LE CD DE LA SEMAINE : DA HOP LA COMPIL
Bourges, le 22 avril 2000 - La compilation préparée de longue date par Boubacar N’Dour pour Jololi, le label créé par son frère Youssou N’Dour, propose une véritable photographie de la scène rap actuelle au Sénégal.
Le rap sénégalais passe à l’offensive
Bourges, le 22 avril 2000 - La compilation préparée de longue date par Boubacar N’Dour pour Jololi, le label créé par son frère Youssou N’Dour, propose une véritable photographie de la scène rap actuelle au Sénégal.
Entre le rap américain et son pendant français, il y avait une place pour le rap africain. Et dans ce domaine, le Sénégal a sans conteste une longueur d’avance sur le reste du continent. Après les précurseurs Positive Black Soul et Daara J, une dizaine d’autres groupes réunis sur Da Hop (Jololi/Delabel) font aujourd’hui preuve de leur maturité artistique. Des mélodies faciles à retenir et de belles harmonies vocales qui viennent soutenir un rap en wolof, en français et en anglais, telle est la recette qu’appliquent Yaaram B, Masta B et PMD, les trois membres de Bideew Bou Bess. Rencontre avec ce trio prometteur, invité au Printemps de Bourges après avoir assuré la première partie du spectacle de Youssou N’Dour lors de sa récente tournée en Allemagne.
RFI : Comment vous êtes vous greffés sur le projet Da Hop ?
PMD : Ça a commencé à Dakar il y a maintenant trois ans. On préparait des choses pour l’Europe, et lorsque le label Jololi nous a contactés pour le projet Da Hop, on s’est dit que c’était nécessaire d’y participer. Da Hop veut dire Dakar Hip Hop, ce sont les sons de Dakar qui viennent représenter le Sénégal en Europe, et ça nous faisait vraiment plaisir d’être sur cette compilation.
Masta B : C’est un coup de pouce. On est à un niveau où on ne peut pas faire ce qu’on veut tout seul. Youssou N’Dour, nous a vus, on n’est pas allé vers lui. Ce n’est pas permis à n’importe qui de travailler avec lui
RFI : Vous savez comment vous avez été repérés ?
PMD : On a commencé a faire du rap il y a neuf ans. Le label Jololi nous a repérés lors du dixième anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop. Il y avait un concours avec une centaine de groupes et on est sorti deuxième au niveau national parce que c’était un concours international, il y avait des artistes de toute l’Afrique. C’est à la suite de cela qu’ils nous ont contacté et qu’ils nous ont produit d’abord une cassette pour le Sénégal.
RFI : Quel est le sens des deux chansons en wolof qui figurent sur Da Hop ?
PMD : On est des ambassadeurs, on délivre des messages. Ndékété Yo est un morceau qui nous tient à cœur et qui dit qu’il faut vraiment réfléchir avant d’agir, au lieu de penser chaque fois « si je savais », comme un regret. On a écrit ça parce qu’on l’a vécu, c’est un morceau réel. De même que “Kaay Xool” qui veut dire "venez regarder". On invite tous les gens à voir la souffrance que nos mamans ont vécue avec neuf mois de galères, on leur doit quelque chose. Ça n’est pas pour rien qu’on doit respecter nos mères, c’est très important.
RFI : Vous inspirez-vous, comme Daara J, d’une forme de rap traditionnel qui existe au Sénégal ?
PMD : Il faut qu’on se ressource parce qu’on est des Africains et il faut mélanger notre culture avec celle de l’Europe, mais on ne se limite pas à l’Afrique. On peut faire un morceau avec des bases hindoues ou japonaises, en fonction de ce qu’on ressent. On a besoin d’originalité, d’avoir notre style à nous. On ne peut pas se cacher derrière le style des autres et chanter ce que nous avons à délivrer. Notre style, c’est 50% de notre rap. Les autres 50%, c’est ce que l’on chante et c’est ce qui fait la différence avec les autres groupes.
RFI : Quand vous avez commencé au début des années 90, quel était le regard des gens sur vous ?
Masta B : Au tout début, c’était difficile. Je me rappelle qu’un jour on est allé jouer dans une école. On portait une tenue à l’africaine parce qu’on a voulu très tôt développer ce concept d’originalité, on a toujours eu ça en tête. Mais les gens ont rigolé, ils ont cru qu’on venait faire du théâtre. En ce temps-là, dans le rap on imitait beaucoup les Américains, on voyait leurs clips à la télé. Nous aussi on avait des idoles américaines mais on s’en était écarté pour ne pas faire comme eux, même si c’était mal vu. Les gens ont fini par comprendre. On s’est battu pour ça et petit à petit un mouvement s’est crée avec les PBS (Positive Black soul) et Daara J qui habitaient en ville alors que nous vivions en banlieue.
RFI : Au début, il a fallu que vous bidouilliez avec ce que vous aviez. A quoi ressemblait ce que vous faisiez ?
Masta B : Á un peu n’importe quoi ! C’était à gauche, à droite. On n’avait pas de matériel. Il fallait trouver des instrus américains pour enregistrer les voix. On allait voir les deejays, on se faisait chasser… C’était la galère mais le combat le plus difficile était de convaincre les parents. Ils n’étaient vraiment pas d’accord pour qu’on fasse du rap. Au début, ils croyaient que c’était une histoire de vacances et qu’avec la rentrée scolaire on allait travailler. Avec le système sénégalais, ça n’était pas non plus évident. Il n’y avait pas beaucoup de moyens mis à la disposition des jeunes, la mairie n’était pas ouverte. On se heurtait à un refus. Avec le Centre Culturel Français, on a commencé à avoir des concerts, ça a évolué. Maintenant, ils comprennent que la musique est une industrie et que ce n’est plus la chose des griots comme avant. C’est une histoire de maturité.
RFI : Est-ce qu’au Sénégal le rap a la même image qu’en France ?
Masta B : Ce n’est pas une histoire de banlieue. Les groupes qui sont au centre ville sont les plus cotés. Pour eux c’est plus facile de se déplacer car tout ce qui se passe à Dakar est en centre ville. Nous, en banlieue, on n’avait pas de manager, il fallait se débrouiller. A chaque fois qu’il y avait un concert, c’était difficile d’apparaître devant les gens. Il y avait des problèmes de transport, on n’avait pas les moyens de venir en ville, pas d’argent et la famille n’était pas d’accord. Les gens de banlieue sont souvent oubliés.
RFI : Y a t'il une compétition entre tous les groupes réunis sur cette compilation ?
Masta B : Non, ce sont tous des potes. Chacun a son propre style mais on fait des choses ensemble comme on l’a fait pour Da Hop. On va représenter le Sénégal ensemble, pas un à un.
Propos recueillis par Bertrand Lavaine
La compilation Da Hop se montre sur scène pour quelques dates en France, dont hier au Printemps de Bourges. Sur scène au Pavillon, avant Saïan Supa Crew, La Brigade et 113, le spectacle peu commun dans le hip hop occidental d'un large éventail de tambours sénégalais servis par un percussionniste énergique, soutenu par des bandes de breakbeats strictement hip hop. Huit rappeurs ont fait le déplacement: Bideew Bou Bess, Boul'n Baï, Xuman et Nabil. Pas traditionnels de danse africaine et scansion hip hop, chants wolof et gestuelle de rappeurs, l'impression est saisissante de nouveauté pour le public français. Et les rappeurs de Dakar prouvent qu'ils maîtrisent aussi la scène.
B. D.