FRANCE INFLUENCE
Cannes, le 21 janvier 2001- Le nom, France Influence , était un peu boursouflé. On pouvait craindre une de ces séances d’autosatisfaction et d’autocongratulation dont le show-business a le secret. Pensez donc ! 800 millions de francs réalisés par la musique française à l’export, soit autant que le cinéma français à l’étranger, cela ne s’était jamais vu ; on entendait les cocoricos d’avance.
Panorama de la chanson française à l’export.
Cannes, le 21 janvier 2001- Le nom, France Influence , était un peu boursouflé. On pouvait craindre une de ces séances d’autosatisfaction et d’autocongratulation dont le show-business a le secret. Pensez donc ! 800 millions de francs réalisés par la musique française à l’export, soit autant que le cinéma français à l’étranger, cela ne s’était jamais vu ; on entendait les cocoricos d’avance.
Divine surprise, il n’en fut rien. Dans son infinie sagesse Jean-Loup Tournier, qui préside jusqu’à la fin du mois aux destinées de la SACEM, mit d’emblée les pendules à l’heure. « Il faut s’entendre sur les mots » déclara-t-il non sans emphase. « Parle-t-on de musique française, ou de production française » ? A regarder les titres qui ces derniers temps ont en effet connu une belle carrière internationale, on chercherait en vain les fils d’Aragon et de Prévert. Et Tournier d’évoquer avec quelque nostalgie les temps bénis où des adaptateurs venus des USA réclamaient timidement le droit de faire une version en anglais de « C’est Si bon », « La Mer », ou « La Vie en Rose ».
Les adaptateurs n’existent plus, et la dernière chanson digne de ce nom à avoir franchi l’Atlantique date déjà d’une trentaine d’année : « Comme d’Habitude ».
Cela dit, et Jean-Loup Tournier est trop pragmatique pour ne pas l’admettre, les temps ont changé. Bienvenue donc à la french touch et, d’une manière générale, à tout ce qui favorise notre balance commerciale.
Mais, une fois clairement installé sur le terrain de la production française –et non de la chanson- on aura quand même été frappé par la modestie générale du propos. De la part du prudent Patrick Zelnik, représentant ici les producteurs indépendants, on n’attend jamais de glorieux satisfecit, même quand le chiffre d’affaires est au beau fixe. Mais on fut frappé de l’entendre dire que ces résultats étaient somme toute modestes. A l’en croire, la part de la musique française pourrait être de 20% dans la plupart des pays européens. Soulignant au passage –clin d’œil à Jean-Loup Tournier- que le critère de la langue chantée n’en était plus un depuis longtemps, il se tourna vers les pouvoirs publics pour réclamer plus de crédits pour l’aide à l’export.
Le propos n’était évidemment pas innocent, les dits pouvoirs publics étant cette année venus en force au Midem afin de montrer qu’ils avaient bien compris les potentiels économiques de la techno, de la world-made-in-Paris, et autres hip-hop sur Seine.
Etienne Fiatte, du ministère des Affaires Etrangères, rappela non sans malice que la notion de « diplomatie culturelle » ne datait pas de l’avènement de la french touch, 40 % du budget du Quai d’Orsay étant consacré à la diffusion de notre patrimoine culturel et artistique. Et il rappela l’important combat des instances politiques pour le respect de la diversité culturelle. Mais, reconnaissant implicitement que les moyens n’avaient peut-être pas toujours été à la hauteur des intentions, il dit clairement que, dans les ambassades, les clivages qui existaient autrefois entre culturel et commercial avaient disparu. Soulignant la professionnalisation croissante des attachés audiovisuels , il rappela également la création récente, au ministère, du Bureau Des Industries Musicales, précisément chargé de mieux accompagner les métiers de la musique dans leur volonté d’exporter.
Le terrain était bien préparé pour Olivier Poivre d’Arvor (oui, c’est le frère), patron de la puissante AFAA, l’organisme qui aide le plus les tournées d’artistes français à l’étranger –et qui dépend du ministère des Affaires Etrangères. Rappelant que son association consacrait chaque année 10 millions de francs aux musiques françaises (dont 4 millions pour les musiques actuelles), Poivre d’Arvor confirmait que chez lui aussi on avait tourné la page du culturel pur et dur, époque à laquelle on envoyait à l’étranger des artistes qui n’avaient peut-être pas tout à fait le potentiel requis…
Au titre des événements 2001, il cita en exemple l’énorme tournée de Rachid Taha en Asie, rendant hommage aux artistes comme Rachid qui décidaient de consacrer beaucoup de temps à des promotions pas forcément rentables à court terme. Et rappelant le parcours de celle qui est toujours prise en exemple pour l’excellence de sa carrière à l’étranger : Patricia Kaas.
Dans le seconde partie de la conférence, des représentants des maisons de disques vinrent nous faire part de leurs expériences, et de leurs stratégies, à l’export. Marc Thonon, le jeune et fringant patron belge du label Atmosphériques (Louise Attaque) fut très convaincant en détaillant la stratégie exclusivement artistique qui avait mené Tahiti 80 à recevoir, ce jour, un disque d’or pour ses ventes au Japon.
Rappelant cruellement que, du temps où il était chez Barclay (Universal), on lui aurait interdit de sortir un tel groupe - car ne correspondant pas aux critères de réussite généralement admis - il donna réellement le sentiment qu’un label indépendant était mieux armé pour ce genre de success story. Et comme le très médiatique Pascal Nègre, pourtant annoncé, n’était pas présent, ce fut à Virginie Auclair, de Sony, que revint le redoutable privilège de prouver qu’une major savait aussi exporter. Ce ne lui fut en fait guère difficile, Sony distribuant Patricia Kaas (30% à l’export) et Anggun (70% !) Quant aux autres belles histoires d’export, ces dernières années, elles sont aussi très liées aux majors : Daft Punk, Air, Manu Chao chez Virgin. Modjo, Era, Khaled et Tarkan chez Universal.
Après la pause-déjeûner, Aya Ohi, de JVC-Japon, et Adam Herko, de MSI-USA, vinrent nous dire tout le bien qu’ils pensaient de la production actuelle française. Mais entre la légendaire courtoisie nippone et le réalisme américain, on ne pouvait en rester là pour se forger une opinion définitive. Vinrent alors les rafraîchissantes Nubians, les seules, à vrai dire, à avoir connu récemment un succès significatif aux Etats-Unis. Et enfin on eut le plaisir d’entendre que, dans les tournées à l’étranger, il n’ y avait pas que des perspectives de gains, sous forme de ventes d’albums ; mais qu’il pouvait y avoir un échange humain, de nouvelles sources d’inspiration, un enrichissement culturel. Ah bon, c’est pas seulement des voyages d’affaires ?
Mais chacun son métier et Bernard Batzen, tourneur (en jargon show-bizz c’est celui qui organise des concerts et des tournées) vint rappeler que faire jouer des artistes français à l’étranger coûtait cher, surtout pour les musiciens « world » qui ont la mauvaise habitude d’être des légions sur scène –et donc autant dans les avions. Ce pro qui fut notamment le manager de la Mano Negra, premier groupe frenchie à soulever des foules hors de l’hexagone (Manu Chao en était le leader) se tourna de nouveau vers les pouvoirs publics et les sociétés civiles, certes pour les remercier de leur aide, mais surtout pour déplorer la lourdeur de leur fonctionnement… et les très longs délais nécessaires au paiement des subventions octroyées.
Après un petit trou de mémoire, qui doit correspondre à une sieste incontrôlée, on eut la bonne idée de se réveiller pour voir sur scène deux jolies jeunes femmes : Nathalie Tournier (oui, c’est la fille) et Marie-Agnès Beau. La première dirige le French Music Office de Los Angeles ; la deuxième fait la même chose à Londres. Ces antennes à l’étranger du Bureau Export jouent désormais un rôle capital de relais entre les professionnels en France et les réseaux locaux. A écouter Marie-Agnès nous expliquer comment elle faisait venir des groupes de rap français dans les lycées anglais, comment les ados britanniques, élèves de français, s’amusaient à écrire des textes pour leurs invités, puis à les interviewer, on se disait qu’en effet l’imagination était au pouvoir ; et qu’avec de telles initiatives (sans négliger les plans marketing) il se pourrait bien que la flambée actuelle des musiques françaises à l’étranger ne soit pas qu’un feu de paille. Il se pourrait bien qu’il y ait une réelle « France Influence ».
Jean-Jacques Dufayet