Tombouctou-Mogador

Pour la troisième année consécutive, Essaouira l'ancienne Mogador, accueille un festival organisant le dialogue entre la musique gnaoui et d'autres sonorités. L'Orchestre National de Barbès, Sibiri Samaké et Ali Farka Touré étaient parmi les artistes conviés à cet échange.

Mariages arrangés à Essaouira

Pour la troisième année consécutive, Essaouira l'ancienne Mogador, accueille un festival organisant le dialogue entre la musique gnaoui et d'autres sonorités. L'Orchestre National de Barbès, Sibiri Samaké et Ali Farka Touré étaient parmi les artistes conviés à cet échange.

«Pour nous, le concert que l'ONB va donner ici, revêt un caractère spécial», déclarent Youcef Boukella, bassiste et pivot du groupe et Aziz Sahmaoui, l'un de ses chanteurs, quelques heures avant de semer leurs joyeuses turbulences. «C'est un peu comme si on venait jouer à la maison. On a tous un intérêt commun pour la musique des Gnaoua. Il y a dix-quinze ans de cela, à Paris, on essayait de la comprendre, de la décrypter.» Comme d'autres styles du Maghreb, ils l'ont intégrée à leur cocktail musical bariolé, dont les vertus énergisantes ont encore prouvé leur pouvoir.

Dans la nuit d'Essaouira, une foule immense a tangué devant la scène où se produisait l'ONB, tête d'affiche du programme cette année, avec Ali Farka Touré. Le bluesman du Sahel, le lendemain allait produire le même effet. C'est l'un des mystères, l'une des chances de ce festival gratuit et populaire : l'engagement total et enthousiaste de son public qui en trois jours (du 8 au 10 juin, les concerts du 11 ont tous été annulés pour cause de deuil national décrété à la suite du décès du président Afez El Assad de Syrie) a dépassé largement le score de l'année dernière (60.000 personnes déclarait André Azoulay, conseiller du roi, natif de la cité et parrain de cette manifestation).

Un public composite où des femmes enveloppées dans un haïk blanc ne laissant deviner que leurs yeux côtoient des filles sexy venues de Casablanca avec leur copain, des ados au look de rappeur, des gosses n'ayant aucune envie d'aller dormir, des mamies curieuses de voir ce qui se trame sur la scène. Dans la lumière des projecteurs, on développe une idée belle et généreuse : la rencontre, le dialogue et l'échange entre musiciens gnaoua et musiciens occidentaux. Les protagonistes de l'affaire se cherchent, se trouvent parfois, se perdent aussi. Ce sont les aléas de l'improvisation dirait un commentateur indulgent. Les musiciens n'ont pas répété ou à peine, le matin même dans la cour d'un ryad, une chambre d'hôtel. Cette année pourtant, on a droit à plus de moments de musique que de happenings sonores sans queue ni tête comme ce fut souvent le cas lors de l'édition précédente. Sans doute l'effet conjugué d'une sonorisation nettement améliorée et d'un directeur artistique sachant être à l'écoute et trouver les meilleurs croisements musicaux possibles?

Musicien gourmand d'aventures sonores dépaysantes (voir son travail actuel au sein du Trio Hadouk avec Steve Shehan et Didier Malherbe), Loy Ehrlich est le co-directeur artistique cette année du festival (la partie gnaoui du programme est confiée à Abdeslam Alikane, lui-même maâlem d'Essaouira, un axe "scientifique" se déroulant par ailleurs sous forme d'un colloque sur les ethnothérapies organisé par Abdelhafid Chlyed, auteur de l'ouvrage Les Gnaoua du Maroc : itinéraires initiatiques - transe et possession / Ed. La Pensée Sauvage). Parmi les rencontres fécondes qui se déroulent au cours de ces trois jours, on retiendra notamment celle du musicien chasseur et guérisseur Sibiri Samaké, dialoguant avec les musiciens Gnaoua par l'intermédiaire de sa harpe douzou ngoni, l'ancêtre du kamale ngoni, l'instrument emblématique de la région du Wassoulou, au sud de Bamako. «Cette expérience a été géniale pour moi» dira-t-il en repartant d'Essaouira, sans le luth guembri que des musiciens gnaoua ont voulu lui offrir. «Il ne faut jamais oublier que les Gnaoua parlent aux esprits, sont des féticheurs, alors mieux vaut être prudent. On ne sait jamais».