Planète Clayderman
Paris, le 8 février 2001 - Depuis la fin des années 70, Richard Clayderman mène une carrière de pianiste qui pourrait faire pâlir de jalousie la moitié de la planète musique. A l'occasion de la sortie d'un nouvel album en France, 101 solistes tsiganes, nous avons rencontré le prince de la musique instrumentale populaire.
Le globe-trotter du piano
Paris, le 8 février 2001 - Depuis la fin des années 70, Richard Clayderman mène une carrière de pianiste qui pourrait faire pâlir de jalousie la moitié de la planète musique. A l'occasion de la sortie d'un nouvel album en France, 101 solistes tsiganes, nous avons rencontré le prince de la musique instrumentale populaire.
Revenu d'une tournée en Malaisie et s'apprêtant à repartir en Amérique centrale pour une série de concerts, nous avons réussi à fixer un rendez-vous à Richard Clayderman dans les bureaux de la maison de disques Delphine Productions, à Paris. Ici pas de fans hystériques, de troupes de journalistes avides d'informations. Aucun des ingrédients sulfureux de la vie d'une star. L'homme est discret et ne rameute pas les foules dans son propre pays. Autant dire qu'il est quasiment transparent dans le paysage musical français. Ce qui est loin d'être le cas ailleurs dans le monde. Même Jean-Michel Jarre ne lui arrive pas à la cheville. Richard Clayderman est capable de remplir des stades de 20.000 personnes en Chine, les Japonais l'adorent, et les Allemands applaudissent. Qui dit mieux ?
J'ai navigué sur votre site internet et j'ai consulté la page concernant vos dernières sorties : en 99, vous avez sorti un album pour la Chine, un pour le Royaume-Uni, un pour la France, un pour Taiwan. En 2000, un pour le Benelux et un pour l'Allemagne. Enfin, vous sortez en ce début d'année pour la France, 101 solistes tsiganes. Vous vous y retrouvez ?
Avant tout, il faut dire que le site a été monté par un Anglais qui est fan depuis mes débuts, passionné par ce que je fais, et qui m'a toujours suivi. En accord avec ma maison de disques bien sûr. C'est bien d'avoir quelqu'un qui va au devant de la demande et vient vous dire "j'ai envie de créer ça parce que j'aime ce que vous faites".
En ce qui concerne les dernières sorties. Les 101 solistes tsiganes est le dernier album que j'ai enregistré, il y a 6 mois. Ce qui est facile lorsqu'on est instrumentiste, c'est qu'on peut jouer beaucoup de choses, même si on a un surcroît de travail terrible. En ce moment, on travaille sur un album destiné à la Chine. Une fois que j'ai les mélodies, les partitions, c'est un travail entre moi et le piano, un travail sur l'interprétation.
On fait des albums différents selon les pays car on se préoccupe beaucoup de notre public et de ses spécificités. Mes producteurs dont Olivier Toussaint, la maison de disques qui me représente en Asie ou celles qui me représentent en Europe demandent que l'on enregistre des albums pour leur région.
Au début de votre carrière, bien avant tout le monde, vous vous êtes positionné sur la scène internationale. Est-ce dû au fait que vous jouiez de la musique instrumentale ?
Je pense que oui, mais c'est aussi le hasard, car il y a à travers le monde de nombreux instrumentistes qui n'ont pas la chance de faire la carrière comme la mienne. C'est aussi la chance d'avoir bien fonctionné au début, d'avoir su saisir les cœurs de différentes personnes, de différentes cultures. Ce qui est incroyable, c'est que Balade pour Adeline, Lettre à ma mère et A comme Amour, les trois morceaux que j'ai enregistrés à mes débuts, sont ceux qui ont le plus de succès dans tous les pays.
Votre premier concert était à Vienne en 79…
C'était important car cela se passait dans la capitale de la musique classique. J'arrivais avec cette musique plus variété, populaire. Ça a très très bien marché. C'était notre première expérience à Olivier et à moi. J'ai dû jouer Ballade pour Adeline six ou sept fois en bis. Grâce à la tournée en Autriche, j'ai eu du succès en Allemagne, puis ce fut l'Espagne et grâce à l'Espagne, l'Amérique du sud. Puis la France, l'Angleterre et grâce à elle, je suis allé aux Etats-Unis mais c'est le seul pays qui n'ait pas autant explosé que les autres. Tant pis, c'est comme ça. C'est déjà beaucoup de travail.
Avez-vous déjà analysé la raison d'un tel succès et de sa longévité ?
A la base, le piano est un instrument qui est apprécié par beaucoup de gens. Le répertoire aussi car mes morceaux ont plu assez vite. J'avais envie de jouer tous ces grands thèmes que j'avais entendus quand j'étais tout jeune, et j'avais envie de les interpréter à ma façon. Ça a bien fonctionné auprès du public.
D'après vous, est-ce lié aussi à votre image, votre look ?
Au début, il y avait cette image du jeune pianiste toujours bien habillé, en smoking. J'aime bien avoir de beaux vêtements quand je suis au piano, même si dans la vie de tous les jours, je suis en jeans. Je crois que ça a dû marquer les gens. Je sais que me producteurs faisaient très attention aux pochettes de disques. Elles étaient travaillées. On était dans un studio, on disposait un piano bien sûr, et moi, je me tenais d'une certaine façon, en smoking, c'était toujours élégant. On passait du temps pour faire une belle pochette. Maintenant, c'est un peu plus décontracté.
Vous avez des fans-clubs, des sites internet ? Recevez-vous beaucoup de courrier ?
Oui, ça passe beaucoup par les fans-clubs. Il y a des personnes qui m'adorent et qui passent beaucoup de temps à répondre aux lettres. Quand je vais dans certains pays comme le Japon, je sais qu'une journée est réservée à rencontrer les gens. Quant le courrier arrive directement ici, j'essaie de répondre moi-même. En général, ce sont surtout des témoignages.
Comment vivez-vous cette notoriété internationale ?
Bien, plus je vieillis plus j'essaie d'être le plus professionnel possible. Auparavant, j'étais un peu inconscient car tout me souriait. Avec les années, je me rends compte combien c'est difficile, combien il y d'artistes qui essaient de faire cette carrière et qui n'ont pas la chance de sortir parce qu'ils sont très nombreux. Quand j'entre dans un magasin de disques, j'en ai le tournis tellement on nous propose de choses.
Dans quel pays vous n'avez pas encore joué. Les pays d'Afrique ?
En fait, j'ai surtout fait l'Afrique du Sud. Depuis 5-6 ans, il ne se passait plus rien. C'était très fort, puis c'est retombé. C'était normal dans la mesure où on ne peut pas être tout le temps au top. Là, ça repart très fort. C'est étonnant.
En fonction de quoi sont déterminés vos lieux de concert ?
En fonction des demandes. D'un seul coup, vous ne savez pas pourquoi, il y a un album qui marche plus qu'ailleurs, c'est le cas aujourd'hui en Afrique du Sud avec une compilation de morceaux récents. Il y a un engouement, on me demande des interviews, et je pense qu'on va faire une tournée et en profiter pour faire de la promotion, des shows télé.
Vous passez du temps sur les routes … Existe-t'il des passages obligés ?
Je tourne 6-7 mois de l'année, pas d'une traite. Les autres mois de l'année sont consacrés aux enregistrements d'albums, à la promo dans différents pays. Chaque année au Japon, je fais par exemple 30 à 40 concerts. Ça fait 20 ans que ça dure, c'est étonnant. On fait de beaux concerts, les Japonais mettent à disposition du bon matériel, de beaux éclairages, des décors. C'est le top. En revanche, on part bientôt en Amérique centrale, c'est autre chose. Le public vibre avec vous, c'est très plaisant pour un instrumentiste un public qui bouge avec vous. Il applaudit même en plein milieu du morceau. Au niveau organisation, c'est plus compliqué.
En 20 ans, vous n'avez pas changé de style musical ni de look d'ailleurs. Est-ce qu'un jour vous n'avez pas envisagé de suivre un autre cap, une autre voie ?
Sur scène, il y a généralement 40% de choses que je n'ai jamais enregistrées. Des morceaux un peu plus jazz fusion par exemple sans partir dans des impros incroyables. Des thèmes brésiliens, du jazz rock, un morceau de Metheny, un de Joe Sample. Mais il y a toujours ma façon de jouer, de reprendre certaines mélodies. Mon rêve serait de jouer avec Pat Metheny ou Larry Carlton, j'aime bien les guitaristes. Mais eux, auraient-il envie de jouer avec moi, je ne sais pas ?
Comprenez-vous le désintéressement, voire le mépris qu'affichent certains médias français à votre égard alors que la presse internationale est quasiment toujours élogieuse ? Ça a un côté bête et méchant assez systématique, non ?
C'est exactement ce que je ressens. Je dirais que heureusement qu'il y a tous ces pays dans lesquels je peux aller faire des concerts. En France, depuis quelques temps, les choses commencent à changer un peu. Et surtout parmi les musiciens, ce qui est déjà important. Au début, ils disaient que c'était une musique facile etc. Quand ils se sont rendus compte que j'avais beaucoup de succès, ils se sont dit qu'il y avait quand même quelque chose. Au sein des médias et parmi les chroniqueurs en particulier, c'est plus difficile. Je ne sais pas d'où ça vient.
Comment vous projetez-vous dans l'avenir ? Richard Clayderman dans 20 ans ?
Ce que j'aimerais, c'est continuer à faire des concerts. 20 ans, ça me paraît beaucoup même s'il y a des carrières de pianistes qui se poursuivent très tard. J'ai eu 47 ans, si je pouvais encore faire cinq belles années. Peut-être qu'avec une dizaine d'années supplémentaires, je serais très content. Vais-je tenir le coup physiquement ? Faire des tournées est relativement épuisant, les décalages horaire, les voyages, etc. Ces temps derniers, on m'en demande de plus en plus.
Quel est votre sentiment à propos de la musique en ligne ?
Pour le moment, Internet dessert un peu les artistes, mais c'est l'avenir. Tout le monde n'y retrouve pas son compte. Plus directement, le piratage des disques est un vrai fléau. Ici (Delphine prod. : ndlr), on a une jeune femme qui ne s'occupe que du piratage de mes disques. C'est elle qui se charge de retrouver dans les différents pays les boîtes de piratage qui se montent. Des commandos de police interviennent et saisissent le matériel. Il y a un manque à gagner énorme pour la maison de disques. Parfois, j'ai été numéro un dans certains pays, avec des disques pirates. Essentiellement sur l'Asie. En Europe aussi, en Angleterre, en Hollande, …Je ne m'en rends pas forcément compte mais quand je voyage avec mon producteur, il regarde dans les magasins et il sait très bien que certains disques n'ont pas le label du distributeur local. Je crois que je dois être un des artistes le plus piratés dans le monde. Il faut commencer par faire cesser ce phénomène, déjà.
Propos recueillis par Valérie Passelègue