Cheika Rimitti
La doyenne du raï algérien revient avec un nouvel opus chez Musisoft (Noua). Un événement, lorsqu'on connaît le peu de production discographique qui porte son nom dans les bacs. Jusqu'alors, ce sont les galas et les cassettes vendues en circuit informel qui ont le plus promu la rocaille de sa voix. Avec cet album, elle ne fera en fait que confirmer une destinée originale sur la scène franco-maghrébine.
La diva du raï
La doyenne du raï algérien revient avec un nouvel opus chez Musisoft (Noua). Un événement, lorsqu'on connaît le peu de production discographique qui porte son nom dans les bacs. Jusqu'alors, ce sont les galas et les cassettes vendues en circuit informel qui ont le plus promu la rocaille de sa voix. Avec cet album, elle ne fera en fait que confirmer une destinée originale sur la scène franco-maghrébine.
Car Cheikha Rimitti (de "Remettez-moi ça, patronne...") fait du raï, comme on ferait de la contrebande. Souvent, seuls les initiés connaissent les bonnes adresses. Le "meilleur" de la diva oranaise, excepté deux ou trois disques au charme particulier distribués sous grande enseigne, circule en cassette par des réseaux parallèles, étroitement liés à l'histoire de cette musique. Celle-ci a certes évolué. Elle a pris des couleurs, à coup de claviers et de mélanges aux tons divers et variés. Les portes des médias s'ouvrent de plus en plus, à la suite des Mami et autres Khaled. Le public, de moins en moins maghrébin, en redemande. Et les majors s'en frottent parfois les mains. Seulement, comme toute musique urbaine et populaire qui atteint un jour le succès, le bouquet final ressemble peu au raï trab. des débuts. Exit l'allure paysanne, bâtarde, authentique des premières années. Peu sont ceux qui continuent à respecter cette tendance, dans l'Algérie urbaine.
En France, terre d'accueil de cette musique, jadis menacée par les pouvoirs algériens pour son côté contestataire, les adeptes du vieux son sont parfois obligés, malgré l'intelligence de leur talent, de subir le diktat d'une modernité supposée, tendance appuyée world-pop-raï. Autrement, ils n'évoluent que dans l'ombre des communautés d'origine, ambiance café arabe et fêtes coutumières. C'est un peu le cas de Rimitti. Mais elle ne s'en est jamais vraiment plainte. Son public l'adore. On se l'arrache pour les fêtes de mariages. Et elle a toujours savouré sa vie de bohême, comme elle l'entendait... Mieux encore, son chant rocailleux, que l'on retrouve avec bonheur sur le nouvel album, fascine même les plus jeunes, avec son raï d'un autre âge, joué à coup de gasbas (la flûte en roseau), de guellal (derbouka) et de bendir (tambourin). Ironie du sort : certaines grandes figures de la scène algérienne, qu'elle qualifie pourtant de "pompeurs" (plagiat) sans retenue et qui ne pariaient que sur la baraka des synthés et autres machines jusqu'ici, se sont mises à la revendiquer comme doyenne. Normal ! Même les médias et les professionnels du show-biz politiquement correct se sont mis à la courtiser à leur tour.
Elle, elle en sourit. Elle aime à troquer cet opportunisme à peine déguisé contre le souvenir de ces nuits entières où elle dansait et chantait pour quelques dinars. C'était avant la Seconde Guerre mondiale. Ses textes déjà se distinguaient par leur provocation à l'époque. Mais il faudra attendre "Charak, geta" (déchire, lacère), un titre écrit contre l'hypocrisie qui accompagne le culte de la virginité en pays musulman, pour que son succès national lui ouvre plus tard les bras de la diaspora installée en France. En 1985, lorsque le modern raï explose en Algérie, cela faisait donc plus de quarante ans que Remitti chantait (son premier disque fut d'ailleurs enregistré chez Pathé-Marconi en 1936). Roots, elle était. Roots, elle l'est pour l'éternité. Même lorsqu'elle invite un doigté d'accordéon sur ses compositions. Saïda, titre extrait du nouvel album, l'atteste fortement. Un nouvel album qui la confirme dans son univers situé hors des sentiers battus. Avec une dizaine de titres qui retracent subtilement son parcours musical. Avec des images ramenées de l'autre côté de la Méditerranée par une diva de soixante quinze ans d'âge qui séduit encore par son timbre curieusement "martial". Pas de reniements, le raï trab. scintille de toutes ses couleurs, avec une volée de youyous à la clé. Sur Nouar, arrangé par Mohamed Maghni ou sur Hak hak, qui compte la présence du trompettiste Messaoud Bellamou, la diva reste fidèle à elle-même, à son histoire et à sa destinée. C'est ce qui fait son charme.