PARIS SUR SCÈNE

Londres, le 6 juillet 2000 - Les francophiles sont sortis en force ces dernières semaines à Londres où le Barbican Center se proposait audacieusement de recréer pendant un mois le Paris des Arts au cœur de la capitale britannique avec le concours du Bureau des musiques actuelles. Paris sur Scène fut donc un festival délibérément éclectique mêlant cinéma, théâtre, danse, littérature et photographie, le tout culminant avec deux journées exceptionnelles où se sont croisés une icône légendaire de la chanson française, Juliette Gréco, et un éventail très excitant de la scène multiculturelle hexagonale, Sawt El Atlas, Lo'Jo et l'Orchestre Nationale de Barbès.

Barbès et la Rive gauche se délocalisent à Londres

Londres, le 6 juillet 2000 - Les francophiles sont sortis en force ces dernières semaines à Londres où le Barbican Center se proposait audacieusement de recréer pendant un mois le Paris des Arts au cœur de la capitale britannique avec le concours du Bureau des musiques actuelles. Paris sur Scène fut donc un festival délibérément éclectique mêlant cinéma, théâtre, danse, littérature et photographie, le tout culminant avec deux journées exceptionnelles où se sont croisés une icône légendaire de la chanson française, Juliette Gréco, et un éventail très excitant de la scène multiculturelle hexagonale, Sawt El Atlas, Lo'Jo et l'Orchestre Nationale de Barbès.

“L'idée de départ de ce festival était de présenter un aperçu de choix des Arts à Paris aujourd'hui", annonce Graham Sheffield, directeur artistique du Barbican Centre. "On a voulu explorer la bouleversante diversité de la capitale française et aborder toutes ses facettes multi-culturelles. Musicalement parlant, ça voulait dire mettre l'accent vendredi soir sur le genre typiquement parisien qu'est la chanson, le message étant ici "voici Juliette Gréco, une légende vivante, et vous devez venir la voir parce que vous n'en aurez peut-être plus jamais l'occasion". Le samedi soir, on a choisi de prendre une direction opposée, de regarder à quel point aujourd'hui Paris est devenu un creuset des sonorités nord-africaines."

Le statut d'icône de Gréco, doublé du fait que c'était son premier concert en Angleterre depuis 1991, permit au Barbican de remplir la totalité de ses 2000 places. Des groupes d'admirateurs traînaient déjà dans le hall longtemps avant le spectacle, des couples de Français élégamment vêtus se saluant de la traditionnelle bise pendant que les fans anglais se précipitaient vers le bar pour un rapide gin-tonic. Dès l'ouverture des portes, le public se rua vers les sièges sans demander son reste. Les spectateurs plus âgés - dont beaucoup semblaient avoir suivi Gréco depuis la Rive gauche - remplirent l'orchestre tandis que les visages plus jeunes (en minorité) traçaient leur chemin vers des places plus élevées et moins chères. L'excitation qui précéda le spectacle ne se limita cependant pas à la partie la plus âgée de l'auditoire. "C'est génial d'être ici", murmura un spectateur de 20 ans, clairement intimidé. "Je n'ai jamais été aussi près de voir une chanteuse de la lignée d'une Piaf !"

Le public, totalement conscient qu'il vivait un instant d'Histoire, apprécia le suspense lorsque l'orchestre de Gréco entra en scène dans l'obscurité et commença à interpréter une longue mélodie instrumentale. Cinq minutes plus tard, encore aucun signe de la chanteuse. Puis, soudainement, elle se glissa à travers les rideaux, faisant une superbe entrée de diva. Avec sa longue robe noire, son maquillage sombre et sa pâleur d'ivoire, Gréco campe une figure dramatique, debout seule sous un unique éclairage. A 73 ans, l'ancienne muse des existentialistes, prouva qu'elle n'avait rien perdu de son mystère ni de son allure de "femme fatale". Entraînant chaque membre du public avec elle, la chanteuse commença à interpréter ses chansons avec une grande puissance sensuelle, provoquant d'assourdissants 'Bravos !!" pour Accordéon et La Javanaise de Gainsbourg et remporta tous les suffrages avec une incroyable interprétation de Train de nuit. Inutile de dire que le public se leva pour une standing ovation avant le premier rappel, Ne me quitte pas. Puis, au moment où la chanteuse, visiblement émue, retourna vers le piano pour son dernier rappel, Le temps des cerises, la scène se couvrit de roses.

Samedi soir, Sawt el Atlas , le premier groupe sur la scène gratuite du festival, provoqua un bien moindre effet. Pas surprenant. C'était en effet la première apparition anglaise du groupe - et peu de ceux qui traînaient autour du hall du Barbican en ce pluvieux samedi après-midi semblait avoir un jour entendu parler de chââbi marocain ! Les deux frères se sont eux-mêmes retrouvés à jouer devant un assortiment d'adolescents en dread-locks, de jeunes couples avec bébé et de mamies perplexes au milieu de tous ces câbles. Pas vraiment un début propice ! Et pourtant, à mi-spectacle, Sawt el Atlas avait la moitié du parterre à leurs pieds. La fièvre du chââbi monta bientôt jusqu'à un petit bar en haut des marches, incitant une jeune audacieuse à retirer ses souliers et à entamer une danse du ventre impromptue. Les deux chanteurs, Mounir et Kamel, réussirent leur pari auprès des adolescentes et à la fin, les mamies montèrent sur scène pour demander un autographe.

Sawt El Atlas laissa la place à Lo'Jo, le groupe suivant sur la scène gratuite. Une partie du public se demanda pourquoi on ne leur avait pas proposé de jouer sur la scène principale aux côtés de Rokia Traore et de l'Orchestre National de Barbès. L'ambiance dans la salle centrale en ce samedi soir ne pouvait pas être plus différente de celle de la veille. Plutôt que de s'asseoir dans un silence déférent, le public - dont la plupart tenait en main des verres de bière - acclama de bout en bout la performance de la Malienne Rokia Traore et à l'instant où les 17 membres de l'Orchestre national de Barbès entrèrent en scène, la foule impatiente et trépignante, célébra le meilleur de Barbès dans un tonnerre d'applaudissements.

Le mélange de raï, de chââbi, de musique gnawa et de rock bédouin de l'ONB se propagea instantanément et la foule ronronna avec délice aux ballets improvisés des musiciens. "Comment allez-vous ? On est très heureux d'être là ce soir !", lança le saxophoniste dans la langue locale, donnant le micro aux premiers rangs pour les faire chanter. Mais malheureusement, ces premiers rangs ne comptaient que des fans anglais peu familiers avec les textes en français. Par chance, l'ONB avait son propre fan club dans les balcons, chantant en chœur avec eux et poussant de longs 'youyous'.

Graham Sheffield n'avait vraiment pas besoin de s'inquiéter quant à l'espace de danse insuffisant du Barbican center. A la fin de la soirée, l'ONB avait transformé la salle entière en une messe groovy et le rappel final - une reprise des Stones Pleased to meet you - laissa la foule en état de manque. Londres, bouge-toi ! Paris est arrivé !

Julie Street à Londres