Régis Gizavo

Traduit en bon français, Sammy Olombelo le titre du dernier opus de Régis Gizavo, apôtre malgache du chromatique à 120 basses, signifie que nous sommes tous des êtres humains. Ni euphémisme exagéré, ni radotage sénile, il s'agit juste d'un rappel nécessaire. Car les vérités les plus simples sont souvent les plus ignorées. L'ancien lauréat du concours Découverte RFI 90, pêcheur autodidacte, devenu maître au "piano du pauvre", après avoir hanté les bals dans sa prime adolescence, accompagne aujourd'hui plusieurs pointures de la scène internationale de par le monde. On se l'arrache.

Question d'humanisme…

Traduit en bon français, Sammy Olombelo le titre du dernier opus de Régis Gizavo, apôtre malgache du chromatique à 120 basses, signifie que nous sommes tous des êtres humains. Ni euphémisme exagéré, ni radotage sénile, il s'agit juste d'un rappel nécessaire. Car les vérités les plus simples sont souvent les plus ignorées. L'ancien lauréat du concours Découverte RFI 90, pêcheur autodidacte, devenu maître au "piano du pauvre", après avoir hanté les bals dans sa prime adolescence, accompagne aujourd'hui plusieurs pointures de la scène internationale de par le monde. On se l'arrache.

Parmi ceux qui font appel habituellement à son doigté, les Corses du groupe I Muvrini, dont le leader, Jean-François Bernardini, est venu lui prêter main-forte sur un morceau de sa nouvelle galette discographique. L'ensemble détonne à la fois par son aspect très ancré dans le patrimoine malgache et par son éclectisme très world music. Mélodies aérées, textes engagés ou simplement lucides : Régis s'amuse au cannibalisme du son sur certaines chansons, en allant chasser du côté cajun ou encore sur les terres voisines de l'Afrique du Sud. Simple affaire de goût et d'influences. L'homme reste authentique dans son discours, à l'image de sa musique. Nous lui avons posé quelques questions lors de son dernier passage au festival d'Angoulême.

RFI Musique : La pointe d'humanisme contenue dans le titre...
Régis Gizavo : Ce n'est pas prétentieux en tous cas... Les gens ont tendance à oublier ce qu'ils sont, à cause du travail qui les absorbe tout le temps. Il suffirait d'un sourire de temps en temps dans la rue ou dans le métro pour faire oublier les soucis d'une journée ! Je sais que c'est un détail. Mais il est essentiel pour moi. Et j'avais besoin de l'exprimer.

Et musicalement ?
Cet album fait suite au précédent, sur tous les plans. C'est mon évolution depuis Mikea. C'est vrai que j'avais uniquement travaillé en duo sur ce dernier. Alors qu'avec Sammy Olombelo, il y a deux musiciens en plus. Un bassiste et un guitariste. Sur l'album, il y a des compositions écrites pour être jouées à quatre. Mais il y a quand même des morceaux interprétés en duo avec David Mirandon, mon percussionniste. Il y a aussi des morceaux que je chante seul. J'ai également joué un petit peu de guitare sur certains titres. Donc il y a un peu plus d'ouverture. Mais ça reste toujours malgache... dans l'esprit.

Vous passez pour être l'un des apôtres du piano du pauvre sur Madagascar. Un instrument pratiquement menacé d'extinction sur l'île aujourd'hui...
C'est vrai que le pays est pauvre et l'instrument devient un luxe. Il est de plus en plus cher. Pour avoir un accordéon diatonique, il faut compter dans les 10.000 FF (10.000.000 de francs malgaches). Les musiciens ont du mal à s'en procurer, à acheter de nouveaux accordéons. C'est pour ça qu'il risque de disparaître du répertoire. Mais les accordéonistes, eux, sont là ! Ils attendent que la situation s'améliore pour s'équiper. C'est pour ça qu'avec des amis, on tente d'ici de faire quelque chose contre ce problème, en achetant des accordéons, même d'occasions, pour les envoyer à ceux qui en ont besoin là-bas. Pour que les jeunes puissent continuer cette tradition.

A quelle époque remonte la pratique de l'accordéon à Mada ?
Il est arrivé là-bas vers 1800. C'était uniquement des accordéons diatoniques. Partout, il était présent, dans les petits villages du Nord au Sud, à l'Est ou à l'Ouest ! Et c'est vrai que c'est un instrument européen au départ. Mais les Malgaches ont su l'adapter à la culture traditionnelle. Ça a donné un autre son, un autre style, une autre façon de jouer. Une originalité propre à l'île, qui ne correspond à rien d'autre ailleurs. J'en suis fier. C'est une tradition qui a marqué toute mon enfance. J'ai encore la mémoire des sons joués par les accordéonistes dans les petits villages. Pour moi, c'était des grands ! Parce qu'ils ont su réinventer leur musique... avec un instrument. Certains trafiquaient même les lames de l'accordéon pour mieux le travailler. Ils n'étaient pas fabricants de l'instrument, mais ils savaient le détourner pour en faire autre chose. Ça ne détonnait pas et ça a permis de créer un son véritablement malgache, harmonieux et surprenant. Je leur rends hommage à chaque fois que c'est possible. C'est grâce à eux que j'ai eu envie d'en jouer.

Vous auriez pu exceller sur votre instrument sans avoir besoin de recourir à des pratiques vocales ? Frustration d'instrumentiste ? Besoin d'accompagner la musique par un discours plus compréhensible ?
Vous savez... l'accordéon est un instrument très complet, notamment parce qu'il y a les deux mains. J'utilise la main gauche comme une basse et la main droite comme accompagnement. Mais j'ai aussi une culture vocale. Chez moi, tout le monde ou presque chante, dans la rue, dans les fêtes, et je suis né dans cette tradition populaire… Donc j'ai voulu associer cet instrument fabuleux avec ma voix, composer des chansons pour surtout relater ce qui se passe dans mon pays ! Et véhiculer... non pas des messages, mais la réalité. La partager avec d'autres. L'association de ma voix, de mes mains, avec mon instrument me permet d'atteindre une certaine harmonie dans ce que je dis. C'est très important. C'est vrai qu'il y a des instrumentistes qui se contentent de leur instrument. Ils poussent leur jeu plus loin, approfondissent l'aspect technique. Tant mieux. Mais moi, j'aime bien partager ma vision des choses, parler de mon pays et de la vie. Pour cela, j'ai besoin de chanter, en plus de jouer de l'accordéon. C'est une question d'harmonie avec soi-même.

Vous vous sentez une âme de messager ?
Dans le monde où nous vivons, tout le monde est engagé. Je pense que naturellement, nous tous, nous sommes engagés. Parce que... tout le monde a quelque chose à dire. Quand on a l'opportunité de chanter devant les gens, c'est dommage de ne pas en profiter. La scène est un moyen de véhiculer des messages positifs. On ne joue pas que pour le plaisir. Moi, quand je chante mes textes, je ne peux pas faire autrement que ça. Parce que je vis dans la réalité, il faut que j'en parle. Je compose des chansons qui disent ce qui se passe autour de moi chaque jour. Vous savez... Parfois, je suis surpris, parce que je n'arrive pas à faire un texte d'amour... Simplement parce qu'il y a des choses peut-être plus importantes à dire à la place.

Sur vos deux albums trônent deux titres, composés selon un rythme typique de la communauté masikoro : le renitra. De véritables merveilles, qui ne paraissent pas évidentes à interpréter ?
C'est un rythme du sud-est de Madagascar, joué par les accordéonistes traditionnels. Quand j'étais tout petit, que je passais mes vacances, je voyais des musiciens le jouer avec beaucoup d'adresse. Ils me fascinaient, parce c'était tellement rythmé et mélodique en même temps, que ça me paraissait impossible à jouer. Ça donne une pêche d'enfer. Au pays, c'est la transe. Quand il y a des possédés, on appelle un accordéoniste pour débloquer la situation, pour que la personne puisse être heureuse à nouveau. Et l'accordéoniste joue le renitra pour calmer les esprits capricieux. Ça m'a beaucoup interpellé. Et quand j'ai commencé à maîtriser un peu l'accordéon, je me suis dit qu'il fallait que j'arrive à jouer ce rythme. Eux, ils le jouaient avec un accordéon diatonique, plus petit et plus malléable. Au point de vue poids, leur soufflet bougeait mieux, était très rapide. Avec un accordéon chromatique à 120 basses, comme celui que j'utilise, c'est moins évident. C'est très dur de vouloir faire les mêmes rythmiques qu'avec un diatonique. J'ai essayé et j'ai fini par y arriver. A présent, c'est devenu ma fierté. A chaque album, c'est ma signature. Partout où j'ai été, je me suis rendu compte que ce rythme n'existait pas. Il n'existe qu'à Madagascar. Il y a d'autres rythmes c'est vrai... qui sont complexes. Mais avec celui-là, c'est la transe assurée, comme si c'était l'esprit qui jouait de votre instrument au moment de la possession... Quand on le joue là-bas, tout le monde s'y retrouve et danse. Ça soulève de la poussière… C'est la fête, c'est la joie. J'ai composé pas mal de chansons pour mes deux albums, mais les deux renitra sont ma vraie fierté.