CHRONIQUES D'ALBUMS
Paris, le 2 mars 2000
Barrio Chino, les Ejectés et le Garage Rigaud
Paris, le 2 mars 2000
BARRIO CHINO
Marseille serait une arrière-cour des miracles dans la France actuelle. C'est une idée qui fait lentement son chemin depuis de très longues années, à cause de cette capacité que la cité phocéenne a d'accueillir le monde entier dans ses bras et de le régurgiter par la suite sous une forme nouvelle qui respire la tolérance et le respect de l'autre, avec toujours en filigrane ces histoires de migrations qui ont ramené le soleil d'Afrique, d'Asie et d'ailleurs sur les trois rives de la Méditerranée. C'est cette image d'une ville aux cultures plurielles, à l'identité pourtant unique, que Barrio Chino raconte dans son dernier album, "Mediterra Nostra".
Une alchimie musicale qui prend le Vieux Port comme point d'ancrage pour sonder la joie de vivre dans le cœur de terriens venus d'ailleurs. Barrio Chino est le nom au départ d'un quartier chinois de Barcelone, quartier chaud d'où est partie l'aventure de la "rumba catalane" (mélange de sonorités cubaines et de flamenco). A la tête de la formation, Gil et Sylvie Aniorte-Paz (chant, guitare, mandole, bouzouki, oud), fils et fille de pieds-noirs espagnols, doux rêveurs d'une patrie sans rejets. A leurs côtés, Alejandro Del Valle au piano (cubain), Antonio Negro également à la guitare (un gitan d'Algérie), Saïd Chaïbi et Riad Bensalem aux bongos, congas, udu et autres percus (Algérie et Tunisie), Pierre Grivollat à la flûte (Martigues), Jérôme Viollet à la batterie, timbales, drums et cajon (Montpellier). Une bande d'illuminés, passionnés par les musiques du voyage.
Soeuf El Badawi
Barrio Chino "Mediterra Nostra" (Meldom Publishing/Scalen international/Hydra Production)
LES EJECTÉS
On a peine à imaginer les méandres dans lesquels les groupes en recherche de signature doivent se perdre, plonger, surnager pour enfin pouvoir sortir la tête de l'eau et, ô récompense suprême, signer dans une grande maison de disque. C'est un peu tout ça pour les Ejectés, qui sortent pour la première fois un album dans une major, quelques dix ans après avoir brandi l'étendard du ragga, et alignant des kyrielles de premières parties, certes prestigieuses, puisqu'ils préparaient le terrain, pour le leur céder ensuite, à Mano Negra, Toots & the Maytals, Rita Marley, etc.
A en juger par l'imposant pachyderme, qui honore la pochette, prêt à tout dévaster sur son passage, l'album "Gangsta Skanka" a mis toutes les chances de son côté pour que le ragga soit porté aux nues. Démonstration avec ce "Bad boy" pour le ragga bien sûr mais pas seulement. Du ska également avec une section de cuivres imposante et un goût appliqué pour les lettres sur ce "Raggacronyme" qui ouvre l'album :"Je suis né au C.H.U./A côté d'une Z.U.P./Je vis en P.C.V./De C.E.S. en T.U.C./D'après la S.O.F.R.E.S./M'explique-t-on chez mon A.S./A la fin de mes droits C.A.F./J'aurais la mention S.D.F." Tantôt groove (les chœurs féminins sont là pour ça), tantôt dub comme sur ce "No coke, no dope" annonciateur de bons comportements, les textes des Ejectés sont joliment tournés. C'est la faute au dénommé Steff Tej, véritable âme et cheville ouvrière du collectif. Une tribu (entre eux les Tèj') qui compte pas moins de neuf membres jusqu'alors confinés dans des autoproductions comme "Glauque city tèj" en 1990 ou "Ragga protest songs" en 1994 avant que le label espagnol Baobab Musica ne réunisse leurs meilleurs titres sur la compilation "Greatest hits".
Pascale Hamon
Ejectés "Gangsta Skanka" (Tôt ou Tard/Wea)
LE GARAGE RIGAUD
Depuis un an, de concert en concert, on entend beaucoup parler, en France, du Garage Rigaud. La rumeur les rapproche des ténors de l'intello-rock à voix comme Les Têtes Raides ou Louise Attaque. Trajectoire d'un groupe pour qui les grands anciens sont Brassens, Franju, Vian, Céline, Led Zeppelin et Starshooter...
Il arrive, les yeux hallucinés, du fond de la salle de concert, en chantant a capella " J'ouvre l'œil de bon matin et déjà toute nue/ Faussement ingénue tu demandes un câlin ". A l'autre bout de la salle retentit la valse chaloupée d'un accordéon. Ce 15 février 2000, le premier concert parisien du petit groupe qui monte, Le Garage Rigaud, vient de commencer à l'Européen, près de la place Clichy. Deux autres concerts bondés suivront.
Le premier album du Garage, est sorti il y a plus d'un an, dans une trop grande discrétion. On y trouve pourtant des réussites incontestables comme " La chasse aux abeilles ", " Une semaine à rien faire " ou " La dérive ". Ces morceaux dressent un univers plus riche que celui où l'on veut enfermer Le Garage Rigaud, avec les meilleures intentions du monde, à savoir le cousinage de groupes intello-populaires comme Les Têtes Raides ou La Tordue - voire les petits génies de Louise Attaque... Si l'on cherche absolument des rapprochements, Le Garage semble plus proche de Jean Guidoni, Kent ou Thomas Fersen, habitués des voies qui commencent en rock et se poursuivent en chanson.
Le Garage Rigaud est né en 1995 de la rencontre, dans une Ecole d'Art de Bruxelles, entre Hervé Rigaud, guitariste rock, ingénieur du son et fils de garagiste poitevin, et Muriel Cravatte, réalisatrice de courts-métrages, accordéoniste et parisienne rive gauche. Première étape : un duo accordéon-deux voix qui reprend Piaf, Fréhel et Jeanne Moreau sur les marchés du Sud de la France. Arrivent alors, sur des compositions originales d'Hervé, les deux instruments qui signent l'univers du Garage Rigaud : les percussions et la clarinette basse. En 1998, Le Garage est au complet pour tenter l'aventure du premier album. Deux ans plus tard, grâce à de nombreux concerts (la Guinguette Pirate, Rennes, Poitiers, les Primeurs de Massy, L'Européen) et à une présence scénique époustouflante, cet album commence à décoller. Juste au moment où Hervé Rigaud et son Garage pensent au prochain : " Nous y réintroduirons le piano et la guitare électrique. Nous aurions du mal à être juste là où l'on nous attend... ".
Jean-Claude Demari
Le garage Rigaud (Mélodie distribution)