SIGNÉ JOSEPH RACAILLE

Paris, le 5 décembre 2000 - Artisan es-musiques populaires, Joseph Racaille demeure un ovni dans le ciel musical français. Quasi inconnu en tant qu'interprète, ce cinquantenaire est en revanche un des arrangeurs les plus recherchés de l'Hexagone. Après avoir sorti cette année un coffret de trois CDs pour le moins hors mode, il est en ce moment sur la scène de l'Européen à Paris pour trois mercredis consécutifs.

Ukulele, BD et second degré

Paris, le 5 décembre 2000 - Artisan es-musiques populaires, Joseph Racaille demeure un ovni dans le ciel musical français. Quasi inconnu en tant qu'interprète, ce cinquantenaire est en revanche un des arrangeurs les plus recherchés de l'Hexagone. Après avoir sorti cette année un coffret de trois CDs pour le moins hors mode, il est en ce moment sur la scène de l'Européen à Paris pour trois mercredis consécutifs.

Trois pochettes à la façon des grandes BD de notre enfance, Blake et Mortimer ou Ric Hochet : Joseph Racaille sur une plage entouré de vahinés (Racaille à Hawaï), au fond d'une ruelle sombre en assassin sans pitié (Signé Racaille) ou porté en triomphe par une foule de contras (Caraï!). Quand on reçoit ce coffret de trois CDs de chacun 25 minutes dans son courrier, qu'on ne connaît pas Joseph Racaille, on s'interroge… Des cédéroms pour une nouvelle BD ? De la promo pour un nouvel humoriste ? Mais qui c'est celui-là ? On ouvre, on regarde, on écoute. Et là, ô surprise, le nez se relève, les oreilles se tendent, on a à faire à un vrai délire musical.

Avec Racaille à Hawaï, on est transporté dans l'univers désuet du ukulélé, minuscule guitare immortalisée par Marilyn Monroe dans Certains l'aiment chaud. Pas très révolutionnaire mais c'est la démarche qui surprend, l'art de remettre au goût du jour un son disparu, très connoté, très cliché. Dans un premier temps, c'est drôle avec Valérie ou Daisy, puis à la longue un chouia ennuyeux (Fleur d'amour).

Puis sur Signé Racaille, rien n'est signé par lui. Et pour cause, il nous fait un patchwork de reprises pour le moins… inédites : Oh Chéri Chéri de Karen Chéryl, Kung Fu Fighting, légendaire tube seventies ou Barbie Girl, hit international de l'année 97. C'est absurde, c'est dingue, c'est très bien fait. Au milieu de ce délire, on trouve la Nuit je mens de Bashung, très belle version dont l'original fut arrangé par le héros de cet article.

Enfin, avec Caraï!, rythmes latinos et cuivres, deux titres accrochent l'ouïe : Au coiffeur, texte que n'aurait pas renié Boby Lapointe : "Au Coiffeur, quand on sait pas coiffeur,…" ou "Je sors faire pisser le chien, et si tu ne sais pas très bien, je t'apprendrai à faire pisser le chien". Puis, Sidonie, "elle a plus d'un amant, c'est une chose bien connue", inspiré d'un texte de Charles Cros, dont le prix du même nom est censé depuis plus de 50 ans récompenser une production française de qualité… Le débat est ouvert.

Parce que, l'air de rien, Joseph Racaille revisite pour le moins assidûment et respectueusement la notion de musique populaire, notion vaste et obscure allant du musette à Sheila, mais recouvrant aussi, pourquoi pas, la Marseillaise ou la 5ème de Beethoven. Musique du peuple ou musique à succès ? Disons le truc que tout le monde connaît, le morceau qui traverse les strates sociales pour envahir la mémoire collective. Sans explication.

Sorte de Zappa franchouillard, bidouilleur de génie, Joseph Racaille traîne dans la musique depuis les années 60. Mais à tout aimer, tout essayer, tout mélanger, notre iconoclaste se voit exclu d'une scène musicale trop cartésienne. Après un passage rive gauche, on le retrouve dans le très révolutionnaire groupe marseillais Barricades avec Hector Zazou, et dans ZNR, avec le même. Puis via le tchatcha, la chanson, les musiques de films, ce grand amateur de pseudonymes (Oncle Jo Rascasse, Jésus Canaille, Steve Lenovski) se forge petit à petit un nom.

Mais c'est en grand vizir de l'arrangement que Racaille est reconnu depuis une dizaine d'années : Arthur H (Trouble-Fête), Fersen (Le jour du poisson et Quatre), Annegarn (Approche-toi) et Bashung (Fantaisie militaire), un vrai cousinage musical que notre chercheur, qui se dit "spécialiste de rien", habille d'une incontournable élégance sonore. Racaille travaille aussi pour le chorégraphe Philippe Decouflé sur, entre autres, l'ouverture des J.O. d'Albertville. Puis grâce au label Tôt ou Tard, il sort un premier CD à son nom en 97. Mais c'est encore avec ses potes du Ukulélé-Club de Paris, institution du genre depuis 94, qu'il se ressource : Dominique Cravic (les Primitifs du futur), Cyril Lefebvre (Dora Lou), François Ovide (guitariste de Kaas ou de Renaud), Brad Scott (contrebassiste d'Arthur H) et Tony Truant (ex-guitariste des Dogs).

Bref, difficile à cerner. Mais c'est normal. C'est pour cela que lorsque l'on va voir Racaille sur scène, on s'attend à un spectacle atypique, décalé, passionnant. Quelle est donc notre surprise, de ressentir un léger… ennui lorsque dans la petite salle rouge de l'Européen, le 29 décembre, lors de son deuxième mercredi sur scène, Joseph Racaille nous fait passer une soirée un peu monochrome. Tout de noir vêtu, sur une scène peu éclairée, il aligne de courtes chansons dont la plupart sont extraites du récent coffret. Entouré d'un trio de filles à cordes (excellentes Geneviève Cabannes à la contrebasse, Pascale Jaupart au violoncelle et Elisabeth Boudjema au violon) et de Jean-Pierre Arnaud, ex-batteur de Jean-Louis Mahjun, Racaille nous régale d'un jazz désuet, d'une ambiance un rien bluesy, un rien country, un rien d'un autre temps. Mais même avec son indispensable ukulélé, il ne parvient pas à nous intéresser à cet exercice de style souvent sans texte. Son ironie fait rire. Au début. Après trois rappels ("C'est demandé si gentiment"), on part avec l'impression d'avoir raté quelque chose. Dommage.

Catherine Pouplain

Coffret Les Beaux albums de Joseph Racaille (WEA/Tôt ou tard)
En concert à l'Européen, le 6 décembre (5 rue Biot, Paris 17ème, 01.43.87.97.13)