GOOD MORNING BEYROUTH !
Beyrouth, le 6 décembre 2000 - Depuis trois ans à l’occasion du salon "Lire en français et en musique", le Centre Culturel français fait appel à un animateur de RFI, pour présenter aux Libanais toute l’actualité des nouvelles musiques françaises. Willy Richert s’y rend depuis 1997 et vous livre son carnet de route.
Carnet de route au Liban
Beyrouth, le 6 décembre 2000 - Depuis trois ans à l’occasion du salon "Lire en français et en musique", le Centre Culturel français fait appel à un animateur de RFI, pour présenter aux Libanais toute l’actualité des nouvelles musiques françaises. Willy Richert s’y rend depuis 1997 et vous livre son carnet de route.
Dimanche 29 octobre 2000 - Chaque année c’est la même histoire, juste avant de partir à Beyrouth, les amis et la famille me posent la sempiternelle question : "Tu es sûr que c’est une bonne idée d’aller au Liban en ce moment ?". D’habitude, ma réponse est claire, mais depuis la fin de la guerre, jamais la situation n’a été aussi chaude là-bas : la bande de Gaza qui s’enflamme, le Sud Liban évacué par les Israéliens, de nouvelles élections au Liban qui permettent à l’ancien Premier ministre Rafik Hariri de revenir au pouvoir, et dans un autre domaine, le Liban qui organise la Coupe d’Asie de football et qui se fait sortir dès le premier tour !
Remarquez comme je ne suis ni correspondant de guerre, ni chroniqueur politique et encore moins journaliste sportif mais DJ "volant", les risques pour moi sont quand même limités. Si New York ne représente pas les Etats-Unis, tous les Libanais vous le diront, Beyrouth, ce n’est pas tout le Liban. Renseignements pris, nous sommes rassurés : Beyrouth continue à faire la fête.
Lundi 30 octobre - J'anime ma première émission sur Radio Mont Liban, RML. Le format de la radio s’apparente à celui de Voltage FM en France : musique et très peu de news. 90% d’anglo-saxons, dance et pop, 4% de français et le reste pour les productions d’autres pays. RML fait partie d’un groupe audiovisuel qui regroupe la télé MTV (rien à voir avec l’autre MTV) et surtout Nostalgie. Nostalgie programme des disques français dont je ne soupçonnais même pas l’existence : face B d’Herbert Léonard, Frédéric François en concert ou encore Sheila en duo. Une certaine idée de l’avant-garde à la française (!)… Cette radio est depuis de longues années la plus écoutée du pays, même si le calcul de l'audimat me semble un peu obscur. Il faut savoir que les studios de RML et de Nostalgie sont dans les mêmes locaux, à 10 mètres l’un de l’autre. Il suffit d’ouvrir les portes d’un des deux studios pour entendre un mix inédit de Michel Berger et de Madonna. Curieux.
Situé au 12ème d’un immeuble d’Achrafié, le studio dans lequel je vais passer deux semaines domine tout Beyrouth, les terrasses des immeubles où sèche le linge et la mer qui vous rappelle que Français et Libanais se partagent la même Grande Bleue. J’attaque l’émission, en me rappelant aux bons souvenirs des auditeurs et, surprise, le téléphone sonne immédiatement : les premiers "bienvenus" et les premières questions sur la musique française. La programmation reste éclectique et définitivement électronique : Etienne De Crécy, Kojak, Garnier et bien sûr Modjo, le carton du moment. Comme en 97 avec Stardust, il me faudra pas mal de persuasion pour expliquer que "Non ! Lady n’a pas été écrit par des Anglais !" L’explosion de la techno au Liban n’est pas récente, et pourtant les Libanais se moquent de connaître les artistes et leur nationalité. Même si tout ce qui vient d’Angleterre et des Etats-Unis emporte l’adhésion. Me voilà donc en porte-drapeau de la musique française.
Mardi 31 - vendredi 3 novembre - Les émissions se suivent et ne se ressemblent pas, même si je joue régulièrement certains morceaux : Am I wrong de De Crécy, Frontal Funk des Château Flight et surtout les Silent Poets remixés par Mighty Bop. J’insiste pas mal sur la nouvelle scène dub française : Zenzile, High Tone, Improvisators Dub… c’est le Peuple de l’Herbe qui fait l’unanimité. Certainement parce que leurs morceaux sont plus rapides. A Beyrouth, faut qu'ça swingue !
Jeudi, le patron d’un bar à la mode m’appelle pour venir mixer chez lui. La sauce commence à prendre. Durant toute la semaine, je cours après mes contacts au Liban : Les Soaps Kills, existent-ils toujours ? Zyad est-il toujours le meilleur DJ de Beyrouth ? May Kassem produit-elle encore la meilleure émission techno sur Radio Liban ? Au bout de trois jours, je m’aperçois que rien n’a changé à Beyrouth. Les réponses sont oui, oui et oui ! Je vais enfin pouvoir me plonger dans l’underground beyrouthin.
Vendredi 3 novembre, tard dans la nuit - Enfin m’y voilà. Où ? Au Cream bien sûr, la nouvelle boîte techno de Beyrouth. A quinze minutes de voiture de Junié, dans un immeuble high-tech, au sous-sol se cache donc le club qui fait courir toute la jeunesse branchée. A la porte, je crie pour me faire entendre. C’est la première fois que je croise des jeunes Libanais adeptes du piercing, aux oreilles, au nez, aux sourcils et plus si affinités. Des Drag Queens fendent la foule, aussi arrogantes qu’à Paris. Je me demande si je ne suis pas à Londres, New York ou Paris justement. J’ai l’impression de me retrouver en 1990 à l’époque où les jeunes Français s’habillaient en jaune fluo, en orange vif et portaient des tenues d’extra-terrestres pour aller aux raves. Je rajeunis. Mais dès que je pousse la porte de la boîte, je prends un sacré coup de vieux. De la trance music insupportable, telle qu'elle se joue en Angleterre, mais surtout un volume sonore pas loin de celui du Concorde. Ahurissant, assourdissant, à la limite de la tolérance humaine.
Ce qui n’a pas l’air de déranger les techno-kids collés aux baffles. A mon avis dans quelques années, les oto-rhino libanais vont s’enrichir. Au bout d’une heure, mes oreilles craquent, direction le B 018.>P> Le poétique B 018 est une institution à Beyrouth. Cette boîte est un ancien abri anti-bombes et les tables sont des tombes. C'est un peu à l’image de la jeunesse de Beyrouth : partagée entre tradition et modernité. Quand au petit matin, vous vous apprêtez à descendre les escaliers qui vous mènent au club, les beats technos se confondent avec la voix du muezzin qui annonce l’heure de la prière. Beyrouth version an 2000.
Samedi 4 novembre 2000 - Coup de fil de Zeid et de Yasmine Hamdan, qui forment le duo Soap Kills, le premier groupe à mélanger musique arabe et électronique. Rendez-vous est pris à Hamra. Zeid est survolté, comme d’habitude, mais là, il a une bonne raison de l’être : un éditeur français a craqué sur leur prestation live et le jeudi suivant, ils partent pour la France. Bater est leur véritable premier album. C’est aussi le nom du petit village qui a vu naître Zeid. Il me promet qu’enfin, cette année il m’y emmènera. En écoutant leur album, je me dis qu’ils arrivent à maturité, qu’ils ont enfin laissé tomber le diktat du rythme pour des choses plus mélodieuses. Yasmine, la chanteuse est toujours aussi belle, elle va travailler cette semaine sur le salon "Lire en français et en musique" en tant qu’hôtesse d’accueil. Ici, plus qu’ailleurs, il est difficile de vivre de sa musique.
Je visite leur lieu de répétition où leur possee, Sandre, Karine et surtout Waddi, l’ami de toujours, gère spectacles et expositions de jeunes peintres libanais dans leur galerie. Ils me parlent surtout de l’arabisation de la société qu’ils redoutent, tout en écoutant le dernier morceau de Zeid, de la techno pure et dure qu’il a mixée avec un discours d’un député du Hamas : paradoxal ? Non, libanais.
Lundi 6 novembre-mecredi 8 novembre - Les émissions sur RML se passent de mieux en mieux. Les auditeurs me questionnent sur les morceaux joués la semaine dernière et surtout, comment se les procurer ? Pour avoir fait le tour des magasins de disques, je conseille fortement la C-Déthèque où travaille Ziad, le meilleur DJ libanais qui s’occupe lui-même des achats. On y trouve toute la production française à un prix équivalent à ceux pratiqués en France. Le problème reste que les salaires au Liban, eux, ne le sont pas.
Ziad m’apprend que son frère, DJ lui aussi, organise une soirée dans l’ancien grand théâtre de Beyrouth, à deux pas de la mythique Place des Martyres, ce samedi. J’en parle aux gens de la radio qui ne sont pas au courant. Un autre paradoxe de la société libanaise : chacun vit dans son milieu, sans côtoyer l’autre.
Mercredi 8 novembre - "Un grand monsieur de la chanson française au Liban" titre l’Orient. Ce grand monsieur, c’est Jacques Higelin. Il a donné un concert extraordinaire ce mercredi. Seul au piano ou accompagné par Mahut, le percussionniste de Lavilliers et du tout show-biz français, Higelin nous émeut parfois et nous fait rire souvent. Tour à tour poète, cabot, ou anarchiste, l’auteur de Champagne se moque de l’ambassadeur français, de l’action des Centres culturels français, de la propreté des rues libanaises, du Concorde, etc. Irrévérencieux et provocateur. Du Higelin pur jus.
Jeudi 9 novembre - Je reçois ce matin-là dans l’émission, Plantu et Dick Annegarn. Le caricaturiste du journal Le Monde a jeté un froid la veille, en direct sur MTV, en brocardant les Syriens qui occupent le Liban. Sueurs froides pour la direction de la télé. Plantu, grippé et en retrait rappelle aux auditeurs que plus un pays accepte les caricatures et mieux la démocratie se porte. Dick Annegarn revient lui sur ses années de vache maigre mais aussi sur son nouveau projet de CD-rom. Je sens bien que la musique du Hollandais dénote par rapport à celle de la radio, mais son honnêteté elle, fait l’unanimité.
Samedi 11 novembre 2000 - Déjà deux semaines au Liban et des dizaines d’heures de sommeil à rattraper. Pas toujours justifiées. Seul l’Acid, un des rares clubs où les gays se sentent détendus, programme autre chose que de la trance. Un mélange de musique arabe très percussive, de house et bien sur une pointe de trance. Hier, j’ai pu glisser quelques disques au DJ de l’Acid dont le nouveau Daft Punk, One more time. Résultat : hystérie dans la boîte comme partout en Europe.
Après la dernière émission sur RML, direction le grand théâtre de Beyrouth, pour la Rave Party organisée par l'association "Hardcore" et ses trois membres, Victor Bresse, Jawad Nawal et Mehran Baudroumian. Le grand théâtre est menacé. Pas d’effondrement, quoique… mais de transformation en supermarché de biens "culturels". Mobilisation générale. Des plasticiens ont investi le théâtre, une vieille Golf chargée de néons bleus trône à l’entrée. Au premier balcon, des danseurs immobiles tels des fantômes de l’opéra, le corps recouvert de peinture dorée, scrutent le public. Côté musique, le DJ navigue entre techno de Détroit et hardcore. Jamais entendu ça à Beyrouth. Tout les nightclubbers, les branchés et les touristes sont sous le charme des BPM. Une Libanaise anti-techno me glisse à l’oreille : "Si la techno parvient à redonner vie aux théâtres de mon enfance, je vais sérieusement m’y mettre." Il est 6 heures. L’heure de se rendre à l’aéroport. Je remercie les Libanais d’avoir su organiser une si belle fête, loin des clichés de la musique électronique. Années après années, le Liban se transforme, la société évolue, les lieux de fêtes aussi. Je suis certain que ce genre de rassemblement va permettre aux fans de techno de se prendre en main. Je décolle fatigué mais plein d’espoir pour l’année prochaine.
Willy Richert