Rachid Taha

Depuis qu'il a quitté la banlieue lyonnaise et s'est séparé de son groupe Carte de Séjour, Rachid Taha a entamé une vraie vie de nomade, voyageant entre le rock, les musiques électroniques et le chaâbi arabe. Celui qui s'est offert un tube international avec Ya Rayah, revient avec un nouvel album, Made in Medina. Enregistrant ses chansons entre Paris, Londres, Marrakech et la Nouvelle-Orléans, l'éternel rebelle de la 'world music' a concocté un mélange jouissif où l'électronique et la transe vaudou rencontrent des guitares très rock.

Du bled à la médina

Depuis qu'il a quitté la banlieue lyonnaise et s'est séparé de son groupe Carte de Séjour, Rachid Taha a entamé une vraie vie de nomade, voyageant entre le rock, les musiques électroniques et le chaâbi arabe. Celui qui s'est offert un tube international avec Ya Rayah, revient avec un nouvel album, Made in Medina. Enregistrant ses chansons entre Paris, Londres, Marrakech et la Nouvelle-Orléans, l'éternel rebelle de la 'world music' a concocté un mélange jouissif où l'électronique et la transe vaudou rencontrent des guitares très rock.

Nous avons enfin réussi à rattraper le chanteur errant dans les bureaux de sa maison de disques à Paris où, les cheveux ébouriffés et les yeux cachés derrière les lunettes de soleil - genre "Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit" - il répond à mes questions d'une voix délicieusement enrouée :

D'ou vient le titre de votre nouvel album, Made in Medina ?
Medina, en arabe, ça veut dire "la ville nouvelle". C'est un peu la ville de tous les mystères - au niveau de l'architecture, de l'atmosphère, du caractère et tout. Ce titre reflète bien l'esprit de l'album.

Medina ne fait donc pas référence à une ville en particulier. Vous avez depuis longtemps la réputation d'être un nomade musical, mais n'aurait-il pas été plus simple d'enregistrer l'album dans un seul endroit ?
J'ai choisi d'enregistrer le nouvel album dans quatre villes différentes : Marrakech, la Nouvelle Orléans, Londres… et Paris ! Pour moi, la Nouvelle-Orléans, c'est la banlieue de Paris. Paris, c'est la banlieue de Londres et Londres est la banlieue de Marrakech ! C'est ma conception du monde en tout cas. Ça aurait été beaucoup plus difficile il y a un siècle peut-être, mais on vit à une époque où on peut en quelques heures passer de ville en ville et je ne vois pas pourquoi je m'en priverais. En même temps c'est beaucoup plus simple d'aller au Maroc que de faire venir les Marocains…

Ou, dans votre cas, les Marocaines…
Oui, sur le nouvel album, j'ai travaillé avec B'Net Marrackech, un groupe de musiciennes qui vivent au Maroc. Je les avais rencontrées lors d'un concert il y a quelque temps - un soir elles avaient même chanté avec nous sur scène. Alors, quand je suis allé en studio cette fois-ci, j'ai tout de suite pensé à elles. Je n'avais pas besoin de chercher dans les pages jaunes ! (Explosant d'un grand éclat de rire, Rachid boit son café de travers et faillit s'étrangler!)

Made in Medina est un vrai melting-pot des styles. Vous mélangez le chaâbi avec le rock, l'electro et le rhythm'n'blues - il y a même une dose d'orgue Hammond très funky sur le titre La Vérité. Mais il me semble que dans l'ensemble Made in Medina est beaucoup plus rock que vos albums précédents ?
Oui, c'était une volonté … Le rock a servi de base pour tous mes albums. J'aime bien le son de la guitare, j'adore son côté sombre et en même temps héroïque. Mais il y a plein d'autres instruments sur le nouvel album tels que le violon, le oud (luth arabe, ndlr), le qanoun (cithare à 70 cordes, ndlr) et beaucoup d'instruments de percussion y compris le derbouka (percussion sur peau, ndlr), le tabla (percussion indienne composée de deux timbales), le bendir (grand tambour, ndlr). Ce mélange est vraiment ancré en moi - j'ai été bercé dedans !

Vous appréciez l'étiquette 'world' ou ça vous énerve ?
Non, ça ne m'énerve pas. D'autant moins qu'avec mon nouvel album, je suis classé dans la catégorie rock maintenant ! Pendant un moment je suis même passé par 'techno' et 'ethno-techno'… Je pense que les gens ont besoin de coller les étiquettes. Et si ça peut les rassurer, s'ils y trouvent leur bonheur, pourquoi pas ? De toute façon, c'est un pléonasme, toute la musique qu'on écoute maintenant est 'world'.

J'ai lu récemment un article où on parlait de vous comme la version arabe de Joe Strummer (chanteur guitariste de The Clash).
Ah bon ? (Rachid fronce les sourcils, un peu perplexe). Ça me flatte. C'est un très bon musicien… C'est plutôt un compliment, non ?

Vous chantez la plupart des chansons sur le nouvel album en arabe - pourquoi pas en français ?
Parce que le français est un instrument dont je ne sais pas trop bien me servir. Quand je chante en arabe, ça vient directement comme ça, très spontanément. J'ai deux langues - le français que j'utilise tous les jours plus que l'arabe en fait, et j'ai l'arabe qui est pour moi un instrument de musique. Au début la langue arabe était aussi un moyen de revendiquer mon identité.

Il y a quand même un peu de français sur votre nouvel album, je pense à Ho chérie chérie, une très belle chanson d'amour …
Ça reprend la tradition franco-arabe. Tu sais, à un moment donné les Algériens chantaient beaucoup dans un mélange de français et d'arabe. C'est quelque chose de très ancien, qui date du début du siècle. C'est un hommage que je rends à cette tradition. D'ailleurs, ces deux langues marchent bien ensemble - Ho chérie chérie donne un mélange très mignon.

Puisque je ne parle pas un mot d'arabe, je n'ai pas compris grande chose aux textes - quel est le thème de la chanson Ala Jalkoum, par exemple ?
Cette chanson parle de quelqu'un qui a quitté son pays. Elle explique son départ, le pourquoi et le comment. Ça fait un peu référence à ce qui se passe actuellement en Algérie. J'avais 10 ans quand je suis parti d'Algérie, mais j'y retourne de temps en temps… Cette chanson est un duo avec Femi Kuti. Je connaissais déjà son père, Fela. J'ai fini par rencontrer Femi parce qu'on a les mêmes éditeurs, le même manager. J'avais envie d'avoir un côté africain sur Ala Jalkoum et la voix de Femi collait parfaitement.

Et puis il y a le groupe Galactic qui vient de la Nouvelle-Orléans ?
Je voulais faire le lien entre l'Afrique du Nord au niveau rythmique et la Nouvelle-Orléans avec le vaudou. Et puis en même temps la Nouvelle-Orléans a une histoire assez parallèle avec les autres pays francophones comme l'Algérie. Je voulais joindre les deux. Je voulais que ce soit un mélange, mais en même temps qu'il paraisse très naturel. J'ai rencontré le groupe Galactic quand j'ai fait mon premier - et seul - voyage à la Nouvelle-Orléans, il y a un an exactement. Cette ville m'a plu mais en même temps ça me foutait un peu les boules parce que l'apartheid est toujours très évident là-bas - il a les noirs d'un côté, les blancs de l'autre et ça c'est toujours très choquant.

Vous envisagez une tournée internationale pour promouvoir Made in Medina ?
Je n'ai pas encore de dates précises, mais je voudrais jouer un peu partout dans le monde. Un continent où je n'ai pas été, c'est l'Amérique du sud - ou la Chine peut-être, ça me plairait bien…

Rachid Taha Made in Medina ( Barclay/Universal) 2000