La jeune scène parisienne
Ils sont inconnus du grand public, peu dragués par les grands médias, mais récoltent un succès d'estime auprès de la presse spécialisée. Une petite réputation qu'ils ont acquise en tournant depuis deux, trois ans, plus pour certains, dans ces petits lieux parisiens qui permettent à Dikès, Arielle, Théophile Minuit ou Clarika de roder un répertoire, d'affronter un vrai public et d'affirmer leur personnalité artistique.
Dikès, Arielle, Théophile et les autres
Ils sont inconnus du grand public, peu dragués par les grands médias, mais récoltent un succès d'estime auprès de la presse spécialisée. Une petite réputation qu'ils ont acquise en tournant depuis deux, trois ans, plus pour certains, dans ces petits lieux parisiens qui permettent à Dikès, Arielle, Théophile Minuit ou Clarika de roder un répertoire, d'affronter un vrai public et d'affirmer leur personnalité artistique.
Il y a du talent chez ce monsieur-là. Ceux qui l'ont entendu pour la première fois au café-concert Ailleurs, petit lieu parisien de la chanson, lui avaient prédit une belle carrière. Dikès en prend assurément le chemin. La scène est sa maison, lorsqu'il se plante là, les yeux fixés vers l'infini, la tête dans les étoiles, et qu'il crache ses chansons de sa voix écorchée. A vous donner le frisson. Avec sa manière bien à lui de rouler les r. Et de crier ses mots qui lui collent à la peau, "Il a bien été à l'école/Mais sans se forcer pour autant/Il a collectionné les colles/Et les zéros sans rien devant ". Les mots de "Mowgli", sa chanson la plus autobiographique, un répertoire taillé presque trop sur mesure par de jeunes auteurs comme Stéphane Cadé ou Florent Vintrignier.
Il a laissé tomber Yahia pour ne garder que Dikès. Né en Algérie, débarqué sans ses parents en Suisse à l'âge de 11 ans, puis la France. Une jeunesse d'errance avant d'intégrer à 22 ans une troupe de théâtre. Il y apprend le français. Sur son chemin cahoteux, il croise une religieuse qui lui donne avec sa première guitare la chance de s'en sortir. S'il commence à chanter du blues avant de trouver sa voie dans des chansons à textes dans une tradition très française, il continue de cultiver le brassage musical dans lequel se côtoient flamenco, musique tsigane et orientale. Et sort son premier album "A vif" (Le rideau rouge/Scalen) Surtout, le jeune homme a beaucoup écouté Brel, qu'il a découvert récemment, visionné certainement, au point d'en imiter les tics.
Dans la salle du Lavoir Moderne parisien, petite salle chaleureuse du quartier de la Goutte d'or, Dikès a confirmé les espoirs. Soutenu par un violon, une contrebasse, un piano et des percussions, il a emmené son public loin, le faisant vibrer avec lui, l'invitant à penser très fort à son dernier rêve en souhaitant qu'il se réalise. Il chante "le Migrateur" et ressemble à cet oiseau, sa flûte de pan au bout de son bras. Puis reprend "Ces gens-là" de Jacques Brel.
Mais continue de travailler comme animateur à la MJC de Créteil.
Pas vraiment la même configuration pour Arielle qui en trois albums se pose en icône de la variété light. La prêtresse post-Barbara comme la présente le quotidien Libération, distille ses apparitions scéniques. Venue présenter sur scène, au Réservoir, son dernier album "Mortelle" (Island) sorti au printemps dernier, Arielle affiche l'air faussement blasé de celle qui n'a plus beaucoup d'illusions sur le métier. Elle grille cigarette sur cigarette et traîne une morgue languissante. Comme cette morna de la Cap-Verdienne Ana Firmino "Je tourne à tous les vents". Pourtant il y a du monde ce soir-là. Des fans de la première heure qui la suivent depuis son premier album auto produit "Juste la force", début 90 qu'elle conçoit avec son ami journaliste Jean-Michel Gravier. Puis c'est la rencontre avec Mathieu Ballet, concepteur du groupe Oui Oui. Avec lui, elle réalise en 1996 "Toute une vie à une".
Une carrière en pointillé pour Arielle Burgelin, montée à Paris de son Ariège natale pour y faire le mannequin, remarquée et photographiée par les plus grands, William Klein et Helmut Newton avant de tâter du microsillon. Jusqu'à cette ultime pochette qui en dit long sur les états d'âme de la dame. Nue, couchée de côté, à moitié enfouie dans la neige. A l'intérieur, des textes qu'elle écrit, ces "Bains brûlants" qui ouvrent l'album, sur Anne Igard, la dernière femme à avoir été pendue en Angleterre pour sorcellerie ou les affres existentielles de "Libera me". Elle retrouve son complice Mathieu Ballet, s'entoure de pointures, Angelo Bruschini, le guitariste de Massive Attack, Bau celui de Cesaria Evora ou le piano de Steve Nieve (Elvis Costello).
Droit derrière son piano noir, Théophile Minuit, commencerait-il à apprivoiser ses fantômes ? A peine trois ans qu'il tourne régulièrement depuis que le Sentier des Halles lui a ouvert sa cave et que le public, composé essentiellement d'éléments féminins, adhère à ses chansons envoûtantes. Avec cette voix de tête qui n'est pas sans rappeler celle d'un Polnareff. Des années pourtant que cet ex-enseignant, puis concepteur publicitaire, est attiré par l'écriture et la composition. Un état plus qu'un métier. A la frontière de la Beauce et du Perche, dans sa campagne, et seulement lorsque la nuit tombe, Théophile Minuit écrit des textes sur l'amour qui ronge. Il y a deux ans, sortait "le Vertige des anges" qui reçoit un accueil critique, confirmé cette année par "Errare humanum" (Mélodie). Qu'explique son auteur ainsi : "Errare humanum exprime aussi bien le caractère humain de l'erreur que le caractère erroné de l'humanité". Même s'il dit ne pas cultiver le mal-être, il a besoin d'un fond sombre pour que la lumière s'en détache. Des chansons théâtrales comme ce "Je vole", chanson optimiste de l'état de mal-être à celui de l'exaltation... Théophile Minuit, un nom d'artiste qui lui va si bien.
Des faux airs à la Lio, de femme-enfant capricieuse, mais des textes qui tiennent la route. Et une présence indiscutable sur scène. Telle est Clarika, ancienne élève du Studio des Variétés, et dont le premier album "J'attendrai pas cent ans" sorti en 1994 chez Boucherie Productions a donné le la. Un bric-à-brac de chansons impertinentes. Que la jeune chanteuse d'origine hongroise, transforme sur scène de manière légère et insouciante. Dommage souvent que le talent scénique ne se répercute pas sur les ventes discographiques. Avec son compagnon-arrangeur le Belge Jean-Jacques Nyssen, elle enregistre pourtant un deuxième album "Ça s'peut pas" dans une major cette fois. Clarika se voit alors couronnée de prix, celui du meilleur jeune auteur aux Francofolies de 1998, reçoit le Prix Félix Leclerc également comme auteur. Tourne sur les scènes du Théâtre de Trévise, du Café de la Danse, de la Cigale, fait une soixantaine de concerts, et part en tournée au Sénégal avec des artistes francophones. Pour la rentrée 2000, Clarika prépare son troisième album, puis sera en résidence-chanson au théâtre d'Ivry.
D'autres enfin comme Wladimir Anselme, lui aussi un habitué du café-concert Ailleurs, sont sur les rangs. A 24 ans, ce jeune auteur-compositeur et interprète est sur les planches depuis sept ans. A 16 ans, il se produisait déjà au théâtre Clavel, avant d'écumer le circuit des petites scènes musicales parisiennes comme le Limonaire, le Tourtour ou le Loup du Faubourg. Les bras collés au corps, timide et intense, Wladimir aime les poètes, fait écho à Prévert ou Jean Guidoni, époque Pierre Philippe. "Mauvaises herbes" son premier album acoustique est de cette graine-là.
On la sent teigneuse, un rien effrontée, Agnès Bihl, sous sa frange blondinette. De sa voix fluette, elle écrit des chansons à l'humour corrosif, sur la religion "L'enceinte vierge", contre les mecs qui la ramènent ou la vie qui va pas. Anne Sylvestre en dit beaucoup de bien. Un disque devrait bientôt voir le jour. Rachel des Bois, autre trublion scénique, elle n'a besoin de personne, remplit les salles, dommage que là encore, les ventes de son dernier album n'aient pas remporté le succès escompté. D'autres encore comme La Baronne ou la Grande Sophie forment cette petite famille d'artistes qui tentent de vivre de leur art, loin de tout cirque médiatique. Mais laissons le temps au temps.
Pascale Hamon
Théophile Minuit sera au Lavoir Moderne parisien du 1er au 6 février 2000.