Maloya gagnant
La musique réunionnaise existe et elle a le feu sacré ! A l'image de la population de l'île, elle affiche un visage pluriel et coloré, empreinte à toutes les cultures, n'est jamais figée. Danyèl Waro, Ziskakan, et l'un de ses fils expatriés, René Lacaille, lui donnent des ailes pour le futur.
Danyèl Waro, Gilbert Pounia et René Lacaille
La musique réunionnaise existe et elle a le feu sacré ! A l'image de la population de l'île, elle affiche un visage pluriel et coloré, empreinte à toutes les cultures, n'est jamais figée. Danyèl Waro, Ziskakan, et l'un de ses fils expatriés, René Lacaille, lui donnent des ailes pour le futur.
Longtemps, on a eu tendance à négliger ce bout de terre isolé, au beau milieu de l'océan Indien. Quand Jamaïque, Antilles et Afrique roulaient tranquillement des mécaniques, la Réunion, elle, restait désespérément absente sur la mappemonde des musiques pour les élans du corps. Pourtant, entre cérémonies rituelles, fêtes de familles ou de quartiers, partout sur l'île, la musique marquait son territoire, irriguait le quotidien. Aujourd'hui, l'oubli est réparé. Le monde désormais sait, grâce à quelques ambassadeurs de haut vol qui jouent sa partition.
Parmi eux, Danyèl Waro, le plus grand chanteur, poète et compositeur de maloya de l'Ile de la Réunion. Né dans une famille de petits planteurs, Danyèl Waro a gardé le goût des choses simples. Arpenter les hauteurs de son île, fabriquer piqueur, rouleur, caïambe et bobre, les percussions qui font tourner le maloya. Il s'est montré longtemps extrêmement méfiant vis à vis de tout ce qui ressemblait de près ou de loin au show-business. Quand les professionnels lui faisaient un appel du pied, il flairait le croc-en-jambe. Peu enclin à fréquenter les studios, il enregistra une cassette Gafourn en 1987, puis plus rien jusqu'au CD Batarsité en 1994 ! Les temps changent. Danyèl Waro n'a rien perdu de son esprit rebelle et farouche, mais il a croisé, dit-il, des gens de confiance, qui lui ont donné l'envie d'exposer plus largement sa musique. Il vient de sortir cette année un nouveau CD (chez Cobalt) enregistré en public à Berlin, Foutan Fonnkér, récemment auréolé d'un Grand Prix de l'Académie Charles-Cros. Après avoir fait un tabac aux Transmusicales de Rennes en Bretagne, il a participé fin décembre à Africolor, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, un des festivals avec lesquels il a développé une belle amitié.
Dans la sève rebelle du maloya, miroir de la bouillonnante culture créole réunionnaise, Gilbert Pounia, leader du groupe Ziskakan, a lui aussi trouvé matière à nourrir son cœur. Groupe pionnier dès 1979, Ziskakan a fait du maloya son cheval de bataille et de la défense de la culture créole son credo. Il crée la surprise chez nombre de néophytes de la musique réunionnaise en 1994 avec son septième album, le premier sur une major (Ziskakan chez Mango). Deux ans plus tard, Soley Glasé prolonge l'effet. Auteur-compositeur et leader du groupe, Gilbert Pounia y effeuille ses émotions en dessinant des climats mosaïques. Réalisé par Phil Delire, dont on avait pu apprécier la griffe aux côtés d'Alain Bashung, Soley Glasé s'achève sur Bato Fou, un titre datant de 1981, l'un des plus grinçants qu'ait écrit Gilbert Pounia : "Ils nous ont donné l'ordre de nous blanchir la peau, d'apprendre le français vite fait pour que les patrons français n'aient pas trop de problèmes... ".
En juillet 1998, alors qu'il venait d'entamer une tournée de six mois qui devait passer par Miami pour le Midem Latino, Ziskakan se disloque. Surprise. D'après les explications de Gilbert Pounia, fournies au journal réunionnais Le Quotidien, l'ambiance était devenue tendue depuis l'arrivée d'une manne de 650.000 F attribuée par les collectivités locales pour le montage de la tournée... Après quelques mois de réflexion, Gilbert Pounia remet le pied à l'étrier. Il réunit une nouvelle formation, entièrement acoustique et entre en studio. Enregistré à la Réunion, mixé à Paris, 4 ti mo (Quatre petits mots), distribué par Discorama, mêle aux instruments du maloya, sitar et tablas indiens et contient un texte dédié au chanteur Kaya, décédé de mort suspecte dans les prisons de l'île Maurice.
Chaque fois que Danyèl Waro se produit en métropole, René Lacaille rapplique illico avec son accordéon. Que voulez-vous, on a beau vivre en France, donc loin de son île natale, on ne se refait pas ! Le maloya, quand on l'a dans le sang, pas question de résister à son appel, surtout quand c'est un vieux copain qui le fait tourner. L'accordéon, René Lacaille s'y est accroché dès l'âge de sept ans. Dans les bals donnés à travers la Réunion, il joue alors avec ses frères des polkas, des valses, des quadrilles créoles. Plus tard, ce sera armé d'une guitare qu'il tracera sa route, à Paris, à Marseille, à la Réunion où il participe à la création du groupe Caméléon, le premier à inventer le maloya électrique. Après "Aster" enregistré en 1996, reflet de toutes les musiques qui lui ont donné du bonheur, rock, jazz, blues et bien sûr, maloya et sega, "l'autre" musique de la Réunion, René Lacaille sort cette année Patanpo (chez Daqui), une bouffée d'air frais, un pacte de vraies retrouvailles avec l'accordéon, chaleureuses et conviviales, comme il doit pour cet amoureux incorrigible de la vie qui pétille.