L'ABCD-Rom de Dick Annegarn
Une trentaine de dessins, de planches et de bulles. C'est le contenu d'un livre, noir et blanc, tantôt saignant, tantôt poétique, souvent drôle, que nous propose un joyeux aréopage de dessinateurs qui a usé ses crayons autour d'un thème : Dick Annegarn. Vaste sujet, vaste répertoire, auquel le chanteur a apporté sa touche via un CD-Rom de surprises. Un vrai petit Dick illustré.
L'univers du chanteur croqué par 30 dessinateurs
Une trentaine de dessins, de planches et de bulles. C'est le contenu d'un livre, noir et blanc, tantôt saignant, tantôt poétique, souvent drôle, que nous propose un joyeux aréopage de dessinateurs qui a usé ses crayons autour d'un thème : Dick Annegarn. Vaste sujet, vaste répertoire, auquel le chanteur a apporté sa touche via un CD-Rom de surprises. Un vrai petit Dick illustré.
Quand on ouvre L'aBcD-Rom, on tombe d'emblée sur un portrait d'Annegarn par Annegarn. Et pourtant, l'inspirateur de ce projet n'a quasiment pas mis son nez dans cette entreprise. C'est au départ, l'histoire d'un dessinateur, Babouse, pilier du magazine de B.D. belge Spirou ou du quotidien communiste français l'Humanité, fan d'Annegarn, qui trouvait que cet univers poético-engagé ne se prêterait pas mal au dessin, aux comics, à la B.D. "C'est un jeune dessinateur qui m'a proposé de participer au projet de faire illustrer mes chansons par une quinzaine de dessinateurs qui sont finalement devenus une trentaine", nous raconte Dick Annegarn. "Il s'est occupé de tout, de trouver un éditeur, Guy Buée de Goutte d'or productions, de faire la direction artistique avec lui. Moi je me suis volontairement désolidarisé de ça. C'est leur bouquin."
Sur le site du magazine comics-world.net, Babouse explique dans une vidéo qu'il s'est intéressé à Annegarn "parce qu'il y a des chanteurs qui comme lui, invitent à se créer des images dans la tête et forcément, on a envie de le cracher sur le papier pour que tout le monde en profite." Une trentaine de planches, parfois d'une page, parfois jusqu'à sept comme celles de Babouse justement qui signe une des B.D. les plus drôles (cf.ci-dessous) : la rencontre au sommet des deux Dick de la chanson française, Annegarn et Rivers, le perfecto et la banane victorieuse de ce dernier n'étant pas sans rappeler le Lucien de Margerin. Ambiance de Far West pour un combat sur fond de cactus à la fin duquel un seul Dick survit. Devinez lequel ?… C'est clair, Dick Annegarn a laissé le champ libre à cette bande d'allumés du crayon, moyenne d'âge 25 ans, où peu de "noms" se sont glissés à part peut-être Charb, Solé ou Thiriet.
Et pourtant, croyez-le ou non, la BD n'a jamais été son truc : "Moi, je ne touche pas une bille en B.D., je n'arrive pas à lire ça !" Où s'est donc faite la connexion ? "J'ai donné mon accord parce que la BD, grossièrement, c'est plutôt des gens de gauche. Donc, politiquement, je suis relativement raccord avec cette esthétique 70-80, un peu pamphlétaire comme certaines de mes chansons, Ubu ou d'autres. Mais je ne suis pas pour autant un chanteur engagé, ni cette BD." Et pourtant, de Ça pue (la pollution) à Enfant de la guerre, de la Guerre à l'armée ou Tchernobyl Blues, sans compter ses initiatives personnelles, associations de quartier, travail dans les banlieues, centre de journalistes amateurs, il a mouillé sa chemise le chanteur et a tenté à son niveau de dénoncer les excès des puissants. Avec ce livre, il s'y retrouve : "Il y a une permissivité plus grande dans la B.D. que dans d'autres disciplines. La parole y est plus libre, c'est ce qui me plaît. On y trouve aussi un côté happening. Moi, j'ai fait pas mal d'efforts pour dépasser un certain public dit "baba-cool", un peu exclusif. J'étais fatigué d'un côté polémique permanent, de la prise de tête que j'ai vécu pendant 10 ou 15 ans. Ce projet est donc pour moi plus poétique, pataphysique, énigmatique que polémique. On ne fait pas du Cabu ou du Plantu (dessinateurs politiques, ndlr). Je suis d'accord avec l'aspect politique au départ mais je n'en fais pas une esthétique." C'est vrai que ces dernières années, Annegarn a atteint une jeunesse plus apolitique en tournant avec Mathieu Boogaerts ou en jouant avec M lors de la nuit Annegarn au Bataclan en décembre 2000.
Initialement destiné à illustrer les chansons d'Annegarn, le bouquin révèle que le chanteur est vite devenu la principale source d'inspiration. On y trouve de tout, un Annegarn de science-fiction, chanteur folk limite ringard, curé, bougon, avec des filles, avec des gars, déprimé, joyeux, chasseur de mouches, et même quelques jeux signés Carali ou Reuzé. "Oui, je ne m'attendais pas à ça. Je pensais que les gens écoutaient mes chansons et en fait, ils m'écoutent moi. Je croyais que mes chansons étaient plus signifiantes que ma vie, que moi. Dans la B.D., visiblement, ils retiennent plus ma bio, même imaginaire. Ma vie est réinventée par d'autres. On ne peut pas contrôler son image. Moi, ce n'est pas mon propos." Et pourtant, le chanteur s'est vu croqué d'innombrables façons parfois surprenantes : "On déchante un peu… On croit qu'on est vu comme on est mais non. Ça participe bien à une attitude que j'ai dans ce métier, ni mon image ni mes chansons ne m'appartiennent à partir du moment où je les ai rendues publiques. Chacun réinvente un Annegarn à sa façon. Je n'ai rien guidé ni interdit."
La seule chose qu'il ait faite, c'est d'apporter sa touche numérique. Cet internaute averti, créateur de son propre site, annegarn.com, a joint à l'ouvrage un CD-Rom qui via une présentation de son site offre des bonus. Primo, on peut visionner intégralement la pièce de théâtre 2112, spectacle de politique-fiction, écrit et mis en scène par Annegarn en 95, et dont la qualité vidéo est autrement supérieure à celle du site, plus petite et à l'image moins sûre. Deuxio, le Hollandais chantant, ayant racheté les droits de deux anciens albums, Citoyen (1981) et Ullegara (1991), il les met à disposition de nos oreilles dans leur intégralité, texte et son. Que demander de plus ?
Une tournée ? Elle démarre le 2 février à la Courneuve au nord de Paris. Mais l'idée de départ de faire illustrer les chansons d'Annegarn par des dessinateurs, en live et dans le temps imparti du titre, n'a pas éclos. Les aléas du spectacle ont eu raison de ce Pop Cool Tour bicéphale, rêve d'un musicien pour provoquer le choc de l'image et du mot, les épousailles de deux arts dont la portée est parfois sous-estimée. Restent les chansons. Réécoutez-les en lisant l'aBcD-rom. Votre imagination fera le reste.
Tous les dessins sont tirés du livre.