Assassin enragé

Positive underground ou parti pris sans équivoque?

Touche d'espoir (Virgin), le dernier album d'un des groupes les plus engagés du rap français s'engouffre avec lucidité dans la spirale des promesses engendrée par le troisième millénaire. Tous les débuts de siècle méritent leur dose d'espérance en un monde meilleur. Mais le discours du groupe ne change pas pour autant : il demeure radical et sans concession.

Le rap français est-il devenu une musique consensuelle, complètement bouffée par le marché ? Les attitudes, les professions de foi, les guerres de chapelle entre les acteurs du hip hop ne sont-elles que simagrées et faux-semblants régis par la seule loi du business ? Mensonges. Certes, parmi les rebelles d'hier, beaucoup se sont assagis. La plupart d'entre eux se donnent du bon temps dans le show confortable de la bonne variété qui vend. D'autres se laissent happer par les magouilles et les privilèges de seigneurs parvenus. Mais il est vrai aussi que quelques têtes brûlées de la scène underground refusent l'embourgeoisement facile des idées, d'où les notables ambitions du groupe Assassin qui souhaite continuer à "inspirer la droiture, la fidélité aux engagements initiaux" et surtout de "la constance dans le discours et dans les actes".

Difficile de trouver mieux en la matière. Assassin a la devise radicale. Son verbe est lourd de sens. Touche d'espoir, le nouvel album, conjugue lucidité et prise de positions. Sur Sérieux en Affaire, co-produit avec Sullee B. Wax, on entend dire par exemple que chaque CD gravé est une part de vérité". Sur qui ? Sur quoi ? Sur et contre ceux qui veulent corrompre la conscience du rap, qui "devient le moyen de redonner de l'espoir aux gamins". En quoi faisant ? En tenant bon dans sa rage. "On sait pourquoi on est dans le hip hop depuis tant d'années", c'est pour servir de porte-parole à ceux qui n'ont pas de voix, "qu'ils puissent être entendus et respectés" raconte un second titre, Etat Policier, qui fustige les crimes sécuritaires restés impunis. La méthode du groupe Assassin est à la limite du discours pédagogique. Rockin'Squat, le leader, théorise au nom des damnés de la terre, mais pour éviter la tendance démagogique, énumère des faits, nomme la victime et le bourreau, avant d'en appeler à notre conscience. Sur ce titre, on entend ainsi citer des noms de jeunes issus de banlieues françaises, ayant subi une mort sans suite de la part des forces de l'ordre. Pas de fiction, rien que de la réalité.

Sur Esclave 2000, le groupe part en guerre contre les formes actuelles de l'exploitation humaine qui rappellent la triste époque du commerce triangulaire. "On n'oublie pas que beaucoup de fortunes aujourd'hui fort respectables" se sont établies en France grâce au commerce de la honte. "Tu me diras/c'est par le passé/ Mais le passé se répercute/ Et aujourd'hui l'esclave n'est pas qu'enchaîné derrière une hutte". Théorie ? Non ! Démonstration inspirée par l'actualité de ce millénaire naissant. Iqbal Masih, vendu à 4 ans par ses parents, affranchi ensuite, devenu militant, est assassiné à 12 ans. Le rappeur interroge son auditeur : "Tu ne savais pas ça ?" Filles du Bangladesh rachetées par des bordels indo-pakistanais, castes en Mauritanie, esclavage de guerre au Soudan, petites bonnes des ambassades étrangères, justice aveuglée... tout y passe. L'Unicef, l'Unesco, la Fondation de France, Amnesty sont pointés du doigt. Reebok, Nike, Levi's sont accusés de jouer un remake des négriers. "Le salaire annuel cumulé des 6500 employés/ Travaillant pour Nike en Thaïlande et en Corée du Sud/ Equivaut à la moitié de ce que gagnaient les 13 membres/ Du Directoire de la firme, dont j'affirme/ Qu'une paire de chaussures vendue 400 FF/ Peut avoir généré un salaire de 70 centimes seulement/ C'est ouf, non?"

Musicalement, on campe dans le hardcore, tout en ouvrant grandes les portes aux influences, ragga notamment. Sur ce nouvel album, on croise, à côté de l'incontournable Sulle B. Wax, Dj Mehdi, Mounir Belkir, Franck Delour, nigga Neils, Dawan, Oncl'O, Radja... Tous des habitués de l'underground sonore. Côté invités, on compte la présence de Pyroman de Profecy, d'Aro et de Jethro Barre pour la French team. Quant aux amis américains, R.A The Rugged Man est de la partie, ainsi que Supernatural, avec qui Rockin'Squat avait déjà dealé un précédent projet : le fameux "Undaground Connexion".

L'album Touche d'Espoir (Assassin Prod / Delabel) est un cri sans concessions. Son emblème, une panthère qui rugit. Comme quoi, l'espoir n'est pas que pour les imbéciles, à condition d'être formulé autrement.