Immortel Ferré
A travers neuf titres inédits, le disque posthume Métamec nous replonge dans la langue flamboyante de Léo Ferré disparu en 1993. Cet opus en forme de livre-disque, à la présentation soignée, lance la série de treize albums à paraître durant l'année 2000, sur la Mémoire et la Mer - maison d'édition de Ferré et désormais label discographique, distribué par Harmonia Mundi.
L'art intégral du poète
A travers neuf titres inédits, le disque posthume Métamec nous replonge dans la langue flamboyante de Léo Ferré disparu en 1993. Cet opus en forme de livre-disque, à la présentation soignée, lance la série de treize albums à paraître durant l'année 2000, sur la Mémoire et la Mer - maison d'édition de Ferré et désormais label discographique, distribué par Harmonia Mundi.
Le grand Léo est revenu. Quand on écoute Metamec, on croirait qu'il est là, juste à côté de nous, en train de chanter en s'accompagnant au piano droit. Metamec (1) n'a rien à voir avec ces disques posthumes truffés de bidouillages technologiques pour soit disant célébrer la mémoire du défunt. Les neuf titres ont été enregistrés à la maison, dans la demeure toscane. Musique et voix sur une seule piste. Son fils Mathieu Ferré, qui a repris en main la maison d'édition fondée par Léo en 1992 (La Mémoire et la Mer), a retrouvé les bandes parmi les nombreux documents légués par son père. Ce dernier, au début des années quatre-vingt-dix, travaillait à un album que la mort, survenue le 14 juillet 1993, ne lui a pas laissé le temps de terminer. "Je n'ai trouvé la trace sonore que de la moitié des dix-huit titres qui devaient y figurer à l'origine, explique Mathieu. Nous ne désespérons pas de faire de nouvelles découvertes. Je mène sans cesse des recherches et je déniche encore des textes inédits".
Les chants perdus du bout d'la terre
Un mixage méticuleux a permis d'améliorer la qualité d'écoute, sans dénaturer l'ambiance originelle des prises. Dans ces neuf titres en chantier (on imagine que Ferré allait peaufiner la voix ou l'accompagnement musical), inachevés donc, on est frappé, et bouleversé, par ce qui fait l'achèvement de l'art ferréen : l'imparable force du verbe, le sens intense de la dramaturgie, la récitation naturelle qui épouse la musique comme un fleuve épouse la terre. Et lorsque le flot s'emporte ou que la voix trébuche, le poète transfigure ce bout de chemin accidenté en voie lactée de la beauté, comme un Miles Davis métamorphosait une note fausse en une harmonie miraculeuse.
Alors, les imperfections techniques, on s'en fout royalement, comme on s'en moquait il y a quarante ans, quand on tombait amoureux d'un disque bien qu'on y entendît du souffle. Ecoutez "Michel", composé en 1971 pour Michel Lancelot. Au cours de son émission "Campus" (sur Europe 1), cet animateur et producteur, qui ne rentrait pas dans le moule à une époque où la radio était polissée, lui avait demandé quelque chose du genre : "Léo, c'est quoi la création ?". Tandis qu'un disque était diffusé sur les ondes, le poète s'installait au piano et, quelques minutes plus tard, revenait en direct pour fredonner : "Ce qu'il ne faut pas dire en fait tu le dis Michel (...)/ Chaque soir à Campus / Avec dans l'œil et dans l'oreille / Les chants perdus du bout d'la terre / Et de Nanterre (...)". Une mélodie simple comme l'amitié berce cette émouvante ode à l'audace.
La colère hérissée à l'hémistiche
Contraste total. A la douceur de "Michel", succède la véhémence du titre éponyme "Métamec", accouché au cours d'une longue nuit. Une construction rigoureuse, une langue flamboyante. Le thème d'abord, de vingt quatrains (soit quatre-vingt vers), puis chacun de ses vers constitue le premier alexandrin des quatre-vingt quatrains suivants (lesquels sont regroupés sous le sous-titre "Variations"). Si d'aucuns ont vu, là, une diarrhée verbale, ceux qui aiment Ferré y retrouveront l'art intégral (intègre) de leur héros. "Ces oiseaux que tu portes en toi depuis septembre / Cette pâleur jalouse où tu mets tes pensées / Ce ventre qui te prend comme un enfant de cendre / Ces souvenirs gâchés qui t'ont pris tes années (...)". Et, sur cette musique que Ferré conçut au départ pour "Le bateau ivre " (album "Ludwig-L'imaginaire-Le bateau ivre", 1981), le premier alexandrin ressurgira à l'horizon de la onzième strophe, pour déboutonner l'imaginaire de la rime: "Ces oiseaux que tu portes en toi depuis septembre / Alors que la forêt d'automne s'ébrouait / S'en va dans la mémoire incrédule des cendres / Et toi tu t'en allais dormir où tu pouvais". Il y a l'allégresse mélodique et la veine gouailleuse rappelant l'époque du chansonnier, dans le morceau "Du coco". A l'instar de ce dernier, "Le vieux marin", qui ouvre le disque sur le ressac de la mélancolie, fut écrit par Ferré pour la pièce "L'Opéra des rats", que Richard Martin créa en 1983 à Marseille. Il y a aussi la métrique détroussée de "La méthode" : le règlement de compte implacable administré à la médiocrité ou encore la colère hérissée à l'hémistiche d'une blessure.
Un CD avec l'ensemble des textes
Avec le concours d'Alain Raemackers (directeur du département non classique d'Harmonia Mundi, label distribuant "Métamec"), Mathieu Ferré a accompli un minutieux travail éditorial. L'album, présenté sous la forme d'un livre-disque (pochette cartonnée, 64 pages), propose la totalité des textes des poèmes (en caractères lisibles) et neuf photos d'André Villers. "Métamec" inaugure une série de treize albums qui paraîtront durant l'année et qu'accompagneront six recueils du rimeur libertaire (Premier volume : "Les noces de Londres", poème lyrique inédit, écrit en 1950 (La Mémoire et la Mer). Illustration de Laurent Zunino. 71 pages. 59 FF. Sortie le 15 mars.).
Fara C.