Le sourire de Julien Clerc
Décembre 1999, Julien Clerc clôt deux ans et demi de tournées en France, en Amérique et en Asie. Novembre 2000, il est déjà de retour au premier plan (c'est un euphémisme) de l'actu avec un album plus féminin que jamais, Si j'étais elle (Virgin). Retour sur la promotion musclée d'un artiste qui n'a pas besoin de ça pour (se) vendre.
Chanteur et VRP
Décembre 1999, Julien Clerc clôt deux ans et demi de tournées en France, en Amérique et en Asie. Novembre 2000, il est déjà de retour au premier plan (c'est un euphémisme) de l'actu avec un album plus féminin que jamais, Si j'étais elle (Virgin). Retour sur la promotion musclée d'un artiste qui n'a pas besoin de ça pour (se) vendre.
Avec déjà 200.000 précommandes le jour de sa sortie le 14 novembre, Julien Clerc et son nouvel album Si j'étais elle, investissent les médias français à coup de sourires. Il faut dire qu'un top model, Carla Bruni, comme principal auteur, c'est un atout en or pour les attachés de presse ! Dès sa semaine de sortie, le CD entre directement en tête du Top albums des meilleures ventes de l'Hexagone. La maison de disques, Virgin, dit espérer en vendre plus que son précédent (Julien Clerc, 97), qui avait déjà atteint les 500.000 exemplaires. Au contraire d'un Cabrel qui pourtant a vendu un million de disques de son dernier album sans guère de promo, ou d'un Goldman quasi absent des médias, Julien Clerc monte au front avec une docilité étonnante de la part de quelqu'un qui dit avoir de plus en plus "besoin de silence et de solitude" (Elle, 30 oct.).
L'assaut
Le 5 novembre, neuf jours avant la sortie officielle de Si j'étais elle, le chanteur est déjà sur TF1, bulldozer des chaînes de télévision françaises, dans "Sept à Huit", magazine de société grand public. Une heure plus tard, le même chanteur est dans le journal de 20 heures, premier journal télévisé de France. La première émission est vue par 5 millions de personnes, la seconde par 10,7 millions*. On ne prête qu'aux riches… Si on ajoute à cela sa présence dans les plus courues, et les plus vues, des plates-formes promotionnelles du petit écran, les Enfants de la télé de Arthur sur la même chaîne ou l'incontournable Nulle part ailleurs de la chaîne cryptée Canal Plus, il est difficile d'ignorer la présence de Julien Clerc dans l'actualité : "A partir du moment où l'on accepte de jouer le jeu, de présenter une nouveauté, il faut la défendre. L'exposition médiatique est obligatoire." (J.Clerc dans le Figaro du 13 nov.). Dans la presse, idem, grosse entrevue avec Le Figaro du 13 novembre, doublée d'un article dans le supplément du week-end, le Figaro Madame, bien sûr. Le Monde du 12 novembre consacre une page entière au chanteur à l'instar de ce que la rédaction du quotidien avait fait avec un Johnny ou un Sheller : visite dans ses terres du Bordelais, approche plus personnelle de l'artiste.
Puis, en vrac, le Télé 7 jours du 25 novembre, (magazine télé, extrêmement basique, extrêmement vendu), Paris Match (2 articles, 2 et 9 novembre) et Elle (30 octobre), qui se fendent tous les deux de reportages sur le duo Bruni-Clerc. Essentiellement des photos, glamoureuses, people, chic. Sur le Net, la radio RTL met en place une grosse opération avec vidéos de la naissance du CD, retour sur sa carrière, etc. Dans l'ensemble, tout est dans le sens du poil à l'exception du quotidien le Parisien du 13 novembre qui détruit l'album dans l'article "Un Julien pas très Clerc". Ouf ! On finissait à croire à de la propagande.
Et pourtant, derrière ce "sourire à tomber" (selon Véronique Mortaigne dans son article du Monde), notre bon élève de la promo aime-t-il tant cette surexposition ? Dans le quotidien France Soir du 13 novembre, le journaliste Richard Gianorio décrit ainsi sa rencontre avec le chanteur : "Il se confie mais regarde ailleurs, les yeux dans le vide et la parole abondante. Parfois Julien Clerc rit et vous observe à la dérobée (…)" Puis dans l'entrevue qui suit, l'artiste avoue "planquer l'être humain" et avoir "un périmètre de sécurité qu'il ne faut pas violer".
L'amont
Mais qu'a donc ce disque pour donner lieu à un tel ramdam ? Sa première qualité est sans doute d'être fidèle à l'image de Julien Clerc, une certaine élégance flegmatique et rassurante. Le disque, comme la promo, joue sur la féminité, celle de l'artiste et celle du public. "C'est grâce aux femmes que je suis encore là", dit Julien dans le Music Info du 10 novembre. Donc, très clairement, l'album s'adresse à elles, à nous devrais-je dire. La pochette annonce la couleur : un paysage à la fois exotique et indéterminé, sous un ciel d'un bleu touristique, un homme (Julien Clerc) au loin, en costume clair pour climat torride, nous regarde, les bras croisés, le regard qui tue. A l'intérieur, gros plan sur le pied de Julien, sur la chemise ouverte de Julien, et quelques paysages marins au soleil couchant.
L'histoire de cet album a été racontée dans tous les journaux, dans tous les médias. Un jour, Bertrand de Labbey, patron de Artmédia et agent de Julien Clerc, demande à la top franco-italienne Carla Bruni d'écrire pour un homme sans lui souffler le nom du destinataire. Le chanteur aurait un jour trouvé un de ces textes sur son piano. C'est beau. Mais dans France Soir du 13 novembre 2000, Julien Clerc dit l'avoir reçu par fax. Dommage, ça a moins de cachet. Julien est étonné puis emballé : "Carla a une vraie réflexion sur la chanson, son mode d'expression favori." (Le Figaro, 13/11). Elle en écrira sept. Il en gardera six.
Le chanteur demande alors à sa maison de disques Virgin de lui trouver un arrangeur à l'oreille moderne et nouvelle. Il souhaite bousculer ses habitudes, provoquer une rencontre entre les vieux routards des studios (dont il fait partie) et la jeune génération, deux âges, deux cultures musicales. On lui présente un jeune homme de 23 ans, Khaleb Maouene alias Khalil, produit de la banlieue parisienne et de tout ce qu'elle a engendré musicalement depuis les années 80 : rap, R'n'B, groove à la française. En dépit de son âge, Khalil a déjà un pied dans la profession puisqu'il a produit sa propre sœur, Assia, dont le single Elle est à toi est une des meilleures ventes françaises de l'été 2000. Elle fera bien sûr un duo avec Julien Clerc sur le disque.
Khalil a la lourde tâche de préparer la pré-production de l'album et d'écrire toutes les partitions orchestrales, voire quelques musiques. Son travail ravit le chanteur : "Dès la pré-production, il s'est rendu compte qu'avec moi, on pouvait tout faire, tout essayer, quitte à recadrer ensuite. Il possède une solide formation musicale et a une oreille d'enfer." (Music Info, 10 oct.). Ensemble, ils œuvrent donc dans le home studio de Khalil, dans son appartement de Créteil où Julien Clerc est reçu par toute la famille Maouene tel un visiteur à la fois exceptionnel et familier. De Créteil, on passe à Los Angeles pour la mise en boîte des musiques ("Les musiciens de studio y sont les meilleurs dans ce genre de musique", le Figaro 13 nov.) puis Paris pour les voix. Quant à la console de réalisation, c'est Humberto Gattica (Michael Jackson, Whitney Houston) qui s'assoit derrière. Net et sans bavure.
L'aval
Le résultat ? On pourrait le qualifier d'aseptisé et de consensuel. On peut aussi écrire efficace et séduisant à l'instar du single Si j'étais elle. Parce que le piège marche à merveille. La voix, les mélodies, rien à dire. Là où le bât blesse, c'est au niveau de certains arrangements synthétiques pas toujours très subtils (Aussi vivant, Se contenter d'ici bas) qui rappellent parfois les heures moins heureuses d'un titre comme Mon ange. Ou franchement américanisés (Silence caresse). Mais dans l'ensemble, et après plusieurs écoutes, on se laisse aller, finalement, avec une savoureuse flemme auditive. Les textes nous content d'éternelles histoires d'amour plus ou moins douloureuses ("C'est ce qu'on me fait chanter, je me laisse faire…" Le Figaro, 13 nov.) et les mots de Carla Bruni ne sont pas les plus mauvais : "Un peu mesquin d'quitter quelqu'un sans même un baiser…" (Tu t'es en allée). Autre sujet, la mer, passion méconnue de Julien Clerc. Elle est discrètement présente : "Dans la nuit, un bateau part" (J'oublie), "Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent" (L'horizon chimérique). Enfin quelques belles pièces, Tu t'en es allée ou On serait seuls au monde. Et citons la belle mélodie latine de J'oublie signée Astor Piazzola sur un texte espagnol adapté par David Mc Neil.
Parce que Julien Clerc a aussi fait appel à quelques vieux potes, de Roda-Gil à Chalumeau. Pour les musiques - en général, son domaine de prédilection -, il s'est même entouré, outre Khalil, de Hervé Brault, son guitariste de la tournée en trio "Entre Nous" (le troisième larron, Jean Schultheis, fidèle de Julien, étant étrangement absent de ce dernier CD).
Finalement, quand on demande à Julien Clerc, quelles sont les chansons dont il est le plus fier, il répond : "Les indémodables comme Ma Préférence ou le Patineur" (Paris Match, 2 nov.). Pendant plus d'un an, il a tourné en trio sur une formule classique (reprise de standards, les siens et ceux des autres, de Aznavour à Bécaud) qui a autant plu à Vancouver qu'à Bangkok. Si on ne peut le blâmer de tenter de nouvelles voies musicales (on aimerait cependant qu'il soit un peu plus audacieux), le Julien Clerc d'Utile restera toujours plus proche de cette personnalité solitaire et grave qu'il dit vouloir planquer.
Catherine Pouplain
*Source TF1/Médiamétrie
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