Higelin sous les cocotiers (2)

Jacques est à Maurice. Et Maurice lui fait sa fête. Déjà passé par là il y a une dizaine d'années, le chanteur repasse par ici le temps d'un concert au Théâtre du Plaza dans cette île populeuse où se côtoient tourisme aseptisé et cultures méconnues. Le récit de ce voyage continue donc avec celui qui butine de scène en scène, d'île en île, ici et là, en traînant son blues et son swing dans sa guitare, dans son piano et dans son accordéon.

Rappelez plus tard, Jacques est à Maurice

Jacques est à Maurice. Et Maurice lui fait sa fête. Déjà passé par là il y a une dizaine d'années, le chanteur repasse par ici le temps d'un concert au Théâtre du Plaza dans cette île populeuse où se côtoient tourisme aseptisé et cultures méconnues. Le récit de ce voyage continue donc avec celui qui butine de scène en scène, d'île en île, ici et là, en traînant son blues et son swing dans sa guitare, dans son piano et dans son accordéon.

"Je ne sais rien. Je me réveille !" Ce jour-là, les journalistes qui rencontrent Jacques Higelin au CCF Charles Baudelaire de Rose Hill sont vite mis au parfum. Higelin, brise ou tornade ? Difficile de prévoir. Mais ce réveil abrupt fait vite place à un dialogue enlevé. L'artiste demande aux journalistes installés bien en rang de se rapprocher de lui. Indéniablement, il préfère la chaleur du désordre et de la proximité : "Je ne suis pas une star, je ne vis ni ne pense comme tel". Ancré dans la réalité le chanteur ? Il le revendique. Chanter en prison, lutter pour les sans-papiers, pour le droit au logement, pour les enfants autistes, les infirmières, contre le sida, son nom a fort souvent été attaché à ces combats, parfois ces guerres. Et s'il descend parfois dans la rue, il use les scènes comme un champs de bataille contre ce qu'il exècre. Sincèrement. Et il ne comprend pas que certains en doutent.

Attablé dans un boui-boui de la rue principale de Rose Hill, épicerie et cantine à la fois, Jacques dévore avec délice un excellent petit plat épicé. Du cerf. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le cerf est une spécialité locale, produit d'élevage, dont les origines remontent aux pirates. "Si j'avais un lieu comme ça en bas de chez moi, j'y serais tout le temps", s'acclame t'il, plus à l'aise ici que dans le palace façon "Amour, Gloire et Beauté" où il loge. Lequel palace sera fort égratigné sur la scène du Plaza où il donne son concert le mercredi 14.

Ce jour-là, quelques heures avant de monter sur scène, artistes et techniciens s'affairent dans le petit théâtre vaguement à l'italienne du Plaza pour l'incontournable balance. "Les retours, moins forts à droite ! Non, un peu plus ! Oui, c'est bon !" Travail de préparation sonore souvent ignoré par le public, surtout s'il est réussi… Higelin se plait dans ce lieu où il a joué dix ans auparavant. Une affiche de l'époque en témoigne au milieu de celles de Gréco, Lama, Sapho ou des photos des comédiens qui ont joué là. Pendant ce temps-là, assis sur les marches du hall, Guy Lacroix, directeur du Centre Culturel Français et de l'Alliance française très implantée dans l'île (pas moins de 7 antennes), m'explique pourquoi le français est si implanté dans cette île anglophone : "Maurice est un des rares pays non francophones au monde où la langue française progresse. Ici, il y a très peu de Français et la langue bénéficie du fait qu'elle n'est pas attachée à un groupe culturel. Ça l'aide sûrement à être parlée par toutes les ethnies". C'est vrai que Maurice brille par cette cohabitation apparemment pacifique entre les Mauriciens d'origine indienne, chinoise, malaise, française, créole. Et si l'anglais est la langue officielle, la langue de l'écrit, de l'administration, et le créole la langue courante, le français est certainement la langue de la culture, de la littérature, de la conversation. Tout le monde le parle.

La demande est donc forte en matière de chanson. "Le premier chanteur que j'ai fait venir", continue Guy Lacroix, "c'était Maxime Le Forestier qui à l'époque chantait Brassens. Et bien, toute la salle connaissait les textes." Qu'en sera t-il pour Higelin ? Si une partie du public est là parce qu'elle le connaît, une autre partie vient de toutes façons voir tous les chanteurs français de passage, Liane Foly ou Jacques Higelin. Les surprises peuvent donc être grandes pour certains. Pour Linley, jeune journaliste mauricien, beaucoup d'enthousiasme en revanche. Il a vu Higelin en France, le trouve "généreux et sincère". Même avis pour Sadley, fan qui n'a jamais vu le chanteur sur scène et pourtant, il considère qu'"avec Lavilliers et Bashung, il a réinventé le rock français".

Alors qu'un muezzin lance sa prière du soir, Jacques Higelin, tout de noir vêtu, élégant dandy, monte sur scène aux côtés de Mahut, tout aussi soigné, le flegme en plus. Le concert débute sobrement, le temps de quelques chansons. Pas de paroles, seulement les titres bien alignés l'un après l'autre. Un tel ordre, une telle discipline dans un concert de Higelin cache quelque chose. Point de chaos en vue. Ce n'est pas normal… Effectivement, lorsque notre homme part chercher un mouchoir en papier en coulisse, ça sent la plaisanterie morveuse. Bien vu. Tout en dansant gracieusement, Higelin lance son bout de papier souillé dans les premiers rangs en leur conseillant de le laisser sécher, de le repasser et de l'encadrer. Le scepticisme gagne une partie du public. Mais la musique les console, les rassure. La guitare Godin sonne toujours aussi magnifiquement sur "Paris –New York – Paris", le son du piano est très beau, swinguant, jazzy à souhait. Et l'accordéon. Ah, l'accordéon ! Cet instrument poétique et émouvant va si bien à Higelin.

Ce qui lui va bien aussi, c'est le rire. Higelin braille, tempête, rouspète. Cela peut séduire ou lasser. Mais quand il se lance dans un bagout inspiré, il peut devenir irrésistiblement drôle, fin et juste, n'en déplaise à ses détracteurs. Il sait dire, imiter, bouger, accentuer sa voix. C'est Higelin l'acteur. Higelin qui fait penser aux "stand-up comics" américains capables de tenir le crachoir au public pendant des heures. Et quand il embarque Mahut, comédien immobile et silencieux, dans de véritables sketches à rallonge, le spectacle est total.

Ce soir, Higelin est heureux mais fatigué. Pourtant, les rencontres de la soirée n'ont pas fini de l'entraîner dans la danse. Après quelques autographes signés en coulisse, le CCF reçoit toute l'équipe et son directeur a eu la bonne idée de convier quelques musiciens mauriciens dont Jacques Legris, 75 ans, figure locale du séga. Entouré de jeunes ségatiers armés de leur tambour, il séduit Higelin qui se laisse emmener, sourire aux lèvres. Cette scène est d'autant plus précieuse que la musique mauricienne n'est guère encouragée et que les artistes de l'île ne trouvent pas toujours d'écho, dans leur pays, à leur désir de création. A Maurice, le soleil ne brille pas pour tous.

Photos : Catherine Pouplain

Prochaine étape : La Réunion.