Manu Dibango
Coïncidence ? Le nouvel album de Dibango, de facture résolument afro, paraît au moment même où Big Manu se rabiboche avec son pays natal, après dix années d'une fâcherie que l'on commençait à croire irréversible. Il était tentant de faire le point avec le Grand Rasé, au coeur même de la capitale camerounaise.
Retour au pays
Coïncidence ? Le nouvel album de Dibango, de facture résolument afro, paraît au moment même où Big Manu se rabiboche avec son pays natal, après dix années d'une fâcherie que l'on commençait à croire irréversible. Il était tentant de faire le point avec le Grand Rasé, au coeur même de la capitale camerounaise.
Que s'est-il donc passé pour que tu acceptes de revenir au pays, après avoir juré ne plus y remettre les pieds ?
Il s'est passé que pour la première fois depuis bien longtemps on m'a parlé poliment ! Lorsque, en février dernier, on m'a demandé de revenir, j'ai senti un changement de ton et, au-delà, une évolution des mentalités. Certes, on vient de me faire beaucoup d'honneurs d'un seul coup (ndlr : artiste camerounais du siècle), mais ce n'est pas tant ça qui me fait plaisir. Ce qui compte, c'est que, pour la première fois, j'ai l'impression qu'en haut lieu, on prend la musique au sérieux, avec toute la culture qui est derrière.
Nous autres, saltimbanques, n'avions aucun crédit dans ce pays qui ne jure que par la “diplômite” et le fonctionnariat. Or il semble qu'on ait enfin compris que sport et musique pouvaient être des atouts de développement pour le Cameroun. La victoire en Coupe d'Afrique des Nations a peut-être été un révélateur. Quant à la musique, l'immense vivier du pays était un gisement inexploité… sauf à l'étranger ! Cela a fini par mettre la puce à l'oreille de certains.
D'abord, de la considération. Je suis parti d'un point, et je reviens à ce point. En février, les chefs traditionnels des Douala et des Yabassi, mes deux ethnies d'origine, sont venus à Yaoundé pour l'initiation. Nous avons fait la cérémonie au bord de l'eau, selon la tradition. Pour moi, la boucle était bouclée. Ensuite, j'ai un projet pour ce pays : je voudrais y voir créer une Académie des Arts.
L'intérêt de la musique africaine n'est-il pas, justement, de ne pas être académique ?
C'est une vision d'Européen. Pourquoi ceux qui réussissent (Richard Bona, Princesse Erika, les Nubians) sont à l'étranger ? Parce qu'ils bénéficient de meilleures structures, et notamment pour apprendre la musique. Le talent ne suffit plus. Moi-même, je regrette de ne pas avoir eu assez de temps pour "travailler" mon instrument et mes bases. Mais, très jeune, j'ai dû me mettre sur le marché du travail.
Quant aux musiciens qui sont au pays, et qui sont potentiellement excellents, ils n'ont rien pour apprendre correctement la musique. C'est un peu la même chose pour les danseurs, les plasticiens, les auteurs. D'où cette nécessité de créer une Académie des Arts.
Et tu as reçu des promesses à ce sujet ?
On en est au début. Tu sais, en Afrique, il faut du temps… Mais, cette fois, j'ai l'impression que le message est passé, et j'ai bon espoir. D'autant que je mets aussi à contribution des partenaires français comme l'AFAA et le ministère de la Culture.
Ce serait plus facile si tu devenais ministre…
Non merci. Chacun son truc. Moi, ma vie est faite, et je suis en paix avec moi-même. Comme la tortue, je porte ma maison sur mon dos : un jour à Paris, un jour à Douala, et le lendemain ailleurs.
Et ton panafricanisme, il résiste au temps et aux événements ?
Oui, mais avec réalisme : faisons déjà de la sous-région un succès. Comment veux-tu que, dans un pays aussi divers que le Cameroun, les gens se connaissent… sans routes ? Faisons des routes. Les Bamiléké rencontreront les Béti. Le panafricanisme aura fait un grand pas en avant quand une route carrossable reliera Dakar au Cap. Après, on verra.
Revenons aux musiciens camerounais. On a un peu le sentiment que les bons techniciens sont légion (bassistes, batteurs, guitaristes…), mais qu'aucune personnalité n'arrive à émerger. Il n'y a pas de Youssou N'Dour ou de Koffi Olomidé camerounais.
Il y a quand même Richard Bona, qui a fait une belle percée. Mais c'est vrai qu'il est un peu l'exception et que, à la limite, il est plus apprécié comme bassiste que comme artiste solo. Il manque sans doute quelques leaders en ce moment. Mais, là encore, je pense qu'une Académie des Arts pourrait aider à mieux découvrir les talents. A condition qu'elle travaille aussi bien sur Garoua ou Bafoussam que sur Yaoundé et Douala.
Avec tout ça, on n'a pas eu le temps de parler du nouvel album ?
Bah, autant l'écouter !
MBOA’ SU - Kamer feelin (Jps / Mélodie) 2000