Little Rabbits
C’est tout de rose bonbon vêtu que le cinquième album des rongeurs vendéens est apparu depuis peu. Fièrement intitulé la Grande Musique, l’opus ne se contente pas d’avoir la couleur de la friandise. Il en a aussi la saveur, pleine de sucre et de plaisir avec une pétillance acidulée. La gourmandise est double puisqu’un CD-Rom est joint dans la papillote, offrant une dizaine de courts films vidéos aussi drôles et sans prétention que le sont nos êtres de garenne.
A petits lapins, grande musique !
C’est tout de rose bonbon vêtu que le cinquième album des rongeurs vendéens est apparu depuis peu. Fièrement intitulé la Grande Musique, l’opus ne se contente pas d’avoir la couleur de la friandise. Il en a aussi la saveur, pleine de sucre et de plaisir avec une pétillance acidulée. La gourmandise est double puisqu’un CD-Rom est joint dans la papillote, offrant une dizaine de courts films vidéos aussi drôles et sans prétention que le sont nos êtres de garenne.
Chez Barclay ce jour-là, la salle d’attente ne désemplit pas. Mille questions, cent réponses, une journée de promotion qui s’achève. Stéphane, le guitariste-chanteur et Laurent l’homme des platines sont les deux membres qui sont venus de leur province pour représenter le groupe. La prochaine fois ce sera peut-être Federico (chant/guitare) et Olivier (clavier), ou bien Gaëtan (basse) et Eric (batterie) qui devront se plier à l’exercice.
Le début, c’était en 1988. Ils sont alors cinq à décréter vouloir être des lapins, même petits. Frères de cœur de Katerine et Dominique A, ils écument les bars, les salles puis les festivals. De soutien en succès, leur premier album Dans les faux puits rouges et gris naît en 1991. Les Little Rabbits sont alors classés dans la catégorie pop française, chantent presque exclusivement dans la langue de Shakespeare et voient même leur titre La mer tourner un peu sur les ondes radiophoniques. C’est dans le Dedalus qui sort en 1993 que les étiquettes se perdent. Rock, punk, pop, les opinions divergent face aux textes plus sombres, aux guitares très présentes…
L’accueil plus boudeur se détend un peu lors de la sortie de Grand Public (1996). Il faut dire que cet album (ainsi que le très bon Yeah ! qui suivra (1998) et que l’excellente Grande Musique que voilà) s’expatrie à Tucson en Arizona pour l’enregistrement et le mixage. Sous la magistrale houlette de Jim Waters (Jon Spencer Blues Explosion, Sonic Youth…) le virage bienfaisant s’entame. Tant et si bien d’ailleurs que le groupe ne se sépare plus de l’homme. "On peut dire qu’il fait partie de la famille !", raconte Stéphane. "Au début de notre rencontre il s’agissait principalement de travailler. Puis on s’est rendu compte qu’humainement on est pareil. C’est vraiment devenu un ami." Une collaboration sans affectif ? "Tu as mis le doigt sur quelque chose d’essentiel", selon Stéphane. "Le groupe travaille principalement avec des gens que l’on connaît bien et que l’on apprécie humainement. En plus de la qualité de travail à faire ! A choisir entre un ami qui sait bien faire une chose et quelqu'un avec peu d’atomes crochus qui sait mieux la faire, on choisit le premier !"
Mais outre l'ordinateur, les cuivres et les percussions sont très présents et cela est assez neuf : "Il y a ces apports-là en effet"confirme Stéphane. "Et aussi le fait d’avoir enlevé beaucoup de guitare. Déjà sur scène, il n’y a presque plus que la mienne, Federico n’en joue quasiment plus. Quand on enlève cette espèce de guitare rythmique qui fait un peu comme une nappe de clavier derrière, cela laisse forcément de la place à d’autres arrangements. Il y a déjà plus d’espace pour la batterie et la basse. Puis cela permet de rajouter des percussions derrière pour compléter la rythmique ou de jouer avec les arrangements en se demandant quels sont les instruments qui pourraient rajouter du swing, du groove. Cela peut -être des cuivres, des scratches… Et ces petits éléments donnent une couleur totalement différente de la guitare rythmique de départ. Puis ils ouvrent la musique, ils l’aèrent, et mettent plus en valeur les choses importantes dans le morceau."
Comme une évolution en entraîne une autre, la Grande Musique est le premier album chanté entièrement en français. Les textes signés Federico sont ludiques à souhait, emplis de voitures désuètes ou américaines, fourmillant de rapports entre hommes nonchalants, mufles, intéressés, et femmes lascives, superficielles, soumises. Bref, le tout est caricatural, paroxystique et vingt-troisième degré.
C’est le même Federico (devenu peu à peu le chanteur unique du groupe) qui est à l’origine des bases musicales de la composition. Puis chacun des membres se réapproprie sa partie ou la structure totale, fait évoluer la chanson jusqu’à parfois la transformer entièrement. Une fourmilière d’idée qui nous laisse imaginer des échanges aux discussions sans fin : "
Non, pas forcément sans fin", dit Stéphane, "parce que Federico reste tout de même le chef d’orchestre. Si une direction de morceau ne lui plaît vraiment pas ou s’il sent que le texte prévu ne va pas coller, il reprend les choses en main ou nous demande de repartir différemment. Tout le monde se remet en question, c’est vraiment un travail de groupe." Le terme employé pour Federico à l’instant semble assez révélateur de l’esprit des Little Rabbits : c’est un chef d’orchestre, ce n’est pas un leader. Comme s'ils ne voulaient pas d’une entité plus importante que les autres. "Oui, ça c’est quelque chose qui est à la base même", confirme Stéphane. "Je me souviens quand on a commencé à parler éventuellement de monter un groupe il y a un peu plus de dix ans, la vision idéale était déjà celle-ci : pas de leader. C’est pour cela aussi qu’au départ on était deux chanteurs. Il n’y a d’ailleurs rien de plus chiant quand tu arrives à une interview et qu’un journaliste te dit "Ha il est pas là le chanteur ? ". Tout le monde dans le groupe peut parler des Little Rabbits, il n’y a aucun membre qui en parle mieux que les autres."
Un autre aspect symptomatique chez eux est la dérision des paroles. La chanson à texte n’a jamais été leur luzerne. "Oui, oui, il y a ce côté déconnade" avoue Stéphane. "Ce sont un peu des saynètes quoi, des petits moments comédies de vie. Il n’y a donc pas d’engagement à avoir sur les textes. On n’est pas un groupe revendicateur avec un message particulier. Justement je crois que la musique pour nous est assez ludique." L’âge avançant, il y a moins de gros mots chez les Little Rabbits, hormis la harangue d’entrée du titre générique La grande musique. ("Ecoutez-moi bande de con…"). Espèrent-ils passer en radio avec ça ?? (Rire général) "Franchement il y a dix fois plus de gros mots dans la scène hip-hop où dans le répertoire de certains chanteurs que cette phrase "Ecoutez moi bande de con !" lance Laurent. "Alors c’est vrai, cela a posé problème auprès de quelques radios. Federico a un vrai respect pour les femmes en plus. Il met simplement en avant un paradoxe qui doit lui plaire." Stéphane enchaîne : "Puis chacun le prend comme il a envie. Il y a mille avis différents. Il y a des femmes qui trouvent l’album macho parce qu’elles ont pris certains textes au premier degré, d’autres rient. Certains garçons considèrent l’homme décrit comme étant fort, d’autres le voient pitoyable."
La salle d’attente de chez Barclay est désormais bien vide, la journée de promo semble close. Chacun replie ses affaires en évoquant les petits films du CD-Rom, tournés au départ "juste comme ça, pour s’amuser", en parlant de l’Arizona, de l’encore trop grande confidentialité du groupe, de l’espoir d’être accessible par tous… Grande musique certes, mais laquelle ? Quelqu'un a-t’il enfin trouvé l’étiquette juste ? Rires de Laurent : "Certains nous collent encore celle de pop française, alors qu’on ne l’est pas, ou alors à notre façon à nous parce qu’on a réussi à digérer toutes nos influences. C’est vrai que l’image de groupe est un peu embarrassante puisque l’on touche un peu à tous les styles musicaux." "Cela dit", conclut Stéphane, "si quelqu'un nous cherche chez le disquaire c’est dans le bac rock qu’il faut regarder !" A bon entendeur, conseillé.
Little Rabbits La Grande Musique (Barclay/Universal) 2001
