NGOMBI FESTIVAL

Bangui, le 21 juin 2000 - Si le premier jour de l'été dans l'hémisphère nord, donnait une fois de plus l'occasion aux capitales européennes de vibrer aux sons de la planète, cette date était aussi synonyme de fête de la musique pour la capitale centrafricaine avec la clôture du Ngombi festival. Temps forts de ce rendez-vous des musiques urbaines africaines, qui réunissait près d'une trentaine de groupes durant une semaine.

Le marathon de Bangui

Bangui, le 21 juin 2000 - Si le premier jour de l'été dans l'hémisphère nord, donnait une fois de plus l'occasion aux capitales européennes de vibrer aux sons de la planète, cette date était aussi synonyme de fête de la musique pour la capitale centrafricaine avec la clôture du Ngombi festival. Temps forts de ce rendez-vous des musiques urbaines africaines, qui réunissait près d'une trentaine de groupes durant une semaine.

Le ciel gorgé d'étoiles et la lune étincelante qui régnaient sur Bangui en cette soirée du 21 juin auraient presque suffi à éclairer le concert de clôture de la deuxième édition du Ngombi festival. Comme pour rappeler que dans la capitale centrafricaine, les coupures de courant sont le lot quotidien des habitants dès la tombée de la nuit et qu'il faut savoir y faire face. Rechercher un groupe électrogène, effectuer un branchement "système D", choisir entre la lumière ou le son…, autant de contraintes techniques qui, durant une semaine, rythmaient tel un leitmotiv le déroulement du "Ngombi" (nom d'une harpe traditionnelle). Une réalité obligeant les organisateurs de ce rendez-vous des musiques africaines à être en permanence sous tension ! D'autant qu'une autre énergie se faisait de plus en plus rare depuis plusieurs jours au pays d'Ange-Felix Patassé : le carburant. Résultat, le prix de l'or noir flambait du jour au lendemain avec pour conséquence de sérieuses difficultés de transport dans une région déjà très enclavée.

Bref, avec de telles conditions, cette manifestation faisait figure de véritable marathon aussi bien pour le public que pour les artistes. Et il n'était pas rare, faute de navettes ou taxis, de voir au détour d'un carrefour, une bande de musiciens, instrument sur l'épaule, se rendre à pied sur le lieu même de sa performance entraînant les spectateurs derrière elle. C'était le cas du Kayou Band, désireux de rejoindre la place Marabena dans le IIème arrondissement. Mené de main de maître par le saxophoniste en boubou Noubomo Emmanuel alias Kayou, ce groupe confirmait, à Bangui, sa position de relève camerounaise après avoir fréquenté bon nombre de festivals internationaux. Son succès : un style afro-jazz très technique teinté de rythmes de la forêt équatoriale.

Mais à propos, pourquoi les festivaliers étaient soumis à un tel jeu de piste dans la ville ? Parce que le " Ngombi " se voulait itinérant dans les huit arrondissements de la ville. Chaque jour, le podium se déplaçait telle une caravane afin d'amener le spectacle vivant dans des lieux ouverts. Un concept atypique qui recueillait l'adhésion des Banguisois dès l'ouverture des festivités. A en juger, le vaste parc du Ierarrondissement qui, très vite, prenait une allure de sympathique kermesse sous les manguiers. De plus, les spectacles étaient gratuits. Une aubaine pour bon nombre de Centrafricains en mal de sortie, d'autant que les musiciens locaux se taillaient la part du lion sur la trentaine de groupes à l'affiche. Une manière de rappeler qu'il existe un répertoire propre dans ce pays très influencé par la musique zaïro-congolaise. Ne serait-ce que la langue utilisée dans les paroles, le sango qui fait la fierté du Centrafrique, l'un des rares Etats africains à disposer d'une langue quasi-nationale.

Parmi ses artistes, quelques perles valaient le détour. Comme les ensembles religieux très en vogue en terre protestante, représentés notamment par un orchestre familial baptisé les Princes Devins, sorte de clones des Jackson Five en version gospel années 70. Ou encore, les coquettes formations de Bangui estampillées soukouss, tels les garçons des Tchou Na Ka Tchou prêts à rendre jaloux George Michael avec leurs sapes, coiffures et autres maquillages. Mais la véritable attraction venait du côté du hip hop centrafricain, avec pas moins de 16 collectifs en compétition. Pour la plupart, ces rappeurs en herbe -tous habillés par les grandes marques de vêtements de sport- se produisaient pour la première fois devant un vrai public grâce au Ngombi festival. Et certains n'hésitaient pas à mettre le feu au secteur de Boy Rabe dans le Vème. Un arrondissement surnommé le quartier rouge, où, soit disant, " rien ne va là-bas "… Mais dès que la sono crachait un son approximatif, la rue tendait l'oreille et oubliait quelques instants la poussière, les moustiques et… les interminables files d'attente devant les stations d'essence.

Il faut reconnaître que, par moment, le plateau déménageait ! Exemple : le duo masculin La Mifa d'en bas et son tube Ne pense pas qu'à toi. Repris en chœur par tout le monde, ce rap satirique -débité en français et sango- réactualisait la grande tradition des célèbres humoristes africains comme Jean-Michel Kankan. Tout comme, Does'nt Stick, autre tandem, cette fois comparable à NTM. Seul reproche que l'on pouvait faire à ces tchatcheurs du sud : copier les boucles instrumentales de leurs homologues occidentaux. Une carence technique face à laquelle certaines rappeuses de Bangui savaient remédier. Réclamant aussi leur part du gâteau, les filles optaient pour un son authentique. Pour preuve, les Focus Maseka. Un collectif de choc et de charme réunissant huit demoiselles qui osaient s'accompagner avec des battements de pillons, de calebasses et autres ustensiles de cuisine ! Totale surprise, comme disait l'assistance.

Du rap à la world, cet éventail artistique se renouvelait chaque soir, s'enchaînait à un rythme soutenu, malgré quelques couacs (électriques), tel un défilé de haute couture. Sauf que les quelques 8.000 spectateurs estimés durant les huit jours n'étaient pas là uniquement pour le plaisir des yeux. Mais aussi pour partager de bonnes vibrations. Des instants particulièrement perceptibles lors du point d'orgue de cette biennale des musiques urbaines au quartier de Koudoukou, fief des commerçants tchadiens du IIIème arrondissement. Au kilomètre 5, exactement, le public avait formé le cercle rituel autour des chanteurs "lâchés" sur un terrain de basket ! Et dès les premières mesures l'ambiance devenait chaude dans le parterre. Il faut dire que le show était à la hauteur avec les Tibesti. Véritables ambassadeurs de la musique actuelle à N'Djamena, ce groupe apportait une dose de saveur en pays forestier. Celle que recèlent les grands espaces sahéliens. Une musique, stimulante et apaisante à la fois, tout droit inspiré du saï (rythme traditionnel), qui à Bangui jouait presque un rôle réconciliateur entre les communautés centrafricaines et tchadiennes soumises à de nombreuses tensions tant culturelles qu'économiques.

Au même endroit, Les Frères de sang faisaient partie, eux aussi, des fleurons du festival. Venus du Bénin, ces six frangins assuraient le rôle de porte-parole de la culture vaudou avec leur registre a capella très convaincant. Comme si le public centrafricain était en recherche de spiritualité animiste. Comme si l'esprit du bois sacré ouest-africain avait supplanté celui de la forêt équatoriale. Des interrogations qui prouvaient simplement la curiosité d'esprit qui animait la foule. Une soif réclamée aussi par Vincent Mambachaka, l'initiateur du Ngombi Festival qui, cette année, avait fait appel au musicien iconoclaste Ray Lema en qualité de parrain. A l'heure où le rideau tombait sur l'Espace Linga Tere, l'organisateur affichait d'ailleurs une certaine satisfaction avec son éternel chapeau de paille vissé sur la tête, devant les poulains qu'il avait sélectionnés. Reste à savoir si cette course de fond sera porteuse pour ces artistes en devenir. Rendez-vous donc en 2002 pour la prochaine édition, à moins que, d'ici là, quelques noms prennent le chemin du prochain Marché des arts et du spectacle africain d'Abidjan …

Daniel Lieuze