Noah à l'Olympia

Après un nouvel album sorti à l'automne, Yannick Noah s'est offert son premier Olympia mardi 5 décembre, véritable évènement simultané de la scène musicale et sportive. Petit retour sur cette soirée aux couleurs rasta avant de retrouver le vainqueur de Roland-Garros 83 nous raconter quelle force il trouve dans la musique.

Le tennisman chante et parle

Après un nouvel album sorti à l'automne, Yannick Noah s'est offert son premier Olympia mardi 5 décembre, véritable évènement simultané de la scène musicale et sportive. Petit retour sur cette soirée aux couleurs rasta avant de retrouver le vainqueur de Roland-Garros 83 nous raconter quelle force il trouve dans la musique.

Changement de rôle. Dans le hall de l'Olympia, Cédric Pioline et Guy Forget discutent en attendant le début du concert. Ils sont venus supporter celui qui, à des époques différentes, les a encouragés depuis son banc de capitaine de l'équipe de France de Coupe Davis. Car ce 5 décembre, c'est Yannick Noah qui joue. En voyant le public prendre place, on a du mal à imaginer qu'il va faire autant de bruit lorsque les lumières s'éteignent. Le tennisman devenu chanteur est toujours autant aimé.

Après une introduction rythmée par des percussions, il fait son apparition, pieds nus comme à chaque fois qu'il est sur scène. Un drapeau vert-jaune-rouge cache le pied de micro. Les couleurs du Cameroun et d'un grand nombre d'états africains, celles des rastas également. A travers les deux premières chansons, il revendique sa moitié africaine : "Je suis un des fils" chante-t-il sur Mandingwa Africa en hommage au grand continent. "Ecoute, écoute l'histoire de ton pays, tu en fais partie" dit aussi le refrain de Ecoute. Quand il s'adresse à la salle et tente d'exprimer sa joie d'être là, on devine que le trac est encore présent. Il cherche à se détendre. "Ça va un petit peu mieux" bafouille-t-il en oubliant un mot. Il trouve un peu de réconfort en plaisantant avec son guitariste Michel Aymé qui a participé à l'enregistrement de l'album, puis se recule pour lancer à ses musiciens à la façon d'un Jamaïcain, un "Jamafrica, man" annonciateur du prochain morceau.

Qu'il soit en filigrane ou qu'il domine les compositions, le reggae est un des ingrédients de la musique de Noah. Il fait chanter le refrain au public, accompagné seulement par la rythmique typiquement jamaïcaine de la guitare, adapte en reggae Show Me The Way de Peter Frampton qui se termine en ragga avec l'un des percussionnistes dans le rôle du DJ. Mais avec Noah, la diversité est de mise. D'autres chansons sont marquées par des beats très afro, voire même latino ou les deux ensembles, à l'image de la nouvelle version de Saga Africa qui fut son plus gros succès. Les ambiances sont variées, renforcées par une mise en scène soignée. Des torches s'allument sur le haut des colonnes de projecteurs pour donner un aspect cérémonial, les ombres de danseurs en mouvement derrière des branches de palmiers sont projetées sur le fond de la scène.

Tous ces effets n'ont pourtant pas raison de la simplicité de Noah qui a fait sa popularité. Il reste lui-même, ému de voir que la famille d'accueil qui l'a hébergé lorsqu'il est arrivé du Cameroun à dix ans, est venue l'écouter. Ils lui avaient dit qu'il les oublierait quand il serait plus grand. Trente ans après, il leur prouve qu'ils s'étaient trompés. Le show de l'Olympia est aussi une fête. La chorale George Seba que l'on entend sur l'album, le rejoint sur les planches pour La Voix Des Sages qui se poursuit logiquement par Simon Papa Tara, son nouveau tube racontant la visite mystique de son grand-père décédé. Est-ce parce qu'il vit ces textes faits à ses mesures qu'il perd à ce moment-là toute sa retenue ? Noah se met alors à danser comme un possédé, il est définitivement à l'aise, en pleine confiance et franchit les barrières de sécurité pour se retrouver dans la foule pendant cinq minutes tout en continuant à chanter seul pendant qu'un percussionniste donne le rythme.

Lorsqu'il quitte la scène, le public reprend les chansons ad lib sans que personne ne l'ait invité à la faire. Le rappel démarre par une reprise acoustique de Redemption Song de Bob Marley et le concert s'achève par une version reggae de la Marseillaise. Sortie il y a trois ans, cette adaptation pacifiée et pacifique de l'hymne national avait suscité l'émoi des auditeurs de certaines radios nationales sur lesquelles elle était diffusée, et elle avait par conséquent été rapidement retirée des antennes. Surpris par ce pseudo boycott, Noah lui redonne vie en live et fait comprendre que sa nouvelle formule "Aux rêves, citoyens, formons enfin l'union, vivons, vivons la liberté et la fraternité" est d'abord un message de tolérance et d'amour.

Rencontre avec Yannick Noah :

RFI : On sent que le reggae vous a piqué profondément. Comment est-ce arrivé ?
Yannick Noah : C'est venu graduellement. La première fois que j'ai entendu Marley, puis lors de mon premier voyage en Jamaïque. J'étais déjà allé aux Caraïbes et en Afrique, mais j'ai rencontré là-bas des gens qui avaient une identité, une culture, quelque chose de frais, de puissant et de profond. On se retrouve entouré de cette énergie et forcément, on est porté. La première réaction que j'ai eue quand je jouais, c'était d'avoir un bracelet aux couleurs rasta, j'en avais besoin. C'était un signe à mes copains que j'avais laissé en Jamaïque. Et une force. Quand je suis rentré à Paris - j'avais les cheveux courts à l'époque - j'ai foncé à Saint-Maur (banlieue parisienne où vit une forte communauté africaine, ndlr) me faire faire des fausses tresses parce que je sentais vraiment que c'était un passage obligatoire.

Le reggae vous a donné des forces ?
Il y a des moments forts. À côté de Négril (en Jamaïque, ndlr), il y a une grotte dans laquelle on trouve une source d'eau pure. Les rastas y vont souvent purifier leur âme. Quand tu entres dans la grotte, tu es dans l'eau et dans le noir. On éteint les torches et tu te retrouves dans une sorte de cascade. Il y a une espèce de fauteuil dans lequel tu peux te mettre seul ou à deux et tu restes là pendant un moment. C'est un moment spirituellement très fort. J'avais un peu mal partout quand je suis arrivé lors de ce séjour, et quand je suis sorti de là, ça allait beaucoup mieux. En plus, dans la tronche, il s'était passé quelque chose. Comme pour des gens qui vont au Tibet pendant un mois et qui reviennent rechargé, cet instant-là m'avait rechargé en énergie. Et c'est vrai que sur des points où il y avait une montée d'adrénaline, je gueulais "Jah Rastafari".

Vous n'avez cependant pas fait un album totalement reggae ?
Non, c'est une influence parmi d'autres. Parce que je ne suis pas rasta. J'aime le rasta, les rastas. Pour moi, le rasta est quelqu'un qui rassemble ses forces, qui est fort. Ce n'est pas une philosophie pour fermer des portes, mais pour s'ouvrir sur le monde. Je suis à la fois Sedanais (Il est né à Sedan dans les Ardennes, ndlr), Camerounais, j'aime la Jamaïque et j'habite New York.
Une chanson comme La Voix Des Sages est une façon de rappeler le respect qu'on doit aux anciens comme c'est le cas en Afrique ?
Le message se fait à travers l'image du vieux sage africain sous l'arbre, mais je pense sincèrement que le gars à Château-Renault ressent la même chose lorsqu'il pense à son grand-père. Mon sage, il a cette image-là et aussi celle d'un papy poète à Charleville-Mézières qui s'est senti tout de suite chez lui quand il est arrivé au Cameroun. Parce que le but de la sagesse, c'est de pouvoir apprécier tous les gens qui t'entourent. Chacun trouve son véhicule mais l'objectif est celui-là : connaître ton frère.

Comment avez-vous vécu votre rencontre avec votre grand-père disparu que vous chantez dans Simon Papa Tara ?
J'aurais grandi toute ma vie en France, ça m'aurait vraiment secoué. Mais j'ai grandi au Cameroun au milieu de cette atmosphère. On parlait des morts en disant par exemple "notre oncle qui est mort il y a quatre ou cinq ans, est venu me dire qu'il fallait que j'aille prendre ça au champ et le planter devant chez toi.". C'est tellement naturel que, quand c'est arrivé, je n'ai pas flippé. Par contre, je vois bien que quand j'en parle, on me regarde plutôt deux fois qu'une. Mais j'aime bien le faire à travers une chanson. Certains entendent seulement "Papa Tara", d'autres vont un peu plus loin, regardent le texte de plus près et acceptent peut-être cette autre chose.

Êtes-vous surpris par votre succès actuel ?
Avant ça, j'ai fait trois albums. J'ai mis du temps pour trouver ma façon d'exprimer l'émotion. Je ne suis pas quelqu'un d'agressif, je n'aime pas passer en force. Il faut quelque chose qui me corresponde, que je chante naturellement, et les textes me plaisent vraiment, certains me bouleversent.

Quand vous avez fait cet album, avez-vous senti qu'il y avait quelque chose de plus ?
Oui, parce que c'est moi. La plupart des choses que j'avais faites avant, étaient en anglais. Je me faisais plaisir. Il y a un moment où il faut aussi aller vers les gens. Tu ne fais pas de la musique pour les gens, tu ne peux pas dire que tu fais la musique qu'ils veulent, qu'ils attendent. Mais d'un autre côté, tu joues aussi pour celui qui écoute. C'est vrai que quand j'arrivais sur scène à Pontivy et qu'on faisait un concert en anglais, il y a un moment où les gens ne comprenaient pas. Et c'est normal.

Yannick Noah (Sony/San Paolo) 2000