Vanessa Paradis

Après plusieurs années de silence discographique, Vanessa Paradis sort Bliss, qu’elle a en bonne partie écrit elle-même, et qui célèbre son bonheur conjugal et maternel. Un manifeste pop de félicité, avant de retrouver la scène, du 20 au 25 mars 2001, à l’Olympia.

Une femme heureuse

Après plusieurs années de silence discographique, Vanessa Paradis sort Bliss, qu’elle a en bonne partie écrit elle-même, et qui célèbre son bonheur conjugal et maternel. Un manifeste pop de félicité, avant de retrouver la scène, du 20 au 25 mars 2001, à l’Olympia.

En anglais, bliss désigne un bonheur qui n’a pas d’équivalent parfait en français, à moins de périphrase : une félicité d’ordre spirituel, qui n’est pas attachée à un état matériel des choses, mais plutôt à leur envers immatériel.
Il y a là quelque chose d’un peu extatique, désincarné, vaguement inaccessible comme toute chose exemplaire: on ne parle pas de bliss après une pizza entre amis, les résultats du bac ou dix minutes d’amour, mais de joy, de happiness. Vanessa Paradis intitule Bliss son nouveau disque, et c’est un peu une pétition de principe: ici on élève le bonheur - le quotidien bonheur - à des altitudes d’action de grâces. Et pourtant, Bliss ne parle que de L’Eau et le Vin, de café, de gestes jolis, de caresses à portée de main. Pas d’éblouissement, mais un jeu d’air limpide, une lumière transparente. Pas de brume, de poussière, d’encens derrière les murs clos d’un jardin majestueux, mais une lumière claire sur une pelouse, une sorte de paresse du vent et du soleil sur une petite terrasse sans gloire ni urgence.

C’est là qu’est Vanessa Paradis, dans une attention tendue tout entière vers la simplicité du bonheur - et qui ressemble peut-être à ce que les religions chrétiennes appellent béatitude, puisque cela est plus fort encore que notre terrestre bonheur. Bliss est un disque ivre de vie, de la vie vécue chaque jour, de la vie rendue à la vie, de la vie donnée à un enfant. Si l’on était un magazine people, on oserait dire que cette expression extatique d’un bonheur accessible à tout un chacun ressemble à la sortie d’un tunnel : on ne peut dire si fort être heureux que lorsqu’on a été terriblement malheureux.

Justement, le livret de cet album est significatif. Outre quelques photos d’elle (en fille toute simple, en jeune maman si diablement et innocemment jolie), elle l’a décoré de ses aquarelles, de ses lavis, de ses petits dessins avec des cœurs et des étoiles : l’expression banale et radieuse du bonheur domestique. Et il y a ces deux titres contemplatifs écrits par Vanessa toute seule, Firmaman et La Ballade de Lily Rose, dans lesquels la voix de sa fille gazouille et l’appelle, comme une preuve de sa joie.

D

onc, Vanessa est heureuse de sa vie de couple, de sa vie de mère, de sa vie tout court, et elle le fait savoir. Dieu merci, c’est sans les torrents de bouillie lactée et les étangs de miel avec lesquels certaines chanteuses francophones ont célébré leurs noces et maternités. Douée de goût, elle a choisi de s’entourer d’intelligences sensibles : Mathieu « M » Chédid, Franck Monnet, Didier Golemanas, son compagnon Johnny Depp, Alain Bashung pour une musique... Elle a participé massivement à l’écriture de ce disque, textes et musique. Manifestement plus douée pour les textes en français, elle assène hélas, en anglais, de longues séries de banalités vaguement moralistes (par exemple : « around your wounds begin your peace of mind »). Mais, heureusement, en français, tout ce monde parle un langage oblique, sereinement radieux.
On s’envole doucement, sans claquements d’ailes et grands cris de vertige, comme des oiseaux convalescents déjà comblés de n’être pas piétons. Quand elle chante Les Acrobates, c’est avec une voix de fleur qui ne se rêve pas en arbre, et s’émerveille du quotidien miracle de la couleur dans un matin nouveau. C’est cette fragilité, cette modestie d’ambition qui est le plus charmant de ce disque : dans La la la song ou Dans mon café, elle donne une note languide à l’opulence qui fait songer à un Dutronc débarassé de sa virilité, à des Beatles trop fragiles pour la stratosphère, à des Innocents sans jeux de mots (encore qu’elle chante : « faire le pressing ou repasser, j’hésite »...). A part quelques poids çà et là (dans L’Air du temps, par exemple), les arrangements et la production (M et Vanessa, pour l’essentiel) adoptent la même clarté tendre, le même plan de vol modeste et détaillé. Petit voyage pop dans les intimes douceurs de vivre, Bliss ressemble à une femme réussie.

Vanessa Paradis Bliss (Barclay) 2000