SOUVENONS-NOUS DE L’OPERETTE
Paris, le 3 janvier 2001- L’opérette française est à peu près morte, tuée dans les années 60-70 par son propre kitsch et par l’évolution des publics. Aujourd’hui que triomphe un genre de comédie musicale né après Starmania, un double-CD (chez Frémeaux-Night & Day) nous rappelle quelle fut la grande Gloire de l’opérette dans l’entre-deux-guerres. A l’époque, comme Notre-Dame-de-Paris et Les Dix Commandements aujourd’hui, l’opérette fournissait certains des plus grands tubes de la chanson française - mais avec le sourire.
Une compilation sur les meilleures années du genre
Paris, le 3 janvier 2001- L’opérette française est à peu près morte, tuée dans les années 60-70 par son propre kitsch et par l’évolution des publics. Aujourd’hui que triomphe un genre de comédie musicale né après Starmania, un double-CD (chez Frémeaux-Night & Day) nous rappelle quelle fut la grande Gloire de l’opérette dans l’entre-deux-guerres. A l’époque, comme Notre-Dame-de-Paris et Les Dix Commandements aujourd’hui, l’opérette fournissait certains des plus grands tubes de la chanson française - mais avec le sourire.
L’opérette populaire, flamboyante et génialement créative façon Offenbach s’était peu à peu racornie en une petite sœur vaguement honteuse de l’opéra, avec des divas et des divos plus capricieux que glorieux et toutes sortes de vanités. Bref, peu avant la guerre de 1914, c’était le music-hall et le café-concert qui donnaient à la France ses meilleures chansons et qui drainaient le plus large public. L’opérette roucoulait et entrait lentement en décadence. La création de Phi-Phi, de Henri Christiné, le 11 novembre 1918, n’est pas seulement un symbolique hasard du calendrier : à partir de là, une nouvelle opérette triomphe. C’est à cette époque bénie que s’intéresse le double-CD La Gloire de l’opérette 1922-1937, publié il y a quelques temps par Frémeaux et Associés (distribution Night & Day), et qui suscite aisément des frissons nostalgiques en ce début d’année assez paisible sur le front des nouveautés.
Le dynamisme nouveau de l’opérette après la Grande Guerre lui vient de nouveaux librettistes (Sacha Guitry, par exemple), de compositeurs à la fois savants et capables de trouver la petite phrase qui va plaire à tout le monde (comme Reynaldo Hahn, l’ami de Proust) ou de géniaux créateurs populaires (Vincent Scotto, qui écrivait une revue en une après-midi et qui a signé plus de 8000 chansons). Plus de bergères et de sujets mythologiques ! Sur scène, on voit des ministres véreux, des dames de très petite vertu, des commerçants ridicules, des dandys vaniteux, des p’tits gars débrouillards de Paname, comme dans la vraie vie. L’opérette, trois quarts de siècle après sa naissance sous le Second Empire, devenait une dame compassée : on la décoiffe avec un peu de ce jazz qui vient d’Amérique, avec de grands mouvements de valse empruntés à l’opérette viennoise, avec des interprètes qui ne se prennent pas pour des artistes dépositaires du Bon Goût. Beaucoup d’ouvrages se souviennent encore des leçons classiques et des splendeurs de l’opéra, mais sans plus chercher à séduire les amateurs de voltige vocale : peu importe le contre-ut, pourvu que les chanteurs aient de la personnalité et qu’on s’amuse.
En quelques années, l’opérette devient le grand loisir populaire. On pousse l’escarpolette (dans Véronique), on savoure les viennoiseries de La Veuve Joyeuse ou de L’Auberge du Cheval blanc, on célèbre les dandys dans Brummel... Des directeurs de salles, comme Henri Varna au Casino de Paris, radicalisent les plaisirs du genre en inventant l’opérette-revue : une vague trame romanesque est le prétexte à toutes sortes de numéros chantés, sans trop se soucier de la cohérence de l’argument - en général, c’est l’histoire d’une jeune fille qui veut apprendre à chanter ou d’un jeune provincial qui rêve de triompher sur les scènes parisiennes. Ainsi, Varna fait écrire par Scotto des spectacles sur mesure pour Mistinguett, Maurice Chevalier, Joséphine Baker...
Avec les meilleurs compositeurs de l’époque et la faveur du public, rien d’étonnant à ce que l’opérette de l’entre-deux-guerres soit le lieu de création de centaines de chansons devenues classiques. Le double-CD La Gloire de l’opérette, sans prétendre à l’exhaustivité, contient un certain nombre d’immortelles : La Fille du bédouin (dans l’opérette Comte Obligado), Dans la vie faut pas s’en faire (dans Dédé), Oh ma Rose Marie (dans Rose Marie), Cane Cane Canebière (dans Un de la Canebière), Nous avons fait un beau voyage (dans Ciboulette), Je suis resté gamin (dans Louis XIV)...
Le triomphe des opérettes, c’est aussi le triomphe d’interprètes spécialisés dont les noms n’ont pas toujours résisté à l’usure du temps, comme André Bauget, beau baryton calamistré et immense vedette pendant une vingtaine d’années, ou Yvonne Printemps dont on oublie trop quelle délicieuse chanteuse elle fut. Ainsi, on rencontre Alibert, Georgel, Dranem, Ninon Vallin ou Georges Milton dans cette belle compilation, mais aussi des raretés. Ainsi, il a été choisi de ne pas présenter Dans la vie faut pas s’en faire par son créateur Maurice Chevalier mais par Ernest Cloérec Maupas, artiste spécialisé de l’opérette. Et on découvre un document unique et enthousiasmant : le Cocktail Pathé réalisé à des fins de promotion par la marque au coq gaulois, avec une quinzaine d’artistes interprétant un attendrissant sketch musical dans lequel chacun présente un court extrait d’un de ses tubes, en deux faces de 78-tours (huit minutes trente). On entrevoit alors en raccourci toutes les vertus de fraîcheur du genre, mais aussi la rouerie commerciale des maisons de disques et des producteurs du genre. Ce dernier élément ne nous rappelle pas le prétendu âge d’or de l’opérette dans les années 50, avec ses mélodies sucrées et ses costumes kitsch, mais plutôt l’époque actuelle, et le triomphe des comédies musicales françaises. La nuance est que ces opérettes étaient des comédies, d’une fantaisie débridée qui donnait souvent naissance à des refrains farfelus (Quand on n’a pas le pied marin, Les Artichauts). Or, ce n’est pas l’humour qui caractérise les comédies musicales d’aujourd’hui... Une raison de plus pour jeter une oreille dans le rétroviseur.
Bertrand DICALE
« La Gloire de l 'opérette, 1922-1937 », 2 CD Frémeaux et Associés (distribué par Night & Day)