe d'Accent Aigu, structure coordinatrice de l'ensemble du festival, s'y prépare ardemment. Chacun des membres croise les doigts pour que les bonnes fées (le Ministère de la Culture, le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis, la ville de Saint-Denis en l'occurrence) fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour que la magie continue. Un seul point noir dans l'histoire: le Théâtre Gérard Philipe, ayant traversé une crise financière cette année, ne sera pas co-producteur du festival l'année prochaine. Mais il prêtera le lieu comme d'habitude pour ne pas faillir à cette tradition qui rend ses fins d'année agréables.

Soeuf Elbadawi