De Boniche à Zebda
Après les musiques électroniques, le dernier Taha et le Mami américain, voici notre dernier article de la série sur les musiques arabes qui présente un panorama des artistes d'origine maghrébine, de ceux qui participent au melting pot musical français.
Dernier volet de la série sur les musiques arabes
Après les musiques électroniques, le dernier Taha et le Mami américain, voici notre dernier article de la série sur les musiques arabes qui présente un panorama des artistes d'origine maghrébine, de ceux qui participent au melting pot musical français.
La France est un nouveau creuset pour la création musicale maghrébine. En mêlant, par le biais de la cohabitation et de l'intégration à la communauté française, des musiciens originaires de pays, d'ethnies et de langues diverses, l'Hexagone est devenu un passionnant laboratoire sonore et culturel où s'invente une nouvelle musique nord-africaine, comme s'est créée à Londres, une nouvelle culture indo-pakistanaise et anglo-jamaïcaine.
Inspiré de cette tradition, le Diwan de Béchar, et son noyau dur de six musiciens chanteurs, réunit des générations et des styles différents (raï urbain, musique paysanne, chanson française). Le Diwan de Béchar a repris à son compte les habitudes des travailleurs algériens immigrés à Paris et originaires de Béchar (l'ex-Colombéchar, base française du sud saharien), qui, dans les années 70, avaient pris l'habitude de retrouver l'air du pays chaque semaine en chantant et en dansant, vite rejoints par des ouvriers-musiciens nés ailleurs en Algérie.
Identités, le dernier album du plus choyé des chanteurs et militants kabyles, Idir, affirme la vitalité du laboratoire franco-maghrébin. Idir a enregistré avec les Bretons Dan Ar Braz et Gilles Servat, avec les Français Maxime Le Forestier, Manu Chao, Zebda, l'Ougandais Geoffrey Oryema, afin d'ancrer son identité "dans la banlieue parisienne où je réside". Idir chante de concert avec Amazir Kateb, fils de l'écrivain algérien Kateb Yacine, et fondateur de Gnawa Diffusion, groupe grenoblois qui se soucie peu des nationalités ou des appartenances ethniques : "Proche des gens simples et des musiciens du peuple, Amazir est en perpétuelle recherche des émotions vraies", dit Idir. Berbères et Arabes, Bretons et Galiciens, mélangent mots et rythmes.
Les Lyonnais de Zenzila qui font "l'apologie du bouillon de culture", "le zenzel", les Parisiens de Seba, qui eurent l'idée de vendre leur album chez les épiciers arabes, Sawt el Atlas, groupe franco-marocain originaire de la banlieue de Blois, chantent en français, en arabe ou en "francarabe". Ils ont puisé dans l'héritage du dub, du reggae, du raï, de la chanson ou du rock. Les mêmes paramètres ont présidé à la formation du groupe toulousain Zebda, dont le Tomber la chemise a connu un succès foudroyant lors de l'été 99. Militants de quartiers, délivrant une musique où la chanson kabyle s'appuie sur l'Occitanie, où le reggae sert de ressort, les Zebda ont combattu l'idéologie d'exclusion, intitulant notamment un de leurs albums Le bruit et l'odeur en 1995, en référence à un discours de Jacques Chirac, alors Premier ministre.
A l'instar de leurs aînés du groupe IAM, dans lequel le métissage de Marseille, leur ville, se reflète (Italiens, Maghébins, Arméniens, Africains s'y sont croisés de tout temps), les jeunes tchacheurs du 113, succès des ventes du premier semestre 2000, ont la langue bien pendue. Vitry, Orly, Choisy, Créteil : ces banlieusards de Paris abordent les sujets habituels du rap, la baston, la drogue, le ghetto, le chômage, les gangsters urbains, mais avec un ton de détachement réjouissant. Tonton du bled, pendant algérien de l'Antillais Tonton des îles, dans le même album, décrit le fossé des cultures, la double appartenance des jeunes issus de l'immigration, une situation parfois inconfortable.
Le "francarabe" a survécu à la dislocation de la communauté pied noir. Enrico Macias l'a évidemment pratiqué. Revenu sur le devant de la scène en 1999 grâce à un virage spectaculaire dans sa carrière - l'interprétation du répertoire arabo-andalou de son oncle Cheikh Raymond, aux côtés du brillant musicien classique Taoufik Bastanji -, Enrico Macias nourrit la musique franco-maghrébine de mille mariages : en duo avec le chanteur de raï oranais Cheb Mami, remixé par des champions de l'électronique, et revendiquant sans cesse la pluralité. Ce n'est pas Rachid Taha, auteur de Voilà voilà, écrite lors de la montée électorale du Front National, qui le niera. Taha fut le chanteur de Carte de Séjour, le groupe qui remit au goût du jour Douce France de Charles Trenet. Son dernier album Made in Médina enregistré entre la Nouvelle-Orléans, Marrakech, Londres et Paris est très largement marqué par le rock, entre riffs de guitares et voix rocailleuse.
Amina, Tunisienne ayant fait ses classes au festival de Carthage, avant de vivre à Paris, a, grâce au mariage des mélodies orientales et des machines, inventé, notamment aux côtés du producteur Martin Meissonnier et du bassiste sénégalais Wassis Diop, un nouveau son. Amina a su aussi séduire le cinéma (Un Thé au Sahara réalisé par Bernardo Bertolucci) et donner un goût d'Orient à la jeune chanson française. L'exemple type de cette mixité de la chanson française est sans aucun doute Faudel. Jeune, beau, très en voix, ce banlieusard affichant encore sa timidité, a représenté la France à New York début août, où il a chanté à Central Park, à l'instar de son aîné Khaled. Qu'aime Faudel ? "Charles Aznavour [avec qui il chanta en duo pour la télévision] et Cheikha Rimitti", la mère du raï, insaisissable grand-mère qui vit entre Barbès et Oran.
Véronique Mortaigne
Les nouveaux talents
Abdy signé chez V2 est né au Maroc et a grandi en France. Comme de nombreux jeunes gens de sa génération, il a été bercé par les deux cultures mêlant les rythmes orientaux et le son occidental. Il a suivi pendant plusieurs années des cours de musique au conservatoire avant de monter son propre groupe Abdy Jazzy-Raï. C'est avec le très célèbre arrangeur Safy Boutellah qu'il a enregistré son premier album Galbi. A l'instar de Tarkan, le chanteur turc à qui d'ailleurs il emprunte plus ou moins le look, Abdy lance un premier single dance Finek. Malheureusement l'alchimie entre les deux mondes musicaux n'est pas facile à trouver. Cet album qui flirte plutôt du côté de la pop a du mal à trouver ses marques.
La gente féminine n'est pas nombreuse dans le domaine. Assia fait partie de celles qui ont réussi à s'imposer. Née en Algérie et élevée en France aux sons du chaabi qu'écoutaient ses parents, Assia reçut, elle aussi, une éducation musicale classique au conservatoire. Après un premier single en 96, quelques featurings derrière Stomy Bugsy et Doc Gyneco un peu plus tard, elle sort enfin son premier album en mai 2000, Chercheuse d'or. Les deux titres Ghir Dini et Wine sont chantés en arabe. Mais c'est avec Elle est à toi, titre qui n'a rien à voir avec les mélopées arabes, qu'elle entre dans les charts français.
Le rap d'Algérie
Cette année 2000 est aussi marquée par le débarquement de deux groupes de rap. Intik, ("ça baigne" en argot algérois) est né de la révolte des jeunes en 88 en Algérie. Mais il a fallu dix ans à Youcef et ses trois acolytes pour que leur rap passe la Méditerranée. A l'invitation d'Imhotep, architecte sonore d'IAM, ils participent en 98 au festival marseillais Logique Hip Hop, sortant ainsi de l'underground algérois et signant avec une major, Columbia. Avec un album éponyme, Intik défend une certaine idée de la liberté, celle qu'il semble ne plus avoir depuis plusieurs années dans leur pays d'origine.
Eux aussi Algérois, MBS (le Micro Brise le Silence) en est à son troisième album, sorti chez Island/Universal, les deux premiers étant auto-produits. Cela fait six ans que le groupe est entré en scène. Dénonçant à la fois l'intégrisme, le terrorisme, la violence en générale dans laquelle il baigne depuis plusieurs années et le peu d'avenir de la jeunesse algérienne, MBS comme Intik rend compte à sa manière et à travers le hip hop, de la révolte de leur génération.
Valérie Passelègue
LES DISQUES :
l'ONB Poulina 1999 Virgin
Diwan de Béchar 1999 Samarkand/Night and Day
Idir Identités 1999 Sony
Gnawa diffusion Bab El Oued-Kingston 1999 Sonodisc/Musicsoft
Zenzila Le mélange sans appel 2000 Naïve
Seba Ewa 2000 Naïve
Sawt El Atlas Donia 2000 Small
Zebda Essence ordinaire 1998 Barclay
113 Les princes de la ville 1999 Small
Lili Boniche Live à l'Olympia 1999 East West
Enrico Macias Hommage à Cheikh Raymond 1999 Trema
Amina Annabi 1999 Mercury
Faudel Baïda 1997 Mercury
Rachid Taha Made in médina 2000 Barclay
Abdy Galbi 2000 V2
Assia Chercheuse d'or 2000 Virgin
Intik 2000 Sony Music
MBS Le micro brise le silence 1999 Island