KDD, CARTEL OUVERT

Paris, le 3 juillet 2000 - Qui dit Seine-Saint-Denis, dit NTM. Qui dit Marseille dit IAM. Et Toulouse ? La Ville rose a toujours enfanté des talents divers (de Claude Nougaro… au groupe Gold !), mais question rap, c'est tout juste si on peut citer un nom : KDD.

Troisième album du groupe toulousain

Paris, le 3 juillet 2000 - Qui dit Seine-Saint-Denis, dit NTM. Qui dit Marseille dit IAM. Et Toulouse ? La Ville rose a toujours enfanté des talents divers (de Claude Nougaro… au groupe Gold !), mais question rap, c'est tout juste si on peut citer un nom : KDD.

Formé depuis une dizaine d'années, le groupe avait remporté un petit succès en 1998 avec le single Une princesse est morte, tiré de leur second album. A l'écoute du monde extérieur, KDD (Kartel Double Détente) est à nouveau allé chercher une pointure internationale pour mixer Une couleur de plus au drapeau, leur troisième et meilleur album à ce jour, plus que jamais ouvert aux rencontres… Raison de plus pour les rencontrer à notre tour.

Pour votre nouvel album, Une couleur de plus au drapeau, vous avez choisi de confier le mixage à Tommy Uzzo (Redman, Method Man, Mariah Carey, Michael Jackson…). Comment en êtes-vous venu à travailler avec ce personnage ?
Dadou : En général, quand on choisit un ingénieur du son, c'est qu'on cherche une couleur par rapport aux morceaux qu'on a produit. On sait comment on veut les faire sonner. Lui avait une couleur qui nous plaisait, par rapport à des albums bien précis, comme celui de Redman et Method Man. Ensuite, on a essayé d'en savoir plus sur sa personnalité, ce qui le motivait, comment il était… C'est un type qui, il y a 15 ans, était dans les caves jazz en train de jouer de la contrebasse. Il s'est acheté ensuite une SSL, c'est-à-dire une table de mixage professionnelle, et l'a mise dans la maison de sa mère. On s'est dit : "C'est un barge !".
Alex : Nous voulions un son riche et massif, entendre chaque élément dans la musique.
Dadou : A travers les basses, il s'agissait de réussir à voir clair dans ce qu'il y avait de plus aigu. Dans les morceaux, les basses sont très lourdes mais, à la fois, on entend le moindre petit son qui se cache derrière une caisse claire.

C'est la deuxième fois que vous collaborez avec une pointure internationale, après la paire de producteurs Pretty Will/Avon. Qu'est-ce qui a changé dans les méthodes de travail ?
Dadou
: La précision, je pense. Dans la manière d'amener un morceau, de le voir évoluer, jusqu'à l'enregistrement, nous sommes sur un fil conducteur. On ne change pas. Ce qui pouvait se passer à l'époque du premier album, et même du second, ce n'était pas des défauts mais de temps en temps, on pouvait arriver avec un morceau et le changer en studio, parce qu'on n'était pas encore très précis sur la direction.

Et par rapport aux producteurs ? Tommy Uzzo était-il plus à l'écoute ?
Alex : Avec eux (Will et Avon - ndlr), le travail en studio était plus spontané. Il pouvait y avoir des changements sur le moment, alors qu'on a eu l'impression que le travail de Tommy était plus méthodique, qu'il avait plus d'années d'expérience derrière lui.
Dadou : Avec Will et Avon, c'était plus un travail de collaboration car ils ont fait de la production additionnelle. Sur cet album, toute la production a été assurée par le groupe donc, de ce point de vue, Tommy était plus à l'écoute du son qu'à la direction.

Vous accueillez régulièrement, dans votre fief de Toulouse, des rappeurs venus de pays étrangers, comme les Algériens de MBS.
Dadou
: Ils avaient apprécié un morceau qu'on avait fait sur le deuxième album Une princesse est morte. Ce sont des Algériens vivant en Algérie qui nous ont dit que la jeunesse algérienne avait été touchée par ce morceau. Ils voulaient qu'on participe à leur album mais on ne s'était jamais rencontrés…

Pensez-vous que votre notoriété a contribué à développer la scène rap à Toulouse ?
Lindsay
: Elle a contribué à développer la scène hip hop en général. Aujourd'hui, on peut reconnaître que Toulouse est une des villes les mieux graffées de France. Jusqu'à New York, on reconnaît ça. Mais ce n'est pas grâce à nous si des mecs font des bonnes choses. On a juste été le détonateur.

Un groupe comme IAM est emblématique de Marseille. Quand on pense à Toulouse, on évoque plus Zebda que KDD. Comment l'expliquez-vous ?
Lindsay
: Ils sont là depuis quinze ans.

Mais vous depuis onze… Le terrain pour le rap est-il moins favorable à Toulouse qu'à Marseille ?
Alex
: Pour la scène, c'était plus difficile de faire du rap ces derniers temps, vu que ça a souvent dégénéré dans les concerts. Eux (Zebda - ndlr) ont pu facilement aller dans des festivals ou faire des scènes eux-mêmes.
Dadou : Ils le méritent. Même pour nous, Zebda sont les saints patrons de la musique à Toulouse. Ils ont toujours eu un engagement qui allait dans notre sens, dans le sens des petits. Ils ont toujours mis la main à la pâte par rapport à certaines associations. Après, on va dire que c'est pas du rap. Pour moi, c'est de la bonne musique.

En France, quand on parle du rap, on distingue le nord et le sud. Mais, dans le sud, on a l'impression que toute la couverture médiatique est accaparée par Marseille. Vous n'avez pas souffert de ce centre rayonnant ?
Dadou
: C'est l'industrie qui fait ça. A la base, ils partaient pour monter le hip hop à un certain niveau et avoir la reconnaissance des quartiers de Paris, pas celle des gros producteurs. Maintenant, l'industrie met son nez dedans et ça donne "Taxi".
Alex : C'est une question de moyens aussi, parce que IAM a réussi. Ils ont poussé le hip hop.
Dadou : Marseille, au-delà d'IAM, ça a une putain d'histoire ! Pour moi, c'est logique que Marseille soit le pôle du rap comme c'est un pôle dans le football, en politique… Ce n'est pas IAM qui a fait Marseille.
Lindsay : C'est Marseille qui a fait IAM.

Sur cet album, vous avez tout produit vous-même. On peut penser que produire d'autres groupes est la prochaine étape…
Lindsay
: Ce qui nous freine, c'est que c'est un métier. Gérer une société, ça s'apprend. On est des musiciens. C'est dur de passer d'un texte que je vais mettre peut-être trois heures à vomir à une facture. Il faut que je m'y habitue… C'est pour ça qu'on prône d'aller à l'école !

Vous êtes un groupe de scène. Les disques live de rap sont rares, surtout en France. Est-ce un projet qui vous tente ?
Dadou
: S'ils sont rares en France, c'est que, à moins de s'appeler NTM, c'est dur d'en vendre.

Et en faisant des mini LP, comme les Hors série de la Fonky Family ?
Dadou
: Bien sûr… L'album live sera peut-être notre meilleur car, à la base, on sort des disques pour faire de la scène. Si on nous avait dit qu'on pouvait faire de la scène sans sortir de disques, on n'en aurait jamais sorti. Mais ça ne marche pas comme ça. Notre grand rêve est de faire une tournée avant de sortir un album. On n'a pas encore le poids pour le faire.

Sans être à proprement parler politiques, vous avez toujours soutenu des causes ou des mouvements. Quels sont vos coups de cœur et vos coups de gueule du moment ?
Lindsay
: Je supporte l'association Atac qui est pour la taxe Tobin - qui consiste à taxer de 0,1% toutes les transactions financières mondiales. Ça amènerait plusieurs dizaines de millions de dollars par jour et permettrait d'aider certaines populations, dans notre pays ou ailleurs. Qu'on soit de droite ou de gauche, il faut être humain.
Dadou : Il y a aussi le Gisti, les sans-papiers… Il faut toujours adhérer à une association pour adhérer à une cause. Moi, j'adhère aux causes et pas aux associations, dans le sens où ce qui m'intéresse est de "promouvoir" les gens qui souffrent ou qui n'ont pas les moyens de vivre dans la dignité, tranquillement.

Vous avez lancé aussi un site web (Site de KDD). Ne sera-t-il qu'un support promotionnel ?
Dadou : On espère proposer dans un avenir proche des inédits qui ne circuleront que sur Internet. Même des textes sans morceau. On aimerait créer un espace d'expression pour un graffeur qui veut montrer son travail, quelqu'un qui a un coup de gueule à passer… On espère aller plus loin dans la démarche du groupe en général. A ceux qui s'intéressent au groupe, on peut donner la construction d'un morceau, dire ce qui nous a inspiré. Aller plus loin que la bio et le plan marketing.

En 1998, dans une interview à La Dépêche du Midi, à la question : "Quels sont vos défauts ?", Dadou répondait : "Un peu naïf et parfois borné" et Robert : "Très têtu". Lorsqu'on est un groupe de cinq, têtus, bornés, comment se met-on d'accord ?
Dadou : On apprend à trouver le compromis. Ça se passe comme dans une famille. Il y a une hiérarchie, pas militaire, mais une hiérarchie de respect où chacun est à sa place. Si tout le monde courait après l'autre, ça ne tiendrait peut-être pas.

Quels sont les rôles respectifs ?
Dadou : Lindsay est la matière grise officielle et un fournisseur de sons percutants et profonds. Moi, je suis là pour donner une directive générale. Alex, c'est le couturier du son, le génie fou, Erwan, le troisième rappeur, qui commence à comprendre qu'il est énorme, et Robert, le patriarche, Saint-Pierre, le Pape, Dieu…

Mais Dieu est celui qui tire les ficelles…
Lindsay
: Oui, mais on n'est pas tous les dimanches à la messe !

Propos recueillis par Gilles Rio

KDD Une couleur de plus au drapeau Columbia, 2000

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