CHEB DINO AUX NUITS D'AFRIQUE
Montréal, le 20 juillet 2000 - Entamé depuis une semaine, le festival international Nuits d'Afrique de Montréal a pris sa vitesse de croisière. Plat principal de ce deuxième compte-rendu : Cheb Dino, le seul raïman du continent américain. Toute une histoire !
Le Cheb d'Amérique
Montréal, le 20 juillet 2000 - Entamé depuis une semaine, le festival international Nuits d'Afrique de Montréal a pris sa vitesse de croisière. Plat principal de ce deuxième compte-rendu : Cheb Dino, le seul raïman du continent américain. Toute une histoire !
"Même si nous sommes canadiens, nous sommes tous des immigrés dans ce pays. C'est pourquoi plutôt que de chanter le drame algérien, je vais chanter l'amour et la paix." L'homme sur la scène a tenu ces propos dans un sourire chaleureux qui en dit long. Et dans la salle du club Kola note de Montréal, l'assistance, constituée de membres de la communauté maghrébine et de Canadiens, ne peut qu'applaudir. Le mardi 18, Nuits d'Afrique, pour sa cinquième journée, accueillait Cheb Dino et son groupe. Le seul Cheb d'Amérique, le "Pharaon du raï", comme on le surnomme ici !
L'histoire de Nacer Eddine, alias Cheb Dino, se tisse des fils de l'exil, du drame, de la séparation, comme c'est souvent le cas. Né dans la Casbah d'Alger il y a 38 ans, notre bonhomme doté d'un beau filet de voix, avait pourtant les atouts maîtres pour vivre (survivre ?) dans son pays, à savoir un métier, celui d'animateur culturel dans une école de musique du quartier de Bab-El-Oued. Mais voilà... On a beau initier des "minots" de 9-10 ans à l'innocent B A BA du chant, on se dit que l'orage politique et social qui menace ne saurait épargner un artiste œuvrant dans un quartier en proie à une forte poussée de fièvre islamiste. Après la "Révolte des pierres" en 1988, Cheb Dino part donc tenter sa chance en France. Mais devant l'impossibilité d'obtenir une carte de séjour, il retourne en Algérie pour quelque temps. Puis, le grand saut... Un cousin vivant à San Francisco lui envoie de l'argent et il s'envole pour Montréal en 1989, rejoignant les quelques 7.000 Maghrébins déjà installés dans ce Far-West francophone qu'est le Québec. Là-bas, au "bled", l'orage a éclaté : deux de ses cousins sont assassinés et son école est saccagée, emportée dans la tourmente.
Nacer va donc refaire sa vie au Canada. Mais quel défi pour un chanteur de raï ! Imposer les harmonies modales aux oreilles d'un public habituées aux chants d'un Gilles Vigneault ou à la country d'un Garth Brooks ! La scène musicale maghrébine à Montréal et au Québec, c'est d'ailleurs le désert que traversent seulement quelques musiciens à la recherche de cachets et un groupe traditionnel appelé Casbah. Alors, il se fera connaître de la communauté, il chantera dans un groupe baptisé Timgad avant de se lancer dans une carrière solo à partir de 1997. L'été, ce sont les concerts en salle ou festivals (Vancouver, Calgary, Nuits d'Afrique qui l'hébergera pour sa première apparition en public en 1991). L'hiver, les incontournables mariages dans la communauté et l'animation dans des bars locaux. "Mais je ne peux pas encore vivre de la musique ici. C'est pourquoi je travaille comme représentant pour une société de bijoux fantaisie", précise-t-il.
Seule consolation : son groupe, constitué de trois musiciens canadiens et de deux compatriotes (ex-membres du légendaire combo de raï des années 80, Raina Raï) peut ainsi se roder. Un groupe qui tourne au quart de tour, efficace, capable, ainsi qu'il l'a montré hier soir, de faire onduler des hanches le public des heures durant mais qui permet aussi à Cheb Dino et à sa voix de ténor de s'envoler sur des titres de raï comme sur des morceaux du répertoire andalou ou juif algérien (M'chet Alaya par exemple).
Il y a bien l'enregistrement d'un CD à l'automne qui s'offre en perspective mais le désespoir, cette mauvaise conseillère, vient quelquefois le relancer. "Je me sens parfois découragé. Un chanteur marocain, Saïd Mesnaoui, a abandonné, il est rentré à Paris, mais j'ai planté un arbre, il commence à avoir des bourgeons et je ne peux pas le couper comme ça." Il évoque également le cadre canadien et sa formidable ouverture socio-économique aux populations émigrées : du travail à foison, des avantages sociaux conséquents, de belles opportunités de logement à moindre frais. Mais pas seulement... "La vie au Canada me plaît. Le mode de vie y est meilleur qu'en France. Il n'y a pas ici de racisme, d'agressivité, d'assassinats. Je marche où je veux, à 4 heures du matin. Les diverses nationalités se brassent et quand je rentre dans un bar, je ne me dis pas : "Attention, tu es arabe !"
Alors, Cheb Dino sait intimement que peut-être, sa carrière aidant, il sera amené à fréquenter de nouveau la France. Il n'empêche... il reviendra vers sa "cabane au Canada". Une partie de sa vie s'y est désormais inscrite. La preuve par l'amour : ainsi qu'il le dit joliment, "toutes mes blondes sont canadiennes."
Jean-Michel DENIS