Les Comores à l'honneur

Mélodie aligne trois artistes comoriens, dont un Mahorais produit par Cobalt, pour ce début de millénaire dans leur catalogue. Nawal, Baco et Maalesh. L'occasion pour nous de faire le point sur cet archipel minuscule de l'océan Indien.

Nawal, Baco et Maalesh

Mélodie aligne trois artistes comoriens, dont un Mahorais produit par Cobalt, pour ce début de millénaire dans leur catalogue. Nawal, Baco et Maalesh. L'occasion pour nous de faire le point sur cet archipel minuscule de l'océan Indien.

Les Comores n'interpellent souvent les médias occidentaux que lors d'un coup d'état foireux ou d'une crise politique. Rarement pour des raisons culturelles. L'Archipel pourtant regorge de potentialités, si l'on en croit son histoire passée et présente. Mais la culture n'ayant jamais été considérée comme une alternative économique possible dans le pays, peu de créateurs arrivent à y défendre leur art de façon à interpeller les producteurs étrangers. En musique, il n'existe sur place aucune industrie, même artisanale, pouvant encourager un développement intéressant. Quelques studios d'enregistrement s'y sont créés durant les dix dernières années. Mais ils ne suffisent pas pour renouveler un patrimoine séculaire qui puise ses principales sources dans l'Orient arabo-persan, dans l'Afrique bantou, en Asie et en Europe. D'autant plus que les nouvelles générations de Comoriens connaissent de moins en moins les traditions, attirées qu'elles sont par les sonorités modernes diffusées par les radios et les chaînes de télé étrangères.

Dans un tel contexte, devenir artiste devient un challenge d'amateurs passionnés. Sachant que peu d'entre eux envisagent ensuite de construire une carrière... Il n'empêche, quelques âmes inspirées arrivent tant bien que mal à sortir la tête hors de l'eau. Dans les années cinquante, et jusque dans les années soixante-dix, il fallait, pour un artiste comorien qui souhaitait percer, compter avec l'Afrique de l'Est. Depuis le début des années quatre vingt, les plus persévérants jouent la carte francophone à fond la caisse. A Marseille ou à Paris, seuls trois ou quatre d'entre eux se distinguent cependant dans les bacs. Néanmoins, le public comorien ne suit pas toujours. Et quand il se montre fidèle au rendez-vous, il préfère le piratage à l'achat de disques. Quant au public étranger, il est plus attiré par Madagascar et la Réunion, grâce probablement à la maturité affichée par les sonorités venant de ces îles. Le maloya a le vent en poupe, le valiha laisse les critiques pantois, alors que les sonorités comoriennes semblent avoir du mal à s'affirmer, malgré leur pluralité d'influences. En réalité, les professionnels de la musique dans ces îles semblent plus organisés et jouissent par ailleurs d'un intérêt un peu moins coincé de la part des médias internationaux. Simple affaire de tendance.

C'est dans ce type de problématiques que s'embourbe à l'heure actuelle la musique comorienne. Les trois artistes sur lesquels parie la maison de disque Mélodie, avec le label Cobalt, sauront-ils inverser la vapeur ? Il est trop tôt pour lancer les pronostics. Mais en comparaison à d'autres pays, les Comores sont de toute manière un territoire qui attirera de plus en plus les producteurs, à cause de cet aspect terra incognita, qui laisse croire à certains que le patrimoine passé et à venir demeure préservé, loin des phénomènes de mode du moment. Nawal, chanteuse à la voix fragile, longtemps tiraillée entre l'envie d'embraser les rythmes du monde entier et la nécessité de se ressourcer dans sa culture d'origine, compose des histoires de femmes meurtries, vendues ou soumises. Née à Moroni, très tôt initiée à la musique par ses oncles maternels sur un air de Johnny Hallyday (Jésus est un hippie), elle vit actuellement en France où elle a migré dès l'enfance. Elle emprunte aux confréries musulmanes de l'Archipel, s'invente une mystique contemporaine et rêve de liberté créatrice face au regard de ses compatriotes, qu'elle suppose castrateur. A la base de son histoire musicale, trône l'ombre malgré elle d'un homme. Abou Shihab, ancien lauréat des Découvertes RFI, qui avait projeté de fabriquer le nouveau son des Comores dans les années soixante-dix avec des bouts de ficelle. A l'époque, il l'avait appelé folkomorocéan. Sans suite véritable, et ce, malgré le talent.

Le même homme préside aux mélanges sonores orchestrés par Maalesh. Egalement lauréat du concours Découverte RFI (édition 95), ce dernier, dont le surnom arabe à lui seul résume un état d'esprit cool et ouvert, mise sur un folk-song aux mélodies très enlevées, qui revendique la dynamique amorcée par son aîné avec le folkomorocéan. Une pointe de nostalgie, pétrie d'influences arabo-africaines, habille chacun de ses titres. Plus ancré dans le terroir, il interprète ses premiers chants religieux à l'âge de dix ans. A douze ans, il mariait sa voix à la guitare acoustique. A seize, il s'embarquait pour l'ailleurs. Baladin poète sur la côte est africaine, crooner heureux en Arabie Saoudite où il se passionne pour le patrimoine bédouin… il rentre définitivement au bled à la fin des années 80 et décide de se forger une identité musicale plus à même de refléter sa comoriennité plurielle. Maalesh chante la paix, l'amour et la liberté, en arabe, en swahili et en comorien.

Enfin, le troisième larron de cette aventure sonore, soutenue par Mélodie, c'est le Mahorais Baco, qui vient de signer avec le label Cobalt. En France, on ne connaît pas très bien l'histoire complexe des anciennes colonies. On ne sait donc que très rarement que Mayotte, d'où est parti Baco pour conquérir le monde, a d'abord été la première possession française de l'Archipel des Comores. Son album ? Une nouvelle mouture du fameux folkomorocéan, où l'on retrouve guitare et gabousy (instrument à cordes afro-oriental), reggae et shigoma (genre musical), trans-acoustique et ronde mélodique sous la pleine lune. Architectures sonores éclatées, glissements volontairement ternaires sur le plan rythmique, voix passe muraille… La musique de Baco marche d'un pas léger vers un monde peu angoissé par les rapports marchands. Ballades généreuses et sensibilité de rebelle. On s'y laisse prendre sans aucun regret. Ses influences, multiples par ailleurs, invitent le mélomane à se laisser bercer par le cri inspiré d'un archipel complètement possédé par les génies de l'océan Indien. Musique mosaïque, également traversée en long et en large par la passion d'une Afrique ancestrale à moitié perdue à travers les âges, la musique de Baco, enfant de Mayotte déclaré, ambitionne en toute modestie de panser ces blessures-là. D'où cette nostalgie subtile qui plane sur les textes et qui rappelle une époque où les hommes prenaient le temps de vivre dans le respect de l'autre sur l'ensemble de ces terres insulaires.

Nawal Kweli (Mélodie) 2001
Nawal est en concert à Paris le 27 janvier, à la Maroquinerie.
Maalesh Wassi Wassi (Mélodie)
Baco Hiriz - Questions (Cobalt/ Mélodie) 2001