Anggun internationale

Quand en 1995, Anggun débarque en France depuis son Indonésie natale, personne ne sait que cette jeune femme est une star dans son pays. Peu importe. En un album, elle s'impose dans l'Hexagone. Mais alors qu'un deuxième CD, Désirs contraires vient de sortir, il est intéressant de revenir sur un parcours qui dépasse largement l'axe franco-indonésien. Albums déclinés dans moult versions internationales, titres classés dans les hits du monde entier, une petite balade sur le Net nous donne l'ampleur d'une notoriété qui, de Jakarta à New York, n'a pas le même parfum. Et qui pose la question de l'identité culturelle.

Née en 1974 à Jakarta, Anggun Cipta Sasmi enregistre dès 7 ans un disque pour enfants. Puis entre 12 et 19 ans, managée par son père, Darto Singo, lui-même chanteur et producteur, elle sort cinq albums plutôt Bon Jovi que gamelans javanais. Elle collabore avec le plus célèbre producteur indonésien, Ian Antono. Le succès est énorme. L'adolescente chante devant des stades. Elle est une superstar dans tout l'archipel indonésien.

Puis, au début des années 90, la belle rencontre un Français et atterrit à Paris après une courte halte londonienne. En dépit d'un carrière indonésienne au zénith, Anggun choisit de tout recommencer à zéro. Qu'à cela ne tienne, la chanteuse sachant chanter, elle ne met pas longtemps à se refaire un nom. Quelques cours de français, une rencontre avec Erick Benzi, musicien et producteur artistique (Goldman, Hallyday, …) et le tour est joué. Premier album, Au nom de la lune, en 97 : un million d'exemplaires dans 33 pays ! Pop FM, sensualité, quelques instruments indonésiens, une voix puissante et hop, le single La neige au Sahara fait un carton. Aux yeux du public français comme de la profession, Anggun est désormais une des leurs. Mais si la chanteuse indonésienne vit à Paris et chante dans un français parfait, sa carrière, de Singapour à Los Angeles, a plutôt des échos anglophones.

Disques

Bien qu'Anggun n'ait sorti que deux albums depuis son arrivée en France, on trouve parfois jusqu'à six références dans ses diverses discographies, souvent composées d'imports aux différences minimes. Son seul premier album existe au moins en quatre versions : d'abord en 97, l'album pour le marché francophone, Au nom de la lune, est considéré comme l'original avec seize titres en français. Pour l'Asie, Sony Japon sort Anggun en 98, un CD de dix-neuf titres, seize en anglais, trois en français (une version seize titres existe aussi). Puis en 99, paraît pour le marché anglo-saxon, et en particulier américain, un Snow on the Sahara de onze titres. Même topo avec le dernier opus, Désirs contraires, qui devient Chrysalis dans sa variante anglophone sortie en septembre en Asie. Quatorze titres dans les deux versions, sans compter quelques bonus comme le titre Yang kutunggu sur le produit indonésien. Vous suivez ? Quant à la nuance entre les titres, elle tient aux textes adaptés ou totalement réécrits d'une version à l'autre, jamais traduits, toujours signés Anggun. En revanche les musiques sont les mêmes.

Pas de problème donc pour acheter un disque récent d'Anggun. En revanche, rares sont les traces de ses enregistrements indonésiens époque ado. En tout cas, aucune trace de vente sur le cyber-marché – qui en revanche regorge des productions récentes - comme si son actuel parcours n'était en rien la suite de sa carrière indonésienne. Enfin, le nom d'Anggun apparaît sur un nombre incalculable de compilations, indifféremment dans le créneau des variétés internationales (Fantastic Females, pour MTV Asie en 99, La chanson au féminin (Québec, WEA 2000) où Anggun y est la seule étrangère avec Ophélie Winter, Indo hits (Indonésie), Top of the Pops, the best of '99 (Grande-Bretagne, Sony 99), Das Album der Megasongs vol.7 (Allemagne, WEA 99) ou des musiques du monde (The Music of the World (Allemagne, OW99).

Hits

Avec un seul titre, La neige au Sahara ou plutôt Snow on the Sahara, l'Indonésienne se voit ouvrir les portes de dizaines de charts, playlists et autres Top 40, 50 ou 100 : Top 100 européen en avril 99 (83ème), Billboard Border Breaker charts (album/19ème), 48ème au Top 100 de radio One au Liban, ainsi qu'en deuxième position après Céline Dion dans les titres préférés d'un journaliste dudit journal pour l'année 98. Au même moment, on la trouve classée au Texas sur une radio afro-américaine, entre Luther Vandross et Whitney Houston (souldaddies.com). En 98 et 99, Anggun est classée dans toute l'Europe, de la Norvège à l'Albanie. Quant au nouvel album, la station indonésienne kisi 91.8 fm (kisi fm) le classe dès cet été dans son weekly top 40 avec le titre Still reminds me. Il intègre le prestigieux Tokyo Hot 100 de la radio japonaise J-Wave en octobre (J-wave/Tokyo Hot 100. Idem en Italie ("new"Pagine Radio) où Anggun fait un tabac. La chanteuse traverse toutes les frontières grâce à l'incroyable force promotionnelle de sa maison de disques Sony France et de toutes ses cousines internationales. Et grâce à un produit à la fois passe-partout et de qualité.

Télé et radio

Sur le web, on retrouve aussi trace de certains passages télévisés américains au moment de la sortie de son premier album entre 98 et 99. Le plus fameux est le Rosie O'Donnell Show, rendez-vous incontournable de toute vedette qui se respecte. En décembre 98, on la retrouve aux côtés de Bruce Hornsby pour un concert de Noël à Portland, également diffusé sur une radio, The beat@107.5, puis en tournée avec Natalie Merchant. On apprend ainsi qu'Anggun fait beaucoup de scène aux USA, en Europe et en Asie, mais rien en France. Sur la chaîne PBS, elle donne un petit concert dans les "Sessions at West54th" fin août 98 (Sessions at West 54th). Une spectatrice, non fan, raconte la prestation enregistrée à New York avec des musiciens français : "David Byrne l'a présentée comme une star indonésienne qui est venue chercher l'intégrité artistique à Paris; ce qui consiste à imiter le rock américain avec quelques flûtes orientales ici et là… Elle est moins pop que Madonna mais plus rock que Fiona Apple. Le public, très indonésien, semblait ne pas pouvoir dire quelle langue elle chantait. Il a fallu attendre Life on Mars de Bowie pour qu'on devine qu'elle chantait en anglais…"

Presse

Mais ce commentaire à la dent dure est adouci par d'innombrables articles plus flatteurs. La couverture presse est très large en Amérique du nord à la sortie de Snow on the Sahara en 98. La presse américaine, web ou papier, se fait l'ambassadrice de cette nouvelle venue aux origines inhabituelles dans le mainstream musical. Rolling Stones, référence rock'n'roll, lui consacre même quelques lignes (Rolling Stones). Idem pour le Village Voice, légendaire hebdo new-yorkais, qui évoque le passage de la "Madonna malaisienne" au Lilith Fair Festival, en faisant une malheureuse erreur de nationalité. Tous reconnaissent ses qualités vocales, sa beauté, son parcours singulier, un certain talent d'auteur. Beaucoup évoquent Deep Forest ou Annie Lennox. Un des articles les plus renseignés - la plupart reprenant les mêmes éléments - est celui du Boston Phénix du 3 août 98 dans lequel Michael Freedberg évoque la "diva funk aux orchestrations europop" et la compare tantôt à Jane Birkin ou à Céline Dion selon ses effets vocaux. Aux textes anglais, il trouve qu'il "manque la langueur et l'humidité (!) du français." Il finit même en la qualifiant de "vraie Parisienne".

Mais Anggun est bien sûr aussi la cible des médias asiatiques. Du côté de la diaspora aux Etats-Unis, on intègre la chanteuse au site Asian American Artistry (asianamericanartistry.com) qui recense toutes les vedettes d'origine asiatique à travers le monde. 
En Asie même, outre une large promo en 98, la sortie du nouvel album Chrysalis dès la fin de l'été 2000 ne passe pas inaperçue dans la presse qui s'attache beaucoup à évoquer l'émigration parisienne de la jeune femme. Dans le très sérieux journal en ligne Asiaweek.com basé à Hong Kong en septembre 2000, on lit cette info essentielle : "Anggun regrette de ne pas avoir passé son permis avant de partir parce qu'en France les étranges panneaux indicateurs sont difficiles à mémoriser". Dans le Straits Times (Straitstime) de Singapour, où elle dédicace son dernier CD le 21 octobre et donne un concert le 26, le journaliste Arti Mulchand consacre quatre articles en peu de temps à l'Indonésienne. Il révèle qu'elle vient d'obtenir sa nationalité française, mais qu'elle se sent "d'abord indonésienne". L'ayant interviewée par téléphone, il trouve même que son indonésien est "légèrement teinté d'accent français". En ce qui concerne la musique, la chanteuse précise que ses influences sont "asiatiques et pas seulement indonésiennes." D'ailleurs, le journaliste philippin, Lionel Zivan S.Valdellon, qui écrit aussi beaucoup sur la chanteuse, pense qu'elle est "une excellente ambassadrice pour l'Asie en général". En revanche, il précise qu'aux Philippines, "elle n'est pas une si grande star que cela. Les gens connaissent une ou deux chansons mais ne connaissent pas forcément son visage". Dans l'interview qu'il fait d'elle début 99, (Localvibe.com) lors de son passage à Manille pour un concert, Anggun précise qu'elle veut "faire découvrir l'Indonésie au monde entier" mais ne veut pas pour autant "être l'Asiatique de service et porter du batik". Elle se plaint d'ailleurs que les Occidentaux fassent l'amalgame entre tous les pays d'Asie et voudrait qu'ils réalisent que "ce n'est pas seulement un lieu de vacances".

Indonésie

Mais bien sûr, l'Indonésie n'est pas en reste. Anggun, qui y retourne en octobre 2000 pour la première fois en cinq ans, fait à cette occasion l'objet de nombreux passages télé et de papiers. Ici, le grand souci qui semble perturber la presse, et peut-être le public, c'est qu'Anggun perde son "indonésianité" en France. Les questions des journalistes tournent, encore aujourd'hui, autour de son départ il y a cinq ans avec un Français largement cité dans la presse, voire interviewé, alors que son nom n'apparaît jamais dans la presse occidentale. Le Jawa Pos parle de la "chanteuse rock disparue en France". Dans les mêmes colonnes, Anggun se plaint des journalistes indonésiens qui colportent des rumeurs de sida ou de grossesse et "salissent (son) nom". On lui demande des comptes sur le fait qu'elle ne soit pas encore mère, sur sa famille qu'elle n'aurait pas été voir en trois jours à Jakarta. Dans le grand quotidien Kompas où plusieurs pages lui sont consacrées mi-octobre, on revient un peu sur la musique mais sans oublier de s'enquérir de son mode de vie en France, son logement, sa vie sociale. Elle précise qu'elle "ne veut pas revenir encore en Indonésie", occultant son changement de nationalité déjà effectué (le principe de double nationalité n'existe pas entre les deux pays). Sur le portail web detik.com, la jeune femme continue de se justifier en disant que son sang "est toujours indonésien". Elle trace même un tableau noir de la vie en France, de son coût élevé. De toute évidence, Anggun, en porte-à-faux sur deux cultures fort différentes, n'a de cesse d'épargner les susceptibilités.

Poupée folklorique ou artiste apatride, il faut choisir. Tel est le dilemme des artistes issus de pays à forte culture traditionnelle. Coloniser les charts du monde entier, oui, mais encore faut-il ne pas y perdre son identité. Dans le cas d'Anggun, le choc culturel semble avoir eu lieu au retour dans son pays et non au départ. Chanteuse indonésienne ? Chanteuse française ? Elle nous répondrait certainement que la musique n'a pas de frontières…