NINA MORATO AUX FRANCOS

Paris, le 17 juillet 2000 - Entre une Zazie qui n'aurait pas grandi et une Mylène Farmer excessive, Nina Morato pourrait sembler à l'étroit. Elle vient de prouver le contraire avec beaucoup de sensibilité lors des 16ème Francofolies de la Rochelle. Avec son dernier album Moderato (Polydor/Universal) comme exutoire, ses amis artistes, Princess Erika, Lokua Kanza, Arthur H, Bam's et Black Jack de Démocrate D entouraient la chanteuse gracile.

L'ange blessé

Paris, le 17 juillet 2000 - Entre une Zazie qui n'aurait pas grandi et une Mylène Farmer excessive, Nina Morato pourrait sembler à l'étroit. Elle vient de prouver le contraire avec beaucoup de sensibilité lors des 16ème Francofolies de la Rochelle. Avec son dernier album Moderato (Polydor/Universal) comme exutoire, ses amis artistes, Princess Erika, Lokua Kanza, Arthur H, Bam's et Black Jack de Démocrate D entouraient la chanteuse gracile.

On l'avait connue gavroche, la mèche blonde sous sa casquette écossaise de Poulbot, avec Maman, son tube qui courra sur les ondes de l'année 1993 et lui rapporta une Victoire de la musique. Depuis cette "Révélation", on avait du mal à saisir l'oiseau affolé échappé de sa cage. L'allumeuse, son second album, n'a finalement pas allumé grand-monde si ce n'est qu'on lui accola alors un peu trop vite cette image de femme-enfant un rien fofolle, au comportement éthéré et aux chansons faussement enfantines. Une autre chanteuse, Mylène Farmer, pour ne pas la nommer, réussira mieux dans cette voie-là.

Heureusement, il y a eu les dernières Francofolies de la Rochelle. Invitée par Jean-Louis Foulquier à se produire sur la scène du grand Théâtre, en compagnie de ses amis-invités, Nina Morato a su saisir sa chance. Magnifique fête. Avec un public déjà tout entier aquis à sa cause que la belle au nez pointu, mèches blondes effilées dans les yeux, vient saluer bien bas. Sur les premières notes de "Maman, maman, empêche moi de sortir ce soir", un peu gitane ensorcelleuse, pieds nus et longue robe rouge, la chanteuse s'empare d'un tube-accordéon argenté qu'elle s'enroule autour du cou, très vite rejointe par Bam's, la rappeuse franco-camerounaise, moulée, elle aussi dans une robe longue, turban bleu nuit sur la tête. "Une athlète de la parole" s'écrie Nina en présentant sa pote hip hopeuse. Et toutes deux de rapper, et de sautiller d'un bout à l'autre de la scène (du petit lait pour Bam's, ex-championne de triple saut), visiblement amusées de partager ensemble ce moment de folie retenue. Un premier titre de recadrage, (on sait à qui on a affaire), et qui permet de passer très vite à autre chose. A l'immédiat. Par exemple, à son nouvel album Moderato, sorti fin 1999, et dont elle a signé, pour la première fois, quelques unes des musiques, réalisé par Jam'Ba, producteur d'expérience avec Guesch Patti (dont il a été le guitariste), Princess Erika et Lokua Kanza.

Moderato, au titre annonciateur d'apaisement, ou comme une thérapie contre le destin qui s'acharne, est certainement son album le plus personnel. Après la tempête, le calme. Enfin, en apparence. Oh, mon ange, chanson du deuil impossible d'une mère à sa petite fille trop tôt disparue n'est que la pâle prière d'une tragédie dont les images du film ne cessent de défiler. Nina Morato est bouleversante : à genoux, la fragile chanteuse invoque Saint Thomas pour s’en différencier. Puis "Oh, mon ange, mets des ailes à tes phalanges", rejoint par la mélopée de Lokua Kanza, se mue en un poignant duo, interminable morceau chargé d'émotion, que transcende la voix cristalline du chanteur congolais. Pour cet instant-là, Nina Morato a gagné nos cœurs. Et de l'avis des nombreux festivaliers, la meilleure fête de ce cru rochelais. Ceux qui, n'ayant pu pénétrer dans la salle, bondée à craquer, le regrettent encore.

"Je voudrais vous parler d'une enfant qui s'appelle Sécotine, le nom d'une colle forte et celui d'une petite fille qui a grandi". Flash-back sur sa propre enfance, avec Sécotine, le titre qui ouvre l'album, tapissé de musique électronique lancinante. Nina Morato, décidement imprévisible, se lance dans une chorégraphie très "arts martiaux"... Avant que Arthur H et ses fameuses oreilles, la nonchalance personnifiée, ne la rejoigne pour un duo En harmonie (Tu es tordu, je suis droite"), devenu le single de l'album. Distraite, Nina cherche un temps l'ordre de ses chansons, ce qui fait sourire Zazie, assise tout près sur les marches, qui connait également ce genre de souci. La suite, c'est Princess Erika, la démarche ondulante, en pantalon vert flottant, toujours très populaire, applaudimètre à l'appui, et qui entame un titre reggae Adieu, sur les éternelles fâcheries entre copines. Nina appelle son accordéoniste pour une reprise en français de Porque te vas, tube de l'été 76 (tiré du film de Carlos Saura Cria Cuervos) qui pour le coup a inspiré à l'enfant des HLM, une réfléxion sur sa cité, soutenue par les harangues du rappeur Black Jack de Démocrate D, colosse d'ébène en ensemble blouson et short en jean, le tout très tendance estivale.

Très rythmés, les titres s'enchainent grâce à l'énergie que la chanteuse insuffle à cette soirée : "Comme toujours, il faut remonter ses manches les filles, mais les jupes aussi, ne l'oubliez pas !" conseille t-elle à son public féminin, avant de s'installer aux claviers, puis plus étonnant, à la batterie pour un solo de baguettes. Elle montre au public un métronome en forme de sein, le fait fonctionner : "Il a des tempos, tic-tac, c'est quand je me réveille, tic-tac, tic-tac, tic-tac, c'est quand vous êtes là... ". Elle avait déjà gagné, mais là ! Comme une toupie rouge, elle virevolte, danse fort et relève haut sa robe, accompagnant le mouvement des tresses de Michko, son bassiste, avant de tomber à terre, et de faire la morte. Comme une sorte de happening collectif, au milieu duquel elle serait toute seule.

Pascale Hamon

Nina Morato sera au théâtre des Déchargeurs, à Paris du 14 novembre au 9 décembre prochains