Chanteuses et lectrices

Ces derniers jours, deux chanteuses ont délaissé la musique, les partitions et les vocalises pour offrir au public leur voix parlée. Pour dire, lire et jouer en solo complet. Deux chanteuses au tempérament singulier, au répertoire florissant. D'une part Juliette qui, dans le cadre historique de la Conciergerie, nous a plongés dans l'univers onirique des fabliaux et contes médiévaux. D'autre part, Sapho, femme de lettres, connaisseuse du verbe, qui s'est laissé attirer vers l'art de dire les mots après les avoir tant écrits.

Juliette et Sapho disent textes et poèmes

Ces derniers jours, deux chanteuses ont délaissé la musique, les partitions et les vocalises pour offrir au public leur voix parlée. Pour dire, lire et jouer en solo complet. Deux chanteuses au tempérament singulier, au répertoire florissant. D'une part Juliette qui, dans le cadre historique de la Conciergerie, nous a plongés dans l'univers onirique des fabliaux et contes médiévaux. D'autre part, Sapho, femme de lettres, connaisseuse du verbe, qui s'est laissé attirer vers l'art de dire les mots après les avoir tant écrits.

Elle est loin l'époque où sur scène, entre deux chansons, Léo Ferré lisait Apollinaire, où Reggiani récitait Baudelaire et Montand, Prévert. Les chanteurs aiment les poètes et les beaux textes. Mais peu ont osé consacrer un spectacle entier à cette autre passion. L'art est difficile et la différence entre le chant et la parole est pour beaucoup trop redoutable à exploiter sur scène. Jeudi 28 septembre, Jean-Louis Murat s'est cependant laissé aller à ce plaisir en lisant les Lettres à Essenine de l'Américain Jim Harrison lors des Nuits de la correspondance à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence). Le lendemain, c'est Juliette, chanteuse de son état, qui se lançait à l'assaut d'une littérature médiévale profane et populaire face à son public pour le moins curieux de cette parenthèse expérimentale.

Juliette lit

Les représentations ont pour décor les voûtes gothiques de la Conciergerie, célèbre prison parisienne du XIVème en quai de Seine, dont la captive la plus fameuse fut la reine Marie-Antoinette qui y séjourna avant de se faire étêter. Dans un coin de la salle d'armes longue de 69,30m, Dame Juliette arrive en chantant, chandelle à la main, telle une diseuse de bonne aventure. Diseuse, c'est ce qu'elle est derrière sa table d'où elle ne bouge pas de tout le spectacle, la seule mise en scène étant plus une mise en décor qui rhabille les murs de lumières et d'images. Fabliaux, contes, cette littérature drôle et parfois grivoise, en marge d'une religion alors omniprésente, ne pouvait que séduire la chanteuse. Et pourtant, l'idée n'est pas d'elle mais de Philippe Corbin, le monsieur-spectacles de la Caisse Nationale des Monuments Historiques, lequel, sans doute inspiré par la personnalité de Juliette, lui a proposé de lire quelques textes choisis au milieu de plusieurs dizaines : "Ce qu'on m'a proposé était très divers, des contes amusants, fantastiques, quelques coquineries, une grande variété pas si éloignée de mes chansons." Ménestrels, bossus, fées, chevaliers et damoiseaux, pimentent ces récits vieux de presque huit cents ans, passionnant un public du XXIème siècle de tous âges et fort attentif.

Tâtonnante dans ce genre nouveau, Juliette perçoit cependant une large différence avec son art d'origine : "C'est beaucoup plus facile de lire. La chanson demande une autre concentration. Il y a la musique, le texte, les musiciens, il faut tout surveiller. Là, je suis en cavalier seul, ma propre patronne. Et la voix parlée est moins fatigante que le chant." La chanteuse-diseuse ne semble avoir de mal à s'adapter à sa solitude de scène et trouve sa place dans ce Moyen-Âge porteur d'imaginaire. En semant ça et là quelques réflexions, elle donne une touche anachronique et personnelle à l'ensemble. Sans aucun doute, quelques gens de théâtre, voire de cinéma, devraient prochainement s'intéresser à la damoiselle. A suivre.

Sapho dit

Non loin de là, sur l'autre rive de la Seine, Sapho a, elle, investi la grande salle de la Maison de la Poésie, rue Saint-Martin, depuis le 21 septembre et pour encore un mois. Seule en scène, dans une longue robe de laine noire, les cheveux relevés, la chanteuse d'origine juive marocaine se lance à l'assaut de textes de quatre auteurs, de quatre mondes : l'Espagnol Federico Garcia Lorca, l'Allemand Rainer Maria Rilke, les Français Charles Baudelaire et Henri Michaud. La scène, noire et profonde, baignée de lumières rouges, habille la mise en espace de Michel de Meaulnes. A l'instar de Juliette, le spectacle est né d'une proposition : "Michel de Meaulnes et Franck Smith (auteur et conseiller littéraire du Théâtre Molière-Maison de la Poésie, ndlr) sont venus me dire qu'ils me suivaient depuis longtemps et qu'ils aimeraient que je fasse quelque chose avec eux à la Maison de la Poésie. Mais quoi ? Pas mes trucs donc j'ai proposé Rilke. Mais seul, ils n'en voulaient pas. J'ai donc pensé à quatre auteurs. Ils ont adoré l'idée de Lorca et de Baudelaire mais ont tiqué sur Michaud que je voulais pour égayer l'ensemble. Et finalement, on a fini par se mettre d'accord."

Après avoir écrit, chanté, dessiné, cette dernière expérience trouve sa place dans un parcours qui a toujours tourné autour des mots : "Pour moi, la poésie a toujours été une passion. Je trouve que c'est le suc de l'écriture, sa plus haute expression. Je suppose que lorsqu'on écrit soi-même, on adore la texture du texte, on le goûte, on sait très bien que c'est un tissage, un travail minutieux". C'est vrai que sur scène, Sapho s'accroche à chaque mot, ne lâche jamais prise, colle à son verbe avec ardeur et précision. Goût d'un certain péril, d'une certaine remise en cause de la part d'une artiste qui ne se ménage pas. "La poésie, c'est un moment de danger. S'il n'y a pas de risque de chute, de risque de mort, il n'y aura pas de grâce. C'est ce que Lorca appelle le duende. Cette notion de risque, c'était une de mes motivations."

Et pourtant, Sapho, contrairement à Juliette, a connu la scène en tant qu'actrice à ses tous débuts. Mais la tâche n'est pas plus simple pour autant : "Lire un texte est très facile pour moi, le bottin n'importe quoi, n'importe quand. Mais ce que je fais en ce moment, c'est beaucoup plus dur. J'avais oublié à quel point tout est si précis dans le théâtre, tous les mots, les emplacements dans la lumière. En musique, je ne travaille pas autant. J'ai un capital plus important." Le seul cousinage que Sapho perçoit entre les deux métiers, c'est la voix, le rapport à la voix : "Les chanteurs sont plus musiciens qu'acteurs sauf certains comme Brel. Moi, mon parcours est d'abord dans l'écriture qu'elle soit musicale ou textuelle." D'ailleurs elle chante, un peu, des airs de Lorca (Cancion deljinete). Sapho, écrivain et lectrice, dit aussi voir et donner à se voir, être des deux côtés du miroir : "C'est un balancement troublant voire douloureux, mais passionnant."

Les deux chanteuses n'excluent pas de renouveler cet exercice vocal dans des directions différentes. Vers la littérature arabe pour Sapho ? "Oui, mais l'atmosphère et la mise en scène seraient complètement différentes". D'autres chanteurs les suivront-elles dans cette voie (voix) ?

Juliette en tournée en France à partir du 7 octobre et au Québec du 1er au 15 novembre.
Détails sur http://www.chez.com/juliettenoureddine/

Sapho, jusqu'au 29 octobre à la Maison de la Poésie, 157, rue Saint-Martin, Paris (01.44.54.53.00)
Patio, opéra intime (1999, stock)