Zao renaît
On n'enterre pas un ancien combattant aussi facilement. Les compatriotes jaloux qui menaçaient d'assassiner le chanteur congolais, en pleine guerre civile, doivent être verts de rage aujourd'hui. Il revient sur scène avec un nouvel opus, prêt à croquer la bêtise de ses concitoyens, au nom de la paix entre les hommes.
A nouveau sur les rails
On n'enterre pas un ancien combattant aussi facilement. Les compatriotes jaloux qui menaçaient d'assassiner le chanteur congolais, en pleine guerre civile, doivent être verts de rage aujourd'hui. Il revient sur scène avec un nouvel opus, prêt à croquer la bêtise de ses concitoyens, au nom de la paix entre les hommes.
L'album paru chez Mélodie, s'intitule Renaissance. De Pointe-Noire à Deauville, en passant par Trouville, l'auteur d'Ancien Combattant, tube qui a pulvérisé tous les records de popularité imaginable dans les années 80 pour un artiste africain, promène à nouveau son humour et sa lucidité légendaire. On se souvient de son fameux dialogue entre le Mort et le Corbillard, le premier essayant de convaincre le second de ne pas l'emmener dans la fosse ("Je n'ai pas encore payé toutes mes dettes"). Tentative demeurée sans succès ("Je t'emmène, je t'emmène"). Alors que Zao, lui, il y est arrivé : il a su convaincre la mort en personne de l'acquitter.
Porté disparu pendant un moment par ses amis, on le disait enterré dans une fosse quelconque. C'était bien sûr entièrement faux. Et il y a un an environ que l'artiste est sorti de son long séjour en forêt. Neuf mois de privations multiples en pleine jungle de Makaka, suite à des menaces de mort dans un pays complètement rongé par la guerre civile. Neuf mois passés à replanter des légumes, à écrire des chansons, à mûrir sa réflexion sur l'inconscience de cette guerre "intérieure" aux Congolais. Neufs mois durant lesquels il s'est inquiété pour sa famille, surtout après avoir perdu son fils. Neuf mois de silence donc pour un homme qui avait pris l'habitude de botter en touche contre tous les malotrus de la vie, en priorité ceux qui oublient que le monde est fait pour vivre, et non pour s'entretuer.
A sa sortie de forêt, grâce à un "couloir humanitaire" de dernière minute, il a trouvé ses compatriotes complètement minés par la psychose entretenue par les milices, retrouvé son domicile dans un état lamentable, après avoir été pillé. De quoi renforcer vos convictions sur la bêtise humaine. Zao aurait voulu être un optimiste de nature. Mais la vie l'a rendu sceptique. Instituteur reconverti dans la chanson, il s'est inspiré à ses débuts de la tradition du nzonzi, sorte de troubadour burlesque, dont l'humour et le message caustique animent les banquets de mariage dans sa culture d'origine. Satire en couleurs et paroles engagées ont alors nourri ses compositions, donnant matière à réfléchir à ses contemporains. Clown philosophe, il charge ses mots contre la guerre ("Quand venant la guerre, tout le monde est cadavéré"), l'alcoolisme ("Le vin rouge, je n'attends que la mort/ Le vin rouge a rougi mes lèvres, je n'attends que la bagarre"), le sida ("la maladie pour une bêtise du samedi soir"), le paludisme ("Tu piques ma femme sans payer l'adultère […] On a inventé les bombes pour tuer l'humanité, mais chez les moustiques, on n'arrive pas"). Avec toujours cet humour qui déconcertait plus d'un francophone… au-delà des rives du Congo.Renaissance nous remet donc le vieux poète sur les rails. Avec moins de bouffonnerie plaisante, en français du moins, puisque l'artiste aligne plus de compositions en langue maternelle. Besoin de mieux préciser le tir contre les mœurs de ses concitoyens, après ce qu'il a enduré ? On lave le linge sale en famille, dit-on. A moins que l'indifférence affichée par une certaine communauté internationale sur certains aspects de cette guerre congolo-congolaise ne l'ait déçu.
L'album s'ouvre sur une ode en français pour lampe-tempête : "Lampe inspiratrice (…) Tu m'as ouvert les yeux". Serait-ce la lampe qui accompagnait ses nuits en forêt ou bien n'est-ce qu'une métaphore de crise ? Face à l'obscurité de la guerre, Zao oppose cette lampe à pétrole miracle, qui se consumerait pour la paix ("Merci beaucoup, pour le sacrifice/ Tu brûle, tu brûle, tu brûle/ Pour me sauver"). Il ne faudrait jamais oublier que le pétrole fut l'enjeu essentiel dans ce conflit officiellement terminé depuis décembre dernier. Officiellement, car il s'agit d'une paix précaire. A dire vrai, les clins d'œil pince-sans-rire de jadis, il les pratique toujours. Mais de façon plus mesurée, avec des jeux de sous-entendus, sous une forme moins anecdotique (bien qu'il continue à rouler les "r", trait que l'on retrouve en force chez son cadet Mystik, avec qui il vient d'enregistrer une version rap de Moustique) et avec une construction musicale moins agitée (Lampe-tempête traîne la patte de façon percutante et s'accompagne d'une suite de cuivres soignée à la sauce sud-africaine).
Sur le plan rythmique, il renouvelle plus en profondeur sa passion pour le patrimoine de son pays, tout en gérant ses différentes influences (zouk lassant et autres tendances). Il n'y a pas que la rumba "pur pays" en tous cas qui règne en maître sur l'album. Les emprunts à la tradition abondent sur ses treize titres. Dommage qu'aucune explication ne vienne nous éclairer sur la genèse de ce dernier opus. Pour l'ouverture, Requiem rappelle de loin, le Smooth du dernier Santana, sans les guitares saturées. On se laisse entraîner sur Chéri Yani, ambiance papa façon Poto-Poto : le charme rétro à l'épreuve. Mama Nzele est un peu chargée côté clavier mais tourne tout aussi bien. Mouti Mou Commandant est un tube à prescrire pour les déprimés du service. Ironie grinçante et pied danseur, attention aux reins qui dérapent en boîte de nuit. Le jeu est tout en douceur… Un album inédit qui se défend sans excès. Rien à voir avec sa dernière compilation, sortie chez Barclay et sur laquelle Dutronc était venu prêter main-forte. Un peu trop mélancolique pour les fanatiques de l'Ancien Combattant.
Renaissance (Melodie /Celluloid)2000