Jarre a-t-il déplu aux Pharaons ?

" Les douze rêves du soleil " de Jean-Michel Jarre auraient-ils déplu aux pharaons, fils de Râ, le dieu soleil ? Ce qui est certain, c’est qu’un brouillard impromptu et jamais vu de mémoire de Cairotes s’est abattu sur le plateau de Guizeh au moment du spectacle. Un épais nuage cotonneux que même les puissants projecteurs au laser parvenaient à peine à transpercer. On aurait dit le smog de Londres !

La magie du spectacle gâchée par les éléments

" Les douze rêves du soleil " de Jean-Michel Jarre auraient-ils déplu aux pharaons, fils de Râ, le dieu soleil ? Ce qui est certain, c’est qu’un brouillard impromptu et jamais vu de mémoire de Cairotes s’est abattu sur le plateau de Guizeh au moment du spectacle. Un épais nuage cotonneux que même les puissants projecteurs au laser parvenaient à peine à transpercer. On aurait dit le smog de Londres !

Impossible dans ces conditions d’utiliser les pyramides de Khéops et de Khéphren comme écran géant. Devant ce caprice des éléments, il a fallu modifier la mise en scène et se rabattre sur celle, plus proche, de Mykérinos. Un pyramidion comparé à ses aînés hauts de plus de 130 m ! Ce contretemps privait le compositeur français de ce qui devait être le point d’orgue de son opéra électronique : la dernière merveille du monde antique et symbole du défi lancé au temps par les hommes.

La magie de la lumière réduite au rang de nébuleuse affaiblie, il restait le son pour illustrer le "spectacle pharaonique ". Un amalgame d’ancien et de moderne, d’occidental et d’oriental, de mélopées lancinantes et de rythmes syncopés, d’instruments antiques et de synthétiseurs. Un mélange qui laissait dubitatif ceux qui ne sont pas fans du genre. Des anciennes compositions de Jarre, des extraits de son nouvel album "Métamorphoses " (sortie février 2000) ainsi que des morceaux originaux côtoyaient des chansons des années 40 d’Oum Kalsoum, la plus grande chanteuse égyptienne de tous les temps.
Quand ils ont entendu la voix de leur éternelle diva, les dizaines de milliers de jeunes qui avaient payé 15 dollars pour rester debout dans le froid de la nuit ont hurlé de joie ! Jusque-là, ils ne comprenaient pas vraiment la musique même s’ils étaient impressionnés par le jeu de lumière. Difficile de faire passer à ces jeunes venus faire la fête des concepts comme "le soleil qui rêve du temps, d’éternité, de mémoire, d’espace, de pureté et d’innocence ". Même Natacha Atlas, pourtant d’origine égyptienne, n’avait pas réussi à vraiment chauffer la foule.

Pour leur part, les millions d’Égyptiens qui s’étaient rivé face à la télévision pour admirer "le plus beau spectacle du siècle " comme l’annonçait Christian Bourret, le metteur en scène, ont été plutôt déçus. La régie égyptienne n’a pas vraiment aidé avec des images et un son de faible qualité. Nombreux sont ceux qui ont zappé vers la " Deuxième chaîne " de la télévision égyptienne qui diffusait les festivités dans le monde entier. De quoi relancer la polémique qui a précédé le spectacle de Jarre. Trop cher, disait la presse, les intellectuels et même les députés du gouvernement qui est pourtant le commanditaire du spectacle. Il est vrai que " Les douze rêves du Soleil ", à 57 millions de francs, ont coûté beaucoup plus cher que " Aïda " commandée à Verdi à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez il y a exactement 130 ans. Les critiques étaient aussi d’ordre religieux puisque le spectacle tombait en plein moins sacré de Ramadan.

Une période où les musulmans doivent jeûner et méditer sur la futilité des choses de ce bas monde. D’ailleurs le grand Mufti d’Arabie Saoudite est allé jusqu’à interdire aux musulmans d’organiser une quelconque cérémonie marquant le passage au troisième millénaire "avec les mécréants ". De plus, pour l’écrasante majorité des Égyptiens, l’an 2000 est une fête de " khawaga " (étranger). Les musulmans (+ de 90% des Égyptiens) sont en l’an 1420 de l’hégire et les coptes (+ de 90% des chrétiens d'Égypte) sont en l’an de grâce 1716, leur calendrier commençant en 283, sous l’empereur, avec les premiers martyrs égyptiens.

Le spectacle a toutefois été beaucoup plus apprécié par la haute société cairote, les étrangers et surtout les touristes. Des touristes qui constituent la cible du spectacle. " Les douze rêves du soleil " ont été conçus comme le contrepoint du massacre d’une soixantaine de touristes à Louxor (Haute-Égypte) en novembre 1997. Reste maintenant à voir si l'Égypte connaîtra la manne touristique recherchée ?

Alexandre Buccianti