Arno dans la cité

Ces trois derniers jours, la Cité de la musique, antre parisienne d'une culture musicale de qualité (certains diront élitiste), a reçu Arno dans ses murs pour une libre création, une carte totalement blanche. Le chanteur flamand fut à la hauteur de l'enjeu, offrant une prestation riche et habitée, un bal rock'n'roll auquel a répondu un public tout acquis.

Carte blanche au rocker d'Ostende

Ces trois derniers jours, la Cité de la musique, antre parisienne d'une culture musicale de qualité (certains diront élitiste), a reçu Arno dans ses murs pour une libre création, une carte totalement blanche. Le chanteur flamand fut à la hauteur de l'enjeu, offrant une prestation riche et habitée, un bal rock'n'roll auquel a répondu un public tout acquis.

Parmi les dernières créations culturelles de l'ère Mitterrand, la Cité de la musique fut inaugurée en 1995. Cet ensemble architectural contemporain, très ouvert et très élégant, au nord-est de la capitale, offre à ses visiteurs toutes les façons d'approcher cet art : concerts bien sûr, musée, mais aussi conférences, enseignement, rencontres professionnelles, ateliers pour les enfants. Si les musiques classique et contemporaine tiennent une place maîtresse dans la programmation, la chanson et les musiques du monde sont aussi fort bien traitées en particulier grâce à ces "carte blanche" où, dans les limites de la mission que s'est donnée la Cité – ce n'est pas un club de rock et les décibels élevés ne sont pas forcément les bienvenus -, un artiste peut monter un spectacle tel qu'il le souhaite, loin de tous soucis promotionnels.

C'est ainsi qu'après Jacques Higelin, les Rita Mitsouko, Caetano Veloso et bientôt le Kabyle Aït Menguellet, c'est à Arno que Brigitte Marger, directrice générale de la Cité et conseillère artistique, à proposé la mise. Contrairement à d'autres (n'est-ce pas Jacques ?…), le Belge s'est investi dans cette création avec beaucoup de sérieux et de plaisir. Mais aussi un peu de perspicacité au début : "C'est une salle où on ne peut pas faire ce qu'on veut, hein ? On est obligé de jouer semi-acoustique. Les techniciens sont venus me voir à Bruxelles pour parler du son, je devenais fou. Je trouvais ça bizarre. Est-ce qu'ils avaient peur qu'on fasse beaucoup de bruit ?"*.

Du bruit, ils en ont finalement fait. Et personne ne s'en est plaint. Pourtant, tout a commencé sobrement. Le public, plutôt jeune (25-40 ans) et branché (hype qu'ils disent maintenant), s'est d'abord installé sagement dans les fauteuils de velours bleu de la très austère salle des concerts où résonnent plus souvent du Schoenberg que du rock'n'roll. Clope au bec, dans un costume noir à fines rayures, Arno investit la scène, à la suite de son groupe, cinq fabuleux musiciens qui sont pour beaucoup dans la classe du spectacle : Mirko Banovic (basse), Geoffrey Burton (guitares), Gwen Cresens à l'accordéon, Serge Feys (piano, claviers) et Rudy Cloet (batterie), ces deux derniers jouant avec Arno depuis TC Matic au début des années 80. Quand il entame son premier titre, Marie tu m'as, sa voix, merveilleusement cassée, détruite par la nicotine – difficile d'imaginer qu'Arno chanta Faust deux mois durant à l'Opéra de Paris en 86…-, laisse pourtant chacun sous le charme. Une fois de plus.

Peu de chansons récentes – il s'en excuse ironiquement auprès de sa maison de disques -, à l'exception de Tatouages, extraite de son dernier CD, A poil commercial, et dans laquelle il parle de son fils de 12 ans. L'essentiel du répertoire de cette Carte blanche est plutôt puisé dans les vieux titres comme Elle adore le noir, époque TC Matic en 85, ou le classique Putain, Putain, "nous sommes tous des Européens", morceau incontournable, écrit en 83. Chanteur polyglotte, Arno place environ cinq ou six chansons en anglais, mêlant parfois les deux langues. Chanson après chanson, on succombe. On oublie ses paroles hésitantes, ses gestes de pantin désarticulé, mais si vivant.

Dans une ambiance de boîte à musique cassée ou de kermesse rock, il aligne Le Bon Dieu de Brel, Mon sissoyen ou Le Tango de la peau. Pour Les Yeux de ma mère, il est seul avec Serge Feys au piano. Emotion. Il rend aussi hommage à Jean-Roger Caussimon, "un de mes poètes français préférés" et à Léo Ferré via Comme à Ostende. Mais quand il attaque un blues de Willy Dixon, harmonica aux lèvres, Geoffrey Burton à la steel guitar, la magie opère. Totale. 

Plus le concert avance, plus le public se lève, danse, s'approche de la scène. De la salle, Arno se fait interpeller par quelques spectateurs à l'accent belge. Mais le dialogue ne s'installe guère. Le fond de scène, jusque-là noir, devient rose, puis rouge fluo. L'électricité se fait plus cinglante, l'ambiance plus chaude. Quand Arno attaque Les filles du bord de mer devant un fond bleu pétard, l'écho de la salle s'amplifie. La Cité de la musique se transforme en un banquet géant où on balance de gauche à droite, bras dessus, bras dessous avec son voisin d'agape. Enfin, après Putain, Putain, l'homme présente les musiciens sur l'air de l'Hymne à la joie à l'accordéon. En rappel, quatre titres dont un seul d'Arno : Je suis sous de Nougaro, Boogie Boogie Into Town, l'inattendu Ils ont changé ma chanson, créé par l'Américaine Mélanie en 1970 ("What Have They Done To My Song, Ma") et le bouleversant Lonesome Zorro qu'avait repris Bertrand Blier pour son film Merci la vie en 1991.

Pas de préjugés chez Arno. Poésie imbibée, rock saturé, valses punk, blues, balloche ou variétoche, tout est bon à prendre. Rien à jeter. Le feeling comme seul patron. Ces trois jours, le cadre fut nouveau (la Cité de la musique), l'initiative différente (la carte blanche), mais la sensibilité fut toujours aussi vive, la rage toujours aussi tendre, comme il le dit lui-même : "C'est vraiment Arno. Une larme et un sourire."*

*Propos recueillis par Frédéric Lecomte pour la Cité de la musique.
Arno / A poil commercial (Delabel/Virgin)
En tournée : le 20 à Ljubjana en Slovénie et le 26 à Prague (République tchèque).
Le 11 novembre à Bruxelles, Arno partagera la scène de l'Ancienne Belgique avec un plateau d'invités (Axelle Red, Deus, Sttellla) pour un grand concert au profit d'Amnesty International