Lithium
Paris, le 6 mars 2000 - En un petit peu moins de dix ans d’existence, le label Lithium a mine de rien bouleversé les habitudes musicales françaises. Cette structure anticonformiste et artisanale aura révélé le chant diaphane de Dominique A, les monologues hérissés de larsens de Diabologum et l’aridité paisible de Mendelson. Farouchement allergique à l’étiquette "Nouvelle Chanson Française" à laquelle on a longtemps tenté de l’associer, Lithium se voit avant tout comme un label de rock indépendant. Explications de Vincent Chauvier, l’irréductible grande gueule à la tête de ce grain de sable dans les rouages de la variété.
Ma petite entreprise
Paris, le 6 mars 2000 - En un petit peu moins de dix ans d’existence, le label Lithium a mine de rien bouleversé les habitudes musicales françaises. Cette structure anticonformiste et artisanale aura révélé le chant diaphane de Dominique A, les monologues hérissés de larsens de Diabologum et l’aridité paisible de Mendelson. Farouchement allergique à l’étiquette "Nouvelle Chanson Française" à laquelle on a longtemps tenté de l’associer, Lithium se voit avant tout comme un label de rock indépendant. Explications de Vincent Chauvier, l’irréductible grande gueule à la tête de ce grain de sable dans les rouages de la variété.
Tout a (presque) commencé sur un fameux coup de poker avec "La Fossette", le premier véritable album de Dominique A, après un "Disque Sourd" autoproduit : "L’idée de monter un label me trottait dans la tête depuis 1987, parce que la pauvreté du paysage musical français m’effrayait. Je me disais : ce n'est pas possible, il doit bien y avoir autre chose si on gratte un peu. A l’époque, j’habitais un peu par hasard à Nantes et comme je n’avais pas envie de me retrouver avec une étiquette de label régional, de type qui signe ses copains, la première référence du label fut en 1991 l’album Normless 62-66 des Anglais Greenhouse. J’avais déjà rencontré Dominique et prévu de sortir un disque avec lui. L’album de Greenhouse était un disque très moyennement intéressant mais au moins, les choses étaient claires, le public et les médias savaient que je ne m’interdirais rien question signatures".
Dès le début, le ton est donné : Lithium ne fera jamais rien comme les autres. Tout l’esprit du label est en effet résumé dans "La Fossette". Minimaliste, enregistré dans sa cuisine avec des bouts de ficelle, une guitare et un synthé de poche, ce disque fut en 1992 une petite révolution esthétique dont on n’a pas fini de mesurer toutes les conséquences. Sur un mode assez voisin de celui expérimenté par le rap français, un frêle nantais y prouvait que l’attitude pouvait être la plus redoutable des armes et la simplicité le plus touchant des instruments. Une économie de moyens qui permettait surtout de révéler à travers Dominique A, un auteur aux textes mordants, au timbre gracieux et ensorceleur. Dans la foulée suivront "Si Je Connais Harry" (1993), l’important succès commercial de "La Mémoire Neuve" en 1995 qui fit exploser Dominique A auprès du grand public avec plus de 75 000 exemplaires écoulés et "Remué", un quatrième album austère et minéral sorti en 1999.
Alors que les destinées de Dominique A et de Lithium ont longtemps été liées, Vincent nous annonce aujourd’hui une séparation imminente : "Le prochain album de Dominique ne sortira pas sur Lithium. Economiquement, je n’ai plus trop le choix, je n’ai pas les reins assez solides pour le développer davantage. Ceci dit, il n’y a aucune animosité entre lui et moi, je ne me sens simplement pas encore capable d’aller dans le sens du compromis. Ce n’est pas la partie de ce métier qui me passionne, j’ai toujours préféré partir de zéro, développer des choses à partir de rien. J’ai d’ailleurs retrouvé cette excitation des débuts du label avec l’album de Programme".
Un album encensé par la majorité écrasante des médias qui a révélé en Arnaud Michniak un auteur prometteur mais qui peine encore à trouver son public. Selon Vincent, le problème principal est l’étroitesse du marché français : "Pour un label à la démarche aussi complexe que Lithium, c’est très important de se faire connaître à l’étranger. Les pays où nous avons les meilleurs échos en terme de ventes sont d’ailleurs la Belgique et l’Espagne, des endroits où des personnes passionnées prennent le relais de la promotion. Rock Deluxe, l’équivalent espagnol des Inrockuptibles, a récemment classé Lithium parmi les cinq labels rock les plus importants des années 90 aux côtés de Creation, Too Pure ou K Records".
L'export est d’ailleurs un des axes autour duquel Vincent veut travailler dans les prochaines années : "Il y a des marchés énormes et passionnants comme le Japon ou les Etats-Unis à approcher. J’aurais aimé sortir L’arrière Monde, l’album d’Holden aux USA, c’est un disque qui avait un vrai potentiel là-bas d’après les quelques échos que j’avais. Mais à l’époque, les gens de Virgin travaillaient comme des ânes sur Daft Punk et Cassius et personne ne m’a aidé. Ce genre de trucs te pousse à aller vers plus d’autonomie". Car Lithium est un label totalement indépendant qui ne travaille avec Virgin via Labels que pour la distribution. Je suis d’ailleurs en train de me demander si cela ne présente pas plus d’inconvénients que d’avantages. Je me souviens par exemple de l’affolement de Virgin au Canada lorsque le quatrième album de Dominique A est sorti. Pour eux, Dominique A était rangé dans une petite case à côté de Julien Clerc. Ils n’ont rien compris à la sécheresse de Remué".
Totalement étranger à l’univers de la variété, Vincent est en guerre contre le conservatisme de la législation en matière de création musicale en France : "C’est ce que j’adore chez un type comme Murat même si je trouve que ses choix artistiques ne sont pas forcément au diapason de son discours. C’est le seul artiste ici qui brocarde ouvertement le statut d’intermittent du spectacle, qui a compris qu’à force de couver les musiciens, on va finir par tuer la création. Il suffit de voir le peu de concerts organisés à Paris en comparaison avec Londres ou une grande ville américaine. Monter une tournée coûte aujourd’hui une fortune et à moins d’avoir une multinationale du disque derrière eux, les artistes ne peuvent plus se produire. A terme, c’est la mort des labels indépendants qui menace ce système".
Enflammé, habité, Vincent est aussi un directeur artistique au goût sûr. Il a déniché des talents aussi variés que la compagne de Dominique A, Françoiz Breut, le jeune prodige electro/pop Jérôme Minière, les laconiques Mendelson et leurs peintures de la détresse banlieusarde ou les mystérieux Osl? Telescopic avec leur récente trilogie "Third Degree Burnt". Le prochain disque disponible devrait être au mois d’avril le premier album de Nima Madj, une artiste d’origine iranienne vivant aux Etats-Unis.
Pour l’heure, Vincent voudrait développer son site internet, déjà accessible mais encore en construction. C’est une bonne interface qui devrait contenir à terme des archives, une discographie complète, des vidéos, des inédits et qui permet pour l’instant de se tenir au courant de l’activité du label. Il comprend des liens vers Expériences, un très beau site arty et expérimental, pendant internet du projet de Michel (le deuxième cerveau issu de Diabologum) à sortir chez Lithium fin 2000 ou vers le site touffu de Jérôme Minière.
Nicolas Mollé.