Brel : 20 ans
Jacques Brel est mort le 9 octobre 1978. Vingt ans déjà qu'il ne respire plus le même air que les bourgeois, les Flamandes et les bigotes. Disparu à quarante-neuf ans, Jacques Brel n'a pas eu le temps d'être vieux. Et il lui aura fallu beaucoup d'énergie pour être adulte.
Ne nous quitte pas
Jacques Brel est mort le 9 octobre 1978. Vingt ans déjà qu'il ne respire plus le même air que les bourgeois, les Flamandes et les bigotes. Disparu à quarante-neuf ans, Jacques Brel n'a pas eu le temps d'être vieux. Et il lui aura fallu beaucoup d'énergie pour être adulte.
Jacques Brel naît le 8 avril 1929 à Bruxelles-Schaerbeek. D'un point de vue froidement socio-professionnel, sa famille appartient à la bourgeoisie industrielle : son père, Romain Brel, possède une cartonnerie, sa mère, née Elisabeth Van Adorp, élève dans leur vaste demeure leur fils aîné, Pierre. Toute la petite famille, vers 1936, roule dans de fort seyantes berlines. Au second regard, les choses sont moins tranchées : Romain Brel, fils de paysans, a bâti le début de sa fortune en osant partir, à vingt-six ans (vingt ans avant la naissance de Jacques...), vers l'immense Congo, "pour un de ces minuscules comptoirs de brousse où la plupart des coloniaux s'abîment dans l'alcool, les amours ancillaires et le racisme ordinaire", selon les mots du tout récent "Grand Jacques. Le roman de Jacques Brel", de Marc Robine. Quant à la mère de Jacques, elle entretient à partir de 1940 une liaison quasi officielle avec un jeune et brillant précepteur de son fils...
Quand, ensuite, les écrivains favoris du jeune Jacques, élève fort moyen de l'enseignement catholique, se nommeront Fenimore Cooper, James Oliver Curwood, Jack London et Saint-Exupéry (plutôt celui de Vol de nuit que celui du Petit Prince), nul ne pourra décemment s'en étonner. Pas plus que quand il écrira "Mon père était un chercheur d'or. L'ennui, c'est qu'il en a trouvé" (Grand Jacques, p. 24), qu'il confessera, chanson après chanson, une misogynie remplie de panache, ou qu'il passera successivement tous ses brevets de pilote d'avion (1970) et de capitaine de bateau (1974)...
Pour l'heure, nous sommes en septembre 1953. Armé d'une guitare et d'une fine moustache, Jacques Brel, auteur-compositeur-interprète et cadre dans la cartonnerie paternelle, débute. Deux semaines sur la scène des Trois-Baudets, célèbre cabaret parisien dirigé par Jacques Canetti, découvreur de talents. Le succès n'est pas immédiat : "Quand on n'a que l'amour" ne survient qu'en septembre 1956. La consécration, elle, arrive en 1959, avec un quatrième album ("Les Flamandes", "Ne me quitte pas"). En novembre 1959, Brel est enfin tête d'affiche d'un grand music-hall, Bobino.
Dès lors, les années 60 seront des années Brel, même pour ceux qui se tortillent sans vergogne à l'écoute de Danyel Gérard et de Johnny Hallyday. Mais en 67, lassé, Brel quitte la scène. Il navigue, tourne au cinéma ("La bande à Bonnot", "Mon oncle Benjamin" ou l'extraordinaire "L'emmerdeur") et ne sort plus que deux disques : l'un en 68 ("J'arrive", "Vesoul"), le second en 1977 ("Les remparts de Varsovie", "Les Marquises"). Ce sera le dernier : depuis octobre 1974, Jacques Brel sait qu'il souffre d'un cancer du poumon gauche. Après une opération réussie, à Bruxelles en novembre 1974, il navigue de nouveau vers les Antilles, puis vers les Marquises, où il s'installe.
La mort est au rendez-vous quatre ans plus tard. Mais elle ne viendra pas du cancer. D'après "Grand Jacques" (p. 574), "mi-septembre 78, au retour d'un voyage à Genève, (...) quelques photographes aperçoivent Brel dans les couloirs de l'aéroport et se lancent à sa poursuite, appareil en mains. Pour échapper à la meute, Jacques ouvre la première porte venue et se réfugie dans un local d'entretien, tandis que sa compagne Maddly fait tout ce qu'elle peut pour entraîner les photographes à sa suite... Le temps s'éternise et le local où Jacques s'est caché est particulièrement frais. Trop légèrement vêtu, il reste là, longtemps, à grelotter, en attendant que Maddly revienne le délivrer. Il prend froid... et une sale bronchite se déclare, qui provoquera l'embolie pulmonaire dont il décédera le 9 octobre 1978, à 4 h 30 du matin."
Vingt ans après, on cherche toujours l'auteur qui saurait trousser, à la façon des "Bigotes", le portrait des parrains de la presse à scandales.
Jean-Claude Demari
Début septembre 98 est paru un pavé de 670 pages, "Grand Jacques. Le roman de Jacques Brel" (éditions Anne Carrière-Chorus). Un livre exhaustif et touchant. Auteur de Grand Jacques, Marc Robine est aussi musicien et journaliste à Chorus. Entretien-express :
- Que faisiez-vous le 9 octobre 1978 ?
- Je vivais en communauté dans une grande maison à côté de Concarneau. Une petite fille, Aurore, venait d'y naître. Au bulletin d'info de 10 h, nous apprenons la mort de Brel. Est alors tombée une atmosphère étrange, joie infinie contre immense chagrin. Aucun de nous ne pensait que Brel pouvait mourir, même si on le savait malade.
- Qu'est-ce qui vous a poussé à vous engager dans dix ans d'écriture sur Brel ?
Il se passe peu de jours sans que je pense à lui. Pour des moments de vie. Pour le regard qu'il pose sur le monde. Un regard attentif, sans complaisance, mais que tout touche, que tout marque. Pas de méchanceté, de cynisme, de misanthropie. Mais un regard extraordinairement vigilant : "L'oeil du berger et le coeur de l'agneau"...
Propos recueillis par Jean-Claude Demari
Pour mémoire, voici quelques filons pour revisiter les grands moments de la vie et de la carrière de Jacques Brel :
DISQUES :
-Grand Jacques (Intégrale en 10 CDs + livret/ Barclay Polygram, 816 719 2)
-J'arrive (Compilation/ Barclay Polygram 557 759 2)
LIVRES :
-Jacques Brel, une vie/Olivier Todd (Robert Laffont, 1984. Edition revisitée, 1998)
-Œuvre intégrale/Jacques Brel (Robert Laffont)
-Jacques Brel/Jean Clouzet (Seghers - poésies, chansons)
-Jacques Brel, le rêve partagé /Eric Zimmerman, Jean-Pierre Leloir (Didier Carpentier, 1998)
-Jacques Brel is Alive and Well Living in Paris/ Eric Blau (Hal Leonard Corporation, 1971). En anglais.
T.V. :
-La chaîne de télévision belge rtbf diffusera le vendredi 9 octobre un documentaire reprenant deux interviews de Brel en 61 et 71, "Je m'appelle Jacques Brel".
-RFO (Radio France Outremer) diffusera sur sa chaîne Satellite le 8 octobre un documentaire sur Jacques Brel et les Iles Marquises.
-La 2ème chaîne de télévision française France2 a de son côté enregistré un divertissement, "Je vous ai apporté des chansons", au cours duquel de nombreux artistes (Maurane, Serge Lama, Indochine, Lara Fabian, …) interpréteront les plus belles chansons de Brel. Samedi 10 octobre.
SPECTACLES :
-La dernière compagne de Brel, Maddly Bamy met en scène un spectacle dans lequel elle interprétera à tour de rôle avec six autres comédiens-chanteurs, 25 titres de l'artiste. Ce spectacle, "Le Monde de Brel", est créé en avant-première à Béziers, dans le sud de la France, les 16 et 17 octobre.
-A Berlin, en Allemagne, c'est le comédien allemand Dominique Horwitz qui interprète seul sur scène 22 titres de Brel, en français. Le spectacle est programmé pour un mois à Berlin jusqu'au 25 octobre au théâtre du Bar Jeder Vernunft.
INTERNET :
-Sur notre site rfimusic.com, vous pouvez bien sûr consulter une bio très riche sur Brel accompagnée d'une discographie sonore.
-Un site belge assez complet avec une bio, beaucoup de photos et la quasi-totalité des textes.
-Enfin, le magazine Chorus raconte largement l'entretien légendaire entre Brel, Georges Brassens et Léo Ferré le 6 janvier 69. En outre, leur numéro d'automne (N°25) est largement consacré à Jacques Brel.
Catherine Pouplain