MODJO NON MODERATO
Paris, le 11 octobre 2000- Et re-belote. Avec « Lady », numéro 1 en Angleterre, Modjo réédite le coup de Mr Oizo qui, l’année dernière, propulsait son « Flat Beat » en tête des charts britanniques. Ce n’est pas que le marché anglais soit aujourd’hui l’un des plus dynamiques sur le plan musical: mais c’est un symbole fort de la lutte d’influence que se livrent, depuis Jeanne d’Arc, perfide Albion et doulce France…
L’arbre qui cache la forêt ?
Paris, le 11 octobre 2000- Et re-belote. Avec « Lady », numéro 1 en Angleterre, Modjo réédite le coup de Mr Oizo qui, l’année dernière, propulsait son « Flat Beat » en tête des charts britanniques. Ce n’est pas que le marché anglais soit aujourd’hui l’un des plus dynamiques sur le plan musical: mais c’est un symbole fort de la lutte d’influence que se livrent, depuis Jeanne d’Arc, perfide Albion et doulce France…
Or, il faut bien reconnaître qu’on n’avait pas vu deux numéros 1 français, en Angleterre, deux années de suite depuis… depuis quand, d’ailleurs ? De mémoire de statisticien-mélodiste, ça n’est en fait jamais arrivé.
Au-delà de l’anecdotique match France-Angleterre, il s’agit bien là d’une tendance lourde, comme on dit, de l’industrie phonographique française à l’export. Jamais les chiffres de vente de notre musique à l’étranger n’ont été aussi flatteurs : en 1992 nous vendions 1,5 million de disques hors de nos frontières. En 99 nous en avons vendu 13 millions, soit pratiquement dix fois plus.
C’est qu’entre-temps sont apparus deux phénomènes aujourd’hui clairement identifiés : d’une part la « French touch » techno et dance, personnalisée par des Laurent Garnier, Air, Dimitri from Paris et autres Daft Punk ; d’autre part la « world music » de Manu Chao ou Khaled –ce dernier étant en ce moment numéro 1… au Brésil !
Le résultat chiffré de tout cela est qu’avec 800 millions de francs réalisés à l’export, l’industrie phonographique française a rejoint le chiffre d’affaires à l’export du cinéma français. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes musicaux si la réalité culturelle n’était pourtant très différente.
La semaine dernière, j’animais en Indonésie un séminaire musical regroupant des DJ’s de plusieurs pays d’Asie. Etaient représentées les plus importantes radios de Hong-Kong, Taïwan, Philippines, Thailande, Malaisie, Indonésie… Dans la quasi-totalité des play-lists de ces radios, Modjo était déjà classé, entre le numéro 1 et le numéro 5. Je m’amusai à un petit sondage express auprès des animateurs présents : qui pouvait me donner la nationalité de Modjo ?
Aucun ne savait qu’il s’agissait d’un groupe français. Et personne n’avait bien sûr entendu parler de Romain Tranchart ni de Yann Destagnol, des noms qui sonnent pourtant bien de chez nous !
Alors, dira-t-on, peu importe à l’heure du village global qu’on identifie la nationalité de tel ou tel artiste. Il n’y a que le résultat (chiffré) qui compte. Ce serait oublier que la France se veut le chantre de l’exception culturelle. Or, ne nous faisons aucune illusion : la seule possibilité, aujourd’hui, d’entrer dans les charts de radios formatées « Top 40 » -et c’est l’immense majorité des radios musicales à travers le monde- est d’offrir un « produit » tout aussi formaté, c’est-à-dire américanisé.
C’est le cas de Modjo, comme c’était le cas de Mr Oizo ou de Daft Punk. Cela ne remet nullement en question l’intérêt de ces productions ; mais il y a une forte hypocrisie à dire, comme on l’entend un peu partout en ce moment, que « la chanson française ne s’est jamais aussi bien vendue à l’étranger ». La vérité est que sans l’AFAA et les subventions publiques, ni Zazie ni Julien Clerc n’auraient chanté en Asie. Modjo, sans doute, le pourra. Mais savent-ils chanter ?…
La "French touch" est un bel arbre, en forte croissance. Mais il ne saurait cacher la forêt d’une chanson francophone qui, décidément, ne prospère que sous nos latitudes.
Jean-Jacques Dufayet