Michel Legrand à New York
Gainsbourg était de la même graine... De celle qui croise les chemins du génie. Le compositeur, interprète et jazzman français Michel Legrand a été accueilli comme chez lui à New York où il a offert deux soirées de pur enchantement les 9 et 10 octobre derniers.
Le Français adopté par la patrie du jazz
Gainsbourg était de la même graine... De celle qui croise les chemins du génie. Le compositeur, interprète et jazzman français Michel Legrand a été accueilli comme chez lui à New York où il a offert deux soirées de pur enchantement les 9 et 10 octobre derniers.
Si Charles Aznavour rêvait de se voir en haut de l'affiche, et Jacques Dutronc en hôtesse de l'air pour "avoir le bas en haut", on ne peut pas en dire autant de Michel Legrand dont le nom a toujours figuré au bas des posters de films dont il a signé les musiques et qui font désormais, partie du patrimoine du cinéma surtout français (Les Parapluies de Cherbourg, ...mais aussi beaucoup américain (L'affaire Thomas Crown). Moralité : Qu'importe la grandeur de l'affiche pourvu qu'il y ait son nom et qui plus est, Legrand !
Il est des leurs !...
Les artistes nous ont habitués au fil de l'histoire à de tels débordements d'ego que lorsqu'ils atteignent un âge avancé et une notoriété certaine, je m'oblige à rester sagement sur mes gardes lorsqu'ils se produisent sur des scènes étrangères (même si pour Legrand, la scène américaine a toujours été sa deuxième maison...). Aux Etats-Unis, où l'industrie musicale ne fait absolument aucune fleur à "l'étranger" qui s'y colle, il faut avoir la délicatesse (pour le nouveau venu) ou l'habileté (pour le "revenant") de ne pas être trop gourmand et de ne surtout pas se dire que "c'est dans la poche" !
Ne perdons pas de vue que s'il y a une chose dont l'Amérique peut et pourra toujours être fière, c'est d'avoir, ancrée-là, au plus profond d'elle-même, les racines du jazz. Le moins que l'on puisse dire c'est que Michel Legrand possède toutes les qualités requises aux yeux de cette Amérique qui lui a toujours fait les yeux doux, pour être considéré comme un "Frenchy boulimique et perfectionniste...". Le parfait passeport pour quelqu'un qui étonnamment, a en horreur les modes de vie d'un pays où il a vécu de 66 à 69, (il vit actuellement en Suisse, ndlr).
Petit poisson deviendra "Legrand" !
Etre le fils du chef d'orchestre Raymond Legrand et l'élève pendant de longues années de Nadia Boulanger, n'a certes pas défavorisé Michel, mais avoir un don un peu plus développé que n'importe quel autre à la sortie du conservatoire et un goût plus que prononcé pour un mouvement musical universellement "enraciné" comme le jazz, a certainement fait pencher la balance du côté où la musique en avait généreusement besoin.
L'une des particularités de Michel Legrand, est de ne jamais avoir eu véritablement besoin de chercher à s'entourer. "L'entourage" est dans la plupart des cas, venu à lui. Pianiste d'ambiance à 5 francs à ses débuts, c'est d'abord Henri Salvador qui le remarque. S'ensuivront beaucoup d'autres dont Maurice Chevalier dont il deviendra le directeur musical. Avec ce dernier qu'il accompagnera aux Etats-Unis, il découvrira une fois là-bas qu'il est déjà une star. En effet, deux ans auparavant il avait enregistré le 33 tours I love Paris et sous la bannière étoilée, le disque s'était vendu à des millions d'exemplaires. Mais, les royalties n'ont jamais atterri dans les poches de Legrand et pour se faire pardonner, le label Columbia lui proposera de couper la poire en deux : "Dis nous ce que tu veux enregistrer et nous paierons la note..." A cette époque, Michel Legrand a 24 ans et Miles Davis est le King de la scène jazz du moment. "Je veux faire un album jazz avec Miles Davis et John Coltrane, Ben Webster, Bill Evans, Hank Jones et Phil Woods !" répond t'il donc. Cet album s'appellera Legrand Jazz.
Pour la petite histoire, c'est avec Miles qu'il fera son premier album jazz et avec Legrand que le célèbre jazzman enregistrera son dernier, celui qui signe la musique du film Dingo.
Les moulins tournent!
La suite, le cinéma nous l'a raconté en noir en blanc et en couleur. Des parapluies ont consacré Cherbourg, des Demoiselles rajeuni Rochefort, les étés n'ont jamais été aussi doux que celui de 1942 et la planète reste électrifiée par celui qui a su se tailler une belle réputation de compositeur. Pas loin d'un demi-siècle plus tard, une constatation s'impose : la France, terre d'asile de nombreux jazzmen américains, enfante aussi des génies.
Lors de son récent passage à New York en octobre 2000, la preuve une fois de plus en a été faite. En choisissant comme partenaire d'un soir John Patitucci à la contrebasse acoustique et Billy Drummond à la batterie, la marge d'erreur ne pouvait être que nulle. Si le premier a partagé, entre autres, dix ans de sa vie aux côtés de Chick Corea, le deuxième avoue n'avoir jamais pu refuser les avances "saxophoniques" d'un certain Sonny Rollins !
Dans l'ambiance feutrée du Florence Gould Hall, à l'Alliance française de Manhattan, Michel Legrand nous a offert deux soirs de suite un spectacle complet, en toute simplicité, avec deux acolytes jazzy à souhait... Pendant un court instant, j'ai cru apercevoir au-dessus de la scène, l'ombre d'une trompette ponctuant les tempos...
Dans un anglais parfait, comme une belle révérence, Legrand, en s'adressant au public majoritairement américain, a même avoué se sentir de moins en moins étranger en leur pays. A celui qui ne possède chez lui aucun enregistrement de son travail car il ne croît pas "au passé" et qu'il ne supporte "aucun regrets", à celui qui clame "être un autre homme chaque matin au réveil...", je souhaite que l'avenir nous fasse encore longtemps profiter de son talent.
Myriem WONG
Aujourd'hui, sort Michel Legrand, un coffret de 3 CDs (Mercury/Universal).