Palabres dans la famille éléphant

Touré Kunda, hommes d'"affaire"

Touré Kunda, groupe pionnier et précurseur en France de ce qu'on a appelé par commodité "la vague africaine" est revenu récemment sous les feux de l'actualité. Avec un nouvel album, une tournée en première partie de Santana et... une action en référé.

Artisan de l'émergence des musiques africaines en France à la fin des années 70 (plusieurs fois disque d'or), Touré Kunda a subi de plein fouet il y a quelques années la frilosité et le désengagement persistant de la plupart des radios pour les rythmes venus d'ailleurs que du monde anglo-saxon. Ajoutés à cela, un dérapage du destin (le décès d'Amadou en 1983) et des querelles intestines, le groupe eut bien du mal à se maintenir à flot. Seuls rescapés de l'aventure, ceux par qui tout a commencé, les premiers frères de la famille à être venus s'installer en France : Ismaïla et Sixu Tidiane Touré. Ils sont les maîtres d'œuvre, chanteurs, percussionnistes et auteurs compositeurs de «Terra Saabi», sorti en mai dernier, quelques jours avant qu'ils n'entament une tournée européenne en première partie de Carlos Santana. Un album dont le titre, qui signifie «quelle belle terre» en créole portugais, précisent-ils, semble faire directement écho aux propos que tenait récemment le guitariste hispano-américain lors de son passage à Paris : «Les artistes sont là pour montrer la beauté».

Basés en France depuis vingt ans, Ismaïla et Sixu Touré, chantent dans quelques-unes des nombreuses langues utilisées au Sénégal, notamment en mandingue, en wolof et en français. "Diboucocoulambé" , une chanson dressant «le constat amer de l'inutilité des guerres et des souffrances des populations qui les subissent» est interprétée, elle, en diola, parlé plus particulièrement en Casamance, leur région d'origine, située au sud du pays. La présence également du créole portugais dans cet album, renvoie directement à l'histoire de la Casamance, que les Portugais se sont appropriée au XVème siècle avant de la céder à la France en 1886. Tout Terra Saabi est ainsi, parsemé d'allusions plus ou moins directes à la culture et à l'âme du Sénégal, émaillé de messages. «Nous n'avons jamais chanté quelque-chose qui ne porte pas un message, qui n'exprime pas notre point de vue sur telle ou telle question» déclare Ismaïla que les récentes frictions surgies à nouveau entre la Mauritanie et le Sénégal ont particulièrement préoccupé. «On est sans arrêt sur le fil du rasoir et pourtant, comme le dit Sixu, le Sénégal et la Mauritanie sont condamnés à vivre ensemble. Moi-même, je suis sénégalais mais j'ai une partie de moi en Mauritanie. Quand nous étions petits, c'est là-bas que nous allions en vacances. Malheureusement, on a l'impression parfois que ceux qui nous dirigent ont des intérêts qui nous échappent. Lorsque les chefs d'Etat n'ont pas la passion, l'envie d'éviter des difficultés à leurs peuples, quand ils commencent à avoir des problèmes d'ego, c'est la population qui trinque.»

L'élection d'Abdoulaye Wade n'est-elle donc pas une chance pour le Sénégal, comme ses électeurs le pensent ? «Je ne me prononce pas, déclare, prudent, Ismaïla. On ne sait pas qui est qui. J'attends de voir. A l'évidence, le Sénégal avait besoin de changement. Depuis les indépendances, les choses ont été faites à reculons, il faut bien le dire». «C'est la jeunesse qui a élu Wade,renchérit Sixu. Elle attend beaucoup de lui. Il y avait un immense ras-le-bol dans tout le pays». Quand il s'agit de parler de chez eux, de musique, de leur nouvel album, les Touré Kunda sont intarissables.
En revanche, gare à ceux qui voudraient «se mêler de ce qui ne les regarde pas» s'emporte Ismaïla. Evoquer par exemple cette action en justice intentée par Hamidou "Seta" et Ousmane Touré, anciens membres du groupe, contre Carlos Santana, pour contrefaçon d'un de leurs thèmes figurant sur son dernier album et best-seller «Supernatural» ( plus de 12 millions d'exemplaires vendus). Une telle action déclenchée au moment où le groupe entame une tournée avec la star, cela fait quelque peu désordre... «Les droits d'Ousmane et Hamidou ont été respectés» comme à chaque fois que des «œuvres écrites et composées par les quatre frères ont été rééditées dans le monde» répondent Ismaïla et Sixu Touré dans un communiqué adressé à l'AFP. Tous les deux ajoutent qu'EMI, éditrice du titre controversé («Africa Bamba») avait été informée en son temps du désir du musicien américain d'adapter la composition. «Dans les rapports familiaux, on ne vit pas toujours de miel. Mais pour nous nos frères sont nos frères et on ne doit laisser personne se mêler de cela, gronde Ismaïla. La presse parle trop souvent de choses qui ne la regarde pas.»

Touré Kunda Terra Saabi (Edel) 2000