Dupain dans les bacs
Paris, le 1er août 2000 - Formation née de la dynamique provençale et marseillaise, les Dupain viennent de signer L'Usina, un premier album entièrement habité par le monde ouvrier. Vielle à roue, percussions, samples et chant rempli de convictions : une formule très inventive qui vient nourrir la grande tradition des musiques vivantes d'aujourd'hui et à venir.
Transe et tarentelle, le chant ouvrier s'exalte…
Paris, le 1er août 2000 - Formation née de la dynamique provençale et marseillaise, les Dupain viennent de signer L'Usina, un premier album entièrement habité par le monde ouvrier. Vielle à roue, percussions, samples et chant rempli de convictions : une formule très inventive qui vient nourrir la grande tradition des musiques vivantes d'aujourd'hui et à venir.
Leur nom… ils ne sont pas allés le pêcher sur les rives surchargées de la Méditerranée, bien que ce soit leur lieu d'inspiration musicale favorite. Leur nom, ils l'ont inventé, presque sans se fouler, sur un principe simple. Le pain est un élément essentiel en milieu prolétaire. Samuel Karpienta, leader de la formation, est fils d'ouvrier immigré, d'origine polonaise. Il avait besoin de coller au réel. La sidérurgie et la métallurgie sont des univers qu'il conjugue avec un certain respect. L'usine, il y a travaillé : la même que celle où trimait son père, à la Sollac. Autant dire qu'il n'a pas eu à chercher longtemps : le pain symbolise un univers de combat quotidien contre la misère dans son milieu d'origine.
Dupain, c'est la revendication des petites gens, de ceux qui n'ont rien, de ceux à qui on a tout pris. Certes, Samuel a été sur les bancs de l'université sur les conseils d'une maman consciencieuse et pour éviter de connaître le sort des damnés de la terre. Certes, il a voyagé et appris, au vu des situations rencontrées, à ne pas s'appesantir sur le sort réservé aux siens. Mais il a aussi contracté le virus des chants porte-parole, au contact de quelques amis artistes. Au sein de Gacha Empega, formation provençale dans laquelle il a fait ses premières dents, après avoir longtemps traîné avec les gitans et les fabricants d'espoir déchu, il s'est senti investi d'une mission d'artiste-témoin de son époque et de son milieu. De sa réalité propre, se dégage l'authenticité d'un message potentiellement universel. Une dure réalité en l'occurrence que rappelle autant que possible chacun des textes de l'album.
Dupain n'est pas là pour conter fleurette dans les calanques, ni pour raconter la movida marseillaise. Ce groupe, issu de la fièvre occitane qui enflamme le Sud de la France depuis quelques années, fonde son existence sur des chants d'ouvrier (du XIXème siècle notamment), sortes de complaintes de dignité, qui auraient pu être scandées par tous les oubliés du bonheur sur cette planète. L'usina, chanson-phare dédiée en premier aux ouvriers de la région de Fos-sur-Mer, ne mâche pas les mots de la colère retenue ("C'est un cauchemar qui est devenu réalité (…) Une fois de plus, il va falloir aller trimer"). Discours social, plutôt que poésie du divertissement, le propos de Dupain se veut engagé et sans fioriture aucune contre le vécu difficile de ceux qui pointent en usine ("Le profit s'en va pour d'autres morts de faim (…) Le profit s'en fout, il a défiguré le pays"), au moment où le tissu industriel français se désagrège ("C'est beau, c'est ici, le pays de l'emploi/ C'est beau, c'est ici, que se meurt l'emploi").
Dupain est une formation à fort accent populaire, qui œuvre pour une musique en phase directe avec son environnement immédiat. Il est donc normal qu'elle emprunte au patrimoine ouvrier neuf textes sur onze pour composer cet album. Des textes collectés par Claude Barsotti, journaliste à La Marseillaise, écrivain du pays d'Oc, qui les situe entre 1860 et 1920, tout en insistant sur leur "actualité brûlante", comparé aux tribulations du monde ouvrier d'aujourd'hui. Dupain fait dans la mémoire mais pas uniquement. La majeure partie de ces chants, interprétés en occitan, étaient adaptés musicalement, si l'on se fie à ce qui reste de leur grande histoire, pour coller à l'air du temps. Les auteurs, pour que le message apparaisse dans tout son radicalisme, instrumentalisaient les mélodies, les harmonies et les rythmiques du moment. Musique d'époque, musique populaire surtout : une démarche qui a emmené le groupe à tailler des airs de circonstance, complètement inédits pour habiller lesdits textes.
Exit donc la parure folklorisante du "trad' revisité". Nous sommes en pleine innovation : le trio, puisque Samuel au chant et au tambourin partage son rêve avec Pierre-Laurent Bertolino (vielle à roue/séquenceur) et Sam de Agostini (percussions), invente un genre à part, où s'entremêlent sans se renier les ambiances électro et l'acoustique de quelques instruments de rue. Le résultat est festif à souhait (techno gigue expérimentale ?), complexe par certains aspects de la composition (rythmique six-huit ébouriffante par exemple, enrobée de samples à doses intelligibles), merveilleusement efficace et passe-partout (une musique actuelle au sens plein). Autrement dit, il s'agit d'une musique vivante, qui tire sa force de la Méditerranée et de la modernité, avec l'ambition de parler au plus grand nombre.
Soeuf Elbadawi
Dupain L'Usina (Virgin) 2000