REGAIN DE KLEZMER
Paris, le 1er février 2001 - Après la Shoah, les juifs chassés par la guerre ont emporté aux Etats-Unis la musique klezmer, musique de mariage et de réjouissance d'Europe centrale. Là, elle subit maintes influences, notamment celle du jazz américain des années 70. Aujourd’hui, outre-Atlantique, le style renaît par l’émergence de jeunes groupes "100% klezmer" qui mêlent anciens thèmes et éléments contemporains (pop, rock, free jazz, ska jamaïcain). En Europe, après une période de sommeil compréhensible, cette musique retrouve une seconde vie en France.
Les nouvelles musiques yiddish en France
Paris, le 1er février 2001 - Après la Shoah, les juifs chassés par la guerre ont emporté aux Etats-Unis la musique klezmer, musique de mariage et de réjouissance d'Europe centrale. Là, elle subit maintes influences, notamment celle du jazz américain des années 70. Aujourd’hui, outre-Atlantique, le style renaît par l’émergence de jeunes groupes "100% klezmer" qui mêlent anciens thèmes et éléments contemporains (pop, rock, free jazz, ska jamaïcain). En Europe, après une période de sommeil compréhensible, cette musique retrouve une seconde vie en France.
Dans l'Hexagone, on est encore loin du succès américain de la musique klezmer et des énergiques brunchs musicaux de David Krakauer à New-York. Pourtant, c’est à Amiens qu’il a enregistré son dernier album. Signe avant-coureur d’une vague klezmer prête à débarquer en France ? En tout cas, une des plus grosses maisons de disques mondiale s’intéresse au créneau. Universal vient d’éditer le dernier album de l’Orient Express Moving Schnorers (Klezmer Nova, Philips/Universal), un groupe français. «C’est vrai qu’il y a encore quelques années cela aurait été impossible," admet Pierre Wekstein l’arrangeur et saxophoniste du groupe, mais aujourd’hui à force d’avoir joué un peu partout et notamment dans les clubs de jazz, nous commençons à trouver notre public. Ce sont des gens de tous âges qui ne sont pas forcément juifs.»
Côté public comme côté scène, le klezmer a effectivement dépassé les frontières de la communauté juive pour attirer des amateurs de jazz et de musique du monde, autour d’une musique métissée. En cinq ans, l’Orient Express a su se forger un son propre, celui d’un groupe qui ne s’inscrit pas uniquement dans la tradition, mais qui intègre le groove spécifique à cette musique tout en l’élargissant à d’autres courants. Ce nouvel album et leur dernier spectacle attestent de ce dynamisme. Les huit musiciens (basse, batterie, clarinettes, piano, trombone, trompette et bugle, violon, mais aussi flûte et saxophone) puisent dans les mélodies tournoyantes, joyeuses et tout aussi nostalgiques, qui ont emprunté au fil des siècles à l’héritage tsigane et aux folklores roumain, autrichien, polonais ou russe. Ils savent intégrer une construction proche de celle d’un Big Band de jazz, avec des solos répondant à l’énergie d’un orchestre, mais aussi se laisser inspirer par des musiques plus contemporaines. Le jeune clarinettiste du groupe (âgé de 20 ans) et son acolyte trompettiste s’offrent même la possibilité de butiner vers le rap et le raggamuffin, mi-yiddish mi-français. Ici, point de parole rasta ou révolutionnaires, mais juste la lassitude de « manger des pommes de terre même un jour de shabbat », toastée sur un beat urbain.
Le nom du groupe est d’ailleurs un voyage klezmer à lui tout seul : "Orient Express" pour le train qui reliait Paris à Constantinople (Istanbul) en traversant l'Europe centrale, berceau de la musique klezmer, "Moving" pour l’idée de voyage permanent dans le temps et l’espace, l’émigration qui a accompagné l’évolution de cette musique et "Schnorer" pour désigner le mendiant, le personnage un peu roublard et paresseux, mais sympathique dans la culture yiddish.
Créé en 1993, le Grand Klezmer est un des premiers groupes français à s’être monté à Paris pour défendre les couleurs de cette musique riche en variations et en accélérations, capable d’explorer des veines free jazz, orientales ou même urbaines. Comme l’Orient Express, le Grand Klezmer est né grâce à la volonté d’un artiste de fédérer autour de lui d’autres musiciens juifs et non-juifs pour faire revivre ce son. Sous la houlette d’Alain Karpati, le groupe a acquis une certaine réputation en France, grâce à ses arrangements originaux et à la vitalité de ses spectacles, à la fois cocasses et sensibles, où la musique laisse place aux histoires drôles pour mieux emmener le spectateur. Comme le premier, leur deuxième album (Oy /Ness Music) s’appuie sur la rencontre de l’instrument klezmer par excellence, à savoir la clarinette, avec le saxophone, la guitare, le violon, la contrebasse et l’accordéon. L’accordéoniste, Laurent Douel, s’offre même une composition, la Danse du Golem, avec des accents un brin musette. C’est peut-être la seule «touche française» de cet album qui mêle titres instrumentaux et chants. D’ailleurs pour Alain Karpati, « le klezmer n’a pas encore d’empreinte spécifiquement française».
Comme son nom ne l’indique pas, Odessa est une autre formation tricolore, née en 99 de la fusion de quatre musiciens. Le groupe s’est construit dans la tradition des origines, c’est-à-dire celle de la rue et avec comme ciment la rencontre avec le public. La musique d’Odessa est une histoire d’individus qui se donnent rendez-vous dans ce port hypothétique de la Mer Noire. Odessa, ce sont les voyages du clarinettiste, répondant aux acrobaties de cirque de l’accordéoniste, qui font écho aux expériences musicales classiques du banjoïste, et aux univers jazzy du joueur de tuba.
Leur premier album est sans compromis. Entièrement auto-produit, et simplement intitulé Klezmer Orchestra, il s’articule autour de thèmes klezmer, dont la mélodie est assurée par une clarinette inspirée et soutenue par le banjo. Cet album puise aussi dans les multiples influences de l’Est : de la Roumanie, à la Macédoine, en passant par les rythmes tsiganes, bulgares ou roumains. Le tout ciselé avec une grâce et une élégance telle que l’on peut les écouter tranquillement pour en apprécier la profondeur mélancolique, tout en ayant une irrésistible envie de danser.
Azoy est un groupe alsacien qui sait puiser dans ces deux mamelles de la culture musicale juive. Le groupe est né en 1995 de l’union de quatre musiciens (clarinette, accordéon, violon, contrebasse) et de la chanteuse Poupa. Azoy («c’est comme ça» en yiddish) puise son inspiration dans le registre des musiques klezmer traditionnelles, avec quelques détours par des sonorités tsiganes et roumaines, mais aussi par la chanson française ou bien sûr le jazz. Poupa est l’auteur et l’interprète des textes originaux de l’album (Musique klezmer et chanson yiddish (Playasound/Melodie). Des ghettos d’Europe de l’Est à New York en passant par le Sentier parisien, ses chansons racontent des histoires où modernité et tradition se croisent pour donner un nouvel élan à la chanson yiddish. On passe de la gaîté à la mélancolie, de la danse au poids de l’amour d’une mère, des « fripiers du Sentier » à la découverte du coca-cola par un grand-père qui débarque à New York. Encore un beau voyage qui ressuscite cette langue riche, en voie de disparition.
Enfin, nés dans l’Est de la France eux aussi, les Yiddishes Mamas et Papas ont eux également choisi de s’exprimer en yiddish, même s’ils ne composent pas encore. Eux aussi sont des gens issus de divers univers (l’Auvergne, la musique irlandaise, le jazz, le théâtre) juifs et non-juifs, «qui ont roulé leur bosse, et qui se retrouvent pour mettre en commun leurs expériences», selon Astrid Ruff, l’une des chanteuses. Les voix des trois chanteurs sont soutenues par les cadences du piano, les solos du saxophone et les rythmes saccadés des percussions. Cette famille recomposée se situe quelque part entre le cabaret, la comédie musicale, le jazz et la world music. On est donc assez loin de la musique klezmer, si ce n’est dans l’approche joyeuse et énergique de la scène. Mais pour Astrid Ruff le renouveau de la musique klezmer n’est pas étranger à la création du groupe. «C’est un style de musique que j’écoute beaucoup, confie-t-elle. "On est très liés à cette renaissance, à ce vaste mouvement qui pénètre peu à peu l’Europe car on a tous envie de croire en la possibilité de donner une nouvelle jeunesse à ces traditions qui se perdaient».
Elodie Maillot
Concerts en vue :
Le Grand Klezmer :
Théâtre de la Vieille Grille ( Paris ) le 7 février 2001.
Odesssa :
Théâtre de la Vieille Grille ( Paris ) le 31 janvier 2001.
Les Yiddishe Mamas et Papas :
L’Illiade (Strasbourg) les 14 et 15 février 2001.
Tumba ( Alligator)
Le klezmer en ligne :
yiddishmusical.com
La gazette klezmer