A Londres, les Français sont à l'affiche
Londres, le 27 décembre 2000 – Oubliés, les Modjo, Flat Eric et Air ! En ce moment, Londres subit une invasion massive d’outre-Manche, mais cette fois-ci, pas de beats électro ni de French Touch, même si cette dernière est toujours aussi branchée ; bien au contraire, c’est un crooner de 67 ans au charme suave qui commande les troupes d’invasion, avec son sourire parfait, son sex-appeal ‘à la française’ et son bronzage impeccable.
Les stars françaises de la chanson traversent la Manche
Londres, le 27 décembre 2000 – Oubliés, les Modjo, Flat Eric et Air ! En ce moment, Londres subit une invasion massive d’outre-Manche, mais cette fois-ci, pas de beats électro ni de French Touch, même si cette dernière est toujours aussi branchée ; bien au contraire, c’est un crooner de 67 ans au charme suave qui commande les troupes d’invasion, avec son sourire parfait, son sex-appeal ‘à la française’ et son bronzage impeccable.
A Londres, Sacha Distel est sur toutes les affiches. On voit partout son sourire insolent se détacher sur le rouge des bus à impériale ou sur le noir des taxis, sur les carreaux blancs des murs du métro et sur la façade de l’Adelphi Theatre sur le Strand : entouré d’une armée de danseuses aux jambes gainées de bas résille, Monsieur Distel, qui en 1970 avait conquis le top 50 anglais avec Raindrops Keep Falling on My Head, a pris d’assaut le West End londonien, où il joue le rôle de Billy Flynn, l’avocat cinglant de Chicago, la comédie musicale américaine de Kander et Ebb.
« Le Chic - Sacha Distel à l’affiche de Chicago ! » proclament les affiches en noir et blanc sur les murs de la capitale anglaise. Et, comme si cet accueil n’était pas suffisant pour le numéro un des crooners français, la presse anglaise (qui n’a pas vraiment l’habitude de chouchouter les artistes français) a elle aussi contribué à cette véritable Distel-mania. « Sacha brise les cœurs » a annoncé le Daily Telegraph, pourtant toujours très réservé. « Il fait encore frémir de plaisir des centaines de milliers de spectatrices d'âge mûr». « Le son de la sophistication continentale » s'est pâmé The Observer, tandis que le London Evening Standard décrétait que Sacha « possédait encore ce certain ‘je ne sais quoi’ (en français dans le texte), même s’il était suffisamment vieux pour avoir droit à la carte vermeille ! »
Ratés pour Aznavour et Notre-Dame de Paris
Les critiques musicaux britanniques se sont laissés gagner par la voix de velours de Sacha et par son inimitable charme français, sans parler de son accent à la Maurice Chevalier, et ils ont couvert Chicago d’éloges enthousiastes. Le spectacle fait d’ailleurs toujours salle comble. Hélas, les critiques ont eu la dent plus dure avec ses compatriotes à l’affiche aussi dans le West End. Les journalistes ont unanimement descendu la comédie musicale de Charles Aznavour, retraçant la vie de Toulouse-Lautrec, dont les représentations ont été interrompues avant la date prévue. Interrogé par le Times sur les raisons de son échec, Aznavour a simplement haussé les épaules et déclaré qu’il était victime de la « guerre de la Vache Folle». « On nous bissait tous les soirs, mais la presse n’a pas été très tendre » s’est-il plaint, « En ce moment, ils descendent en flammes tout ce qui vient de France… C’est à cause de la viande de bœuf. »
Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon et Richard Cocciante a connu un succès retentissant dans le monde entier, mais, à Londres, bien que la première ait été suivie d’une soirée au coût extravagant, où figurait Sophia Loren par exemple, ni Quasimodo ni le reste de la troupe n’ont réussi à faire retentir les cloches du West End. Un critique particulièrement mécontent a éreinté Notre-Dame de Paris dans le London Evening Standard, déplorant que « Luc Plamondon et Richard Cocciante aient repris à leur compte une des histoires les plus mondialement connues pour la transformer en un défilé absurde et ininterrompu de rengaines ‘Europop’, retapissé de paroles anglaises tellement maladroites qu’elles vous font grincer des dents… Le spectateur qui a payé £37.50 (400 francs) pour assister à cela a toutes les raisons d’être furieux ! »
Un Français en haut de l'affiche
Jérôme Pradon, un chanteur français qui a récemment interprété le rôle titre de la comédie musicale d’Andrew Lloyd Webber, Whistle Down the Wind, ne s’est pas étonné de la réaction de la presse britannique. « En fait, dans les comédies musicales anglo-saxonnes, on est accompagné par un véritable orchestre, alors que la troupe de Notre-Dame de Paris chante sur une bande déjà enregistrée » a expliqué Pradon, ajoutant : « Le public anglais s’est peut-être senti un peu trahi. »
L’un des rares interprètes français à avoir réussi sur les scènes du West End, Pradon a étudié l’art dramatique à Paris, au prestigieux Cours Florent. Tout en se maquillant dans sa loge de l’Aldwych Theatre, avant la représentation de mercredi dernier, l’artiste m’a entretenu dans un anglais admirable et sans accent, confessant qu’au début de sa carrière, il trouvait les comédies musicales « plutôt ringardes.»
Un débutant pour les Misérables
« Mais un jour, un de mes amis m’a dit qu’on auditionnait, à Paris, pour Les Misérables,» a-t-il continué, « et j’ai immédiatement envoyé mon CV. Je n’avais pas suivi de formation musicale à proprement parler – seulement deux leçons de chant et je n’avais même jamais entendu parler des Misérables. Je peux vous affirmer que ça a choqué les gens pour lesquels j’auditionnais ! Malgré tout, ils m’ont donné une cassette du spectacle et m’ont demandé d’apprendre le rôle d’Enjolras. Quand j’ai écouté la cassette, je n’arrivais pas à en croire mes oreilles tellement j’étais emballé par les chansons. »
Pradon a fini par tellement travailler pour le spectacle qu’il a récolté le rôle de Marius, l’un des personnages principaux dans la production des Misérables de Cameron Mackintosh qui débuta au Théâtre Mogador à Paris en 1991. Mais les Français ne semblèrent pas apprécier qu’un Anglais retouche un des fleurons de leur patrimoine culturel, et le spectacle disparut de l'affiche avant la fin de la saison. A partir de là, Pradon avait attrapé la bosse de la comédie musicale et auditionna pour la version anglaise à Londres. A sa grande surprise, les producteurs lui offrirent, à la place, le rôle de Chris le GI, la vedette masculine d’une autre comédie musicale de Boublil et Schönberg, Miss Saigon.
« Au départ, chanter en anglais était vraiment stressant et épuisant » reconnaît Pradon, « il n’y avait pas seulement le problème de la langue, mais aussi, celui de l’accent. J’ai suivi un entraînement intensif avec un professeur de diction pour m’assurer que j’allais être capable de jouer avec un accent parfaitement américain. Je me souviens que j’étais le seul Français en lice pour le rôle et que je ne parlais même pas l’anglais à l’époque. Les autres acteurs qui auditionnaient en même temps que moi, me regardaient comme un chien dans un jeu de quilles—et je les comprends ! »
Après un an dans Miss Saigon, Pradon a enchaîné avec le rôle de Napoléon dans une comédie musicale qui n’a fait qu'une courte carrière à Toronto, puis il est retourné à Londres pour le rôle vedette dans un autre spectacle de Boublil et Schönberg, Martin Guerre. Peu après, il se retrouvait à passer une nouvelle audition devant Andrew Lloyd Webber pour le rôle de Judas dans la nouvelle version vidéo de Jésus Christ Superstar. Ironiquement, malgré son statut de star en Grande-Bretagne où il a dû faire face au choc culturel, et s’habituer à conduire à gauche et à penser à l’envers- Pradon demeure parfaitement inconnu en France.
Impatient de revenir à Paris pour y poursuivre sa carrière, Pradon est cependant conscient de l’attitude des Français face aux comédies musicales. « Le public français ne trouve pas que les comédies musicales soient une forme d’art dramatique » dit-il, « Les spectateurs de l’Hexagone n’arrivent pas à se faire à l’idée qu’un acteur sache chanter ou qu’un chanteur sache jouer la comédie ! En France, il y a soit des opérettes qui sont vraiment considérées comme ennuyeuses et vieux jeu, soit des comédies musicales comme Starmania qui sont plus proches de l’opéra-rock. En Angleterre, l’opérette a évolué de pair avec le théâtre et a produit un véritable théâtre musical. »
En d’autres termes, ne vous attendez pas à voir Jérome Pradon dans une prochaine production des Dix Commandements ou de Roméo et Juliette !
Julie Street à Londres
Trad : Elisabeth Dodard