Higelin sous les baobabs

Mayotte. Ça vous dit quelque chose ? Cette terre française d’Outre-mer à l’ouest de Madagascar. Ce petit bout d’île dont on ne parle jamais. Et bien, sachez que Mayotte est la quatrième étape de la courte tournée que Jacques Higelin promène en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien. Jacques, ange tourmenté, poète lunatique, chante au soleil depuis fin mai. Après Djibouti, le Kenya et les Seychelles et avant Maurice, la Réunion et Madagascar, c’est ici, à Mamoudzou que le 11 juin, notre homme a chanté, joué, parlé et s’est un peu raconté. Et nous y étions.

Paris-Afrique-Océan Indien-Paris

Mayotte. Ça vous dit quelque chose ? Cette terre française d’Outre-mer à l’ouest de Madagascar. Ce petit bout d’île dont on ne parle jamais. Et bien, sachez que Mayotte est la quatrième étape de la courte tournée que Jacques Higelin promène en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien. Jacques, ange tourmenté, poète lunatique, chante au soleil depuis fin mai. Après Djibouti, le Kenya et les Seychelles et avant Maurice, la Réunion et Madagascar, c’est ici, à Mamoudzou que le 11 juin, notre homme a chanté, joué, parlé et s’est un peu raconté. Et nous y étions.

Quand on survole Mayotte juste avant d’atterrir, le spectacle console de la quinzaine d’heures d’avion qui a précédé. Le lagon enferme une vingtaine d’îlots plantés de cocotiers et de baobabs, le tout baignant dans une eau pour le moins limpide. Sûrement un des plus beaux coins de France. Parce que Mayotte est une Collectivité Territoriale depuis décembre 1976, après avoir été une Colonie puis un Territoire d’Outre-Mer. En 75, les Mahorais, les habitants, avaient choisi de rester français alors que l’archipel des Comores dont faisait partie Mayotte proclamait son indépendance. Voilà pour l’Histoire.

A l’atterrissage, la France est donc bien là via le préfet de Mayotte qui accueille une notabilité locale ou quelques légionnaires et gendarmes en mini shorts. Mais lorsque l’on prend le bateau pour passer de la Petite Terre (à peine plus grande que l’aéroport) à la Grande Terre, la France n’est soudain plus qu’une vague structure administrative invisible. Des tissus flamboyants, les lamb, vêtissent les femmes dont le visage est parfois maquillé d’une poudre au bois de santal, des jeunes gens se font le cour en s’échangeant des colliers de fleurs, on parle chimaoré. A quelques kilomètres de là, dans un hôtel bercé par les vagues et les chutes de noix de coco sur le sable noir, Jacques Higelin sirote un cocktail de bienvenue aux côtés de Mahut, son seul musicien sur cette tournée, percussionniste, compagnon musical et surtout ami de… il y a bien longtemps.

"On est vraiment contents qu’un chanteur français passe par là !», me dit le directeur de l’hôtel. «C’est si rare qu’une tournée fasse le détour. Il y a quelques années, on a eu Michel Fugain, Stephan Eicher ou le Trio Esperança. Mais en comparaison de La Réunion où passe du monde, il n’y a presque rien ici. » Il faut dire que la demande n’est pas la même entre les Mahorais et les Muzungu, les blancs de l’île. Il y a quelques semaines, le Sud-Africain Lucky Dube a fait un malheur mais auprès des Mahorais qui ne se bousculent sans doute pas pour Michel Fugain. Non seulement, la culture francophone est peu implantée ici. De plus, selon que la tête d’affiche attire tel ou tel public, le prix des places est doublé ou non. Mais «avoir un artiste de métropole est très cher», me lance Ismaël Kordjee, directeur du Centre d’action culturelle qui a programmé Higelin. «Avec Kassav fin juin, on espère attirer 15.000 personnes. Ça devrait plaire à tous les publics», conclut-il, positif. Mais ce dont Ismaël rêve, c’est que le référendum du mois prochain fasse de l’île un département à part entière afin de multiplier les moyens. Néanmoins, les espoirs sont faibles… En attendant, c’est avec l’aide de l’AFAA, des Alliances françaises et des Centres culturels que ce type de tournée peut exister, le tout organisé cette fois par Yellow Moon, petite structure de production basée à La Réunion et qui se bat pour faire venir des artistes français dans la région.

Au bar de l’hôtel, Higelin donne le soir de son arrivée une conférence de presse, la première de cette tournée. Mais peu de questions. C’est le chanteur qui parle, dit, cause, raconte. Son enfance, ses enfants, l’enfance. Puis le paradis, l’enfer, les femmes, les institutions, la religion. Les mots ne finissent plus. Higelin s’envole et revient. Difficile à suivre, l’oiseau. Et pourtant, le capital de sympathie est total. Higelin est un artiste aimé, très aimé. Le soir du concert, la petite salle en plein air du Centre mahorais d’action culturelle est bien garnie. Près de 1000 billets écoulés. Une réussite. Mais l’essentiel du public est composé de Français, tous employés ici dans l’administration, l’éducation ou la médecine. De tous âges, ils s’entassent dans ce petit espace (environ 1500 places) et les discussions volées de ci, de là, confirment que beaucoup d’entre eux sont des fans de toujours de Jack au Banjo. Après un concert frisquet aux Seychelles, l’équipe semble se réjouir de cette foule fêtarde. A raison.

Si elle ne parvient pas aux oreilles de la Métropole, la musique mahoraise révèle quelques perles dont le jeune M’Toro Chamou, première parte de la soirée. Avec ses petites tresses dressées sur la tête, il chauffe la salle en trois titres seulement. Résident marseillais, son disque semble faire un carton sur sa terre natale. Tous les enfants reprennent énergiquement ses textes. La fête Higelin peut commencer et après une panne de courant générale et un trac qui ne fait qu’empirer, Jacques se lance. « Ce qui vous manque, c’est un vrai poète, un sorcier de France ! » Applaudissements. Le show démarre par quelques titres du dernier album, Paradis Païen, et continue par le meilleur, le répertoire des années 70 : Cigarette, Irradié, Mona Lisa Klaxon (« Elle vivait sur une île entourée de crocodiles et de fantômes »), Irradié, Alertez les bébés, Vague à l’âme. Mais aussi une version très réussie de Paris-New York – Paris où le duo guitare, façon flamenco, et percussions détone, explose, occupe la place. Plaisir encore sur Pars, accordéon bille en tête. Mahut, flegmatique, patient, mystérieux, pendant paisible de son frère de scène, frappe de ses doigts, de ses paumes, de ses mains toutes entières ses instruments, djembé, grosse caisse et autres gongs.

Les chansons ? On les connaît par cœur. On les a chantées 1000 fois. Mais c’est bon. Les innombrables chauve-souris qui volent au-dessus de nos têtes sont à la fête pour Champagne. Ainsi que le chœur d’enfants qui partage l’affiche sur La croisade des enfants, même si le duo ne se souvient plus trop de ce titre, absent de leur répertoire actuel. Enfin, hommage à cette chanson française que Higelin aime tant, cette chanson des années 40, 50, via la Complainte de la butte et en bonus, un clin d’œil à Trenet (« C’était un créateur, il m’a fait planer »).

Mais Higelin chante vite, trop vite peut-être. Le concert ne dure que 2 heures et demi, record de brièveté pour celui qui revendique son besoin de rester au moins 3 heures en scène et qui annonce qu’ " il faut du temps pour s’accorder avec le public". Le public est de toutes façons acquis à son chanteur. Il rit beaucoup. A chaque parole. Aime se faire bousculer, culbuter, terrasser par les élans tendres ou nébuleux de Higelin envers lui ou envers l’équipe technique, parfois interpellée, tout autant apostrophée.

L’auteur de Maman j’ai peur va avoir 60 ans. Il tourne, il swingue, il danse, s’énerve et se réjouis, navigue entre révolte et tranquillité. Semble se chercher toujours et encore. En quête d’une sérénité qui lui échappe. Ici, à Mayotte, l’accueil fut excellent, fervent et hospitalier. Mayotte a conquis Higelin. Demain, il sera à l’Ile Maurice. Nous aussi. Pour continuer à ausculter une tournée, son décor, ses personnages.

Photos : Catherine Pouplain