MIDEM 2001 : LA SOIREE AFRICAINE
Cannes, le 23 janvier 2OO1- C’est fou comme les choses changent, en vingt-quatre heures. Ce soir la salle des Ambassadeurs a l’air accueillante. Il faut dire que c’est le premier jour de ce Midem où le public local est admis, au milieu des professionnels. La jeunesse cannoise et des environs s’est assise devant la grande scène. On dirait presque un concert normal !
Sous le signe de l’afro-rock.
Cannes, le 23 janvier 2OO1- C’est fou comme les choses changent, en vingt-quatre heures. Ce soir la salle des Ambassadeurs a l’air accueillante. Il faut dire que c’est le premier jour de ce Midem où le public local est admis, au milieu des professionnels. La jeunesse cannoise et des environs s’est assise devant la grande scène. On dirait presque un concert normal !
Ils sont venus écouter de la musique africaine. Au programme Wock (Sénégal), Tiken Jah Fakoly (Côte d’Ivoire), et Geoffrey Oryema (Ouganda).
Nos lecteurs connaissent Wock (rock wolof), et l’histoire intéressante de ce métissage musical entre Figuerolles (Provence) et Saint-Louis (Sénégal). A l’évidence la sauce a pris. Il y a en effet dans l’air des effluves de rock mêlées de mbalax et de danse du ventilateur. Certes le concept n’est pas encore tout à fait abouti, et le son est carrément cra-cra. Un jack défectueux sur une guitare viendra même ternir la fin de ce set pourtant prometteur.
Pape Abdou Seck, le chanteur, rappelle Youssou N’Dour, du temps de sa fraîcheur. Et, quelque part, il a déjà réussi là où You s’est un peu fourvoyé, ces dernières années. Wock, malgré ses imperfections, est un pont novateur entre Europe et Afrique, sans pour autant affadir la principale influence, résolument ouest-africaine. La démarche est la bonne, il faudra juste nous affiner un peu cette rythmique très binaire, voire carrément lourdingue. Mais, au fil des concerts, on sent que tout cela va se préciser…
Du côté de Tiken Jah Fakoly, le diagnostic est plus réservé, Docteur ! Un rigolo, derrière moi, persifle : « Comme meeting politique ça peut être sympa. Mais comme concert, c’est un peu léger. » Et, perfide, il ajoute : « Ces gars me font de la peine ; ils jouent tellement au-dessus de leurs moyens. » Le pire c’est qu’il a raison sur les deux points. Ne parlons même pas de l’impression de déjà vu, déjà entendu. Le reggae ivoirien a son maître, et celui qui le détrônera n’était pas sur la Côte d’Azur ce soir. Mais quand on se positionne sur un créneau déjà joliment occupé, il faut au moins présenter un combo d’une qualité technique irréprochable. Or tout cela est terriblement approximatif, brouillon, et pour tout dire décevant.
C’est tout le contraire qui nous attend avec Geoffrey Oryema. Il faut dire que vingt ans de métier sont (déjà) derrière l’Ougandais, avec leur lot d’expériences, de succès, d’échecs. Mais surtout beaucoup de travail, une solide conviction, et –cela reste essentiel- un énorme talent.
Pourtant, au début, le show du « Gentleman de Kampala » peut perturber. Une jeune fille devant moi souffle à l’oreille de son copain : « Mais, ce n’est pas de la musique africaine, ça. » A la fin, elle fera des bonds de deux mètres, m’écrasant trois orteils à l’atterrissage. C’est qu’entre-temps, le blondinet moustachu aura tranquillement construit et fait évoluer ce qu’il appelle son « voyage musical » dans une progression impeccable allant de la sanza au new-âge.
Si, jusqu’à son spectacle, on pouvait douter de l’acoustique de cette salle, on se réjouit soudain les oreilles grâce à une précision instrumentale rare, un ciselage harmonique pointilleux, qui n’empêchent cependant pas les grandes envolées rythmiques, jusqu’au confins du hard-rock. (Bravo au passage à Violaine, la batteuse, que l’on connut il y a bien longtemps au sein de Lili Drop.)
C’est que l’Ougandais mélange tout, parce qu’il peut se le permettre. Il y a une sorte de philosophie identique dans la démarche d’Oryema, de Wock, et même de Rachid Taha (voir l’article d’hier). Celle d’apporter le rock à la musique d’Afrique –ou le contraire. Du reste, les trois formations ont une géométrie commune : les européens derrière, et l’africain devant ! Cela fonctionne dans les trois cas. Dans cette musique où les savanes d’Afrique de l’Est restent si présentes, il n’y a pourtant aucun artifice ni cliché : pas de choristes tapageuses, et les percussions sortent tout droit du synthé ! Foin de tout exotisme de pacotille, Geoffrey Oryema se situe sur un autre terrain : celui d’un grand musicien multi-culturel qui, à ce jour, a réussi le meilleur lien entre Londres, Paris, et Kampala. En cela, il doit déjà faire verdir de rage un certain Peter Gabriel qui, depuis plusieurs décennies avec Real World, rate systématiquement sa mayonnaise.
Jean-Jacques Dufayet