Trenet International
Si depuis son décès lundi 19 février, Charles Trenet a fait la une de tous les médias français, sa disparition est l'occasion de prouver que sa notoriété avait depuis longtemps franchi les frontières de l'Hexagone. En Afrique, Asie, Amérique et bien sûr en Europe, de nombreux quotidiens ont offert quelques dernières colonnes à l'auteur de la Mer. Petit tour des rédactions.
La presse du monde entier évoque le chanteur disparu
Si depuis son décès lundi 19 février, Charles Trenet a fait la une de tous les médias français, sa disparition est l'occasion de prouver que sa notoriété avait depuis longtemps franchi les frontières de l'Hexagone. En Afrique, Asie, Amérique et bien sûr en Europe, de nombreux quotidiens ont offert quelques dernières colonnes à l'auteur de la Mer. Petit tour des rédactions.
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Québec
Loin devant toute la presse non-française, les Québécois ont fait une très large place au décès de Charles Trenet. Une dépêche de l'agence Reuters titre "le Québec est en deuil de Charles Trenet" et résume en une phrase l'impact du chanteur dans la Belle Province : "Une escapade rapide aux Archives nationales du Québec fera constater à tout visiteur l'importance de Trenet dans l'histoire musicale du Québec."
Dès lundi matin, jour du décès, une immense et magnifique photo (signée Jacques Nadeau) du Fou chantant souriant et roulant ses yeux bleus trônait sur la une web du quotidien Le Devoir. Le lendemain matin, Odile Tremblay évoquait Trenet : "Français soit, mais Charles Trenet était aussi un peu des nôtres. Il fait partie de la petite histoire du Québec, tant il y a chanté à maintes périodes de sa vie. Les aînés évoquent encore avec des yeux brillants ses passages au Cabaret Chez Gérard à Québec où il s'est produit régulièrement pendant quinze, et ce, dès 1948."
Mais surtout, la presse ne manque pas d'évoquer le chagrin de Gilbert Rozon. Ce Montréalais est depuis 1983 le "manager international" du chanteur disparu, et s'occupe de sa carrière française depuis 1987. Michel Dolbec dans un article pour l'agence la Presse canadienne, rappelle qu'on lui doit d'avoir fait remonter Trenet sur scène en 83, au Québec avant la France, et d'avoir organisé le grand spectacle pour ses 80 ans à l'Opéra Bastille à Paris auquel avait assisté le président Mitterrand.
Enfin, dans un excellent article du quotidien La Presse, Jean-Christophe Laurence raconte la "longue histoire d'amour entre Trenet et la Belle Province". Il raconte que le Français, "à moitié installé, va jusqu'à acheter un vieux théâtre désaffecté de la métropole". Dans cet article, Gérard Thibault, propriétaire du cabaret évoqué plus haut, Chez Gérard, raconte que "Charles Trenet connaissait mieux le Québec que bien des Québécois".
Etats-Unis
Bien que Charles Trenet ait vécu et chanté plusieurs années aux Etats-Unis, qu'il ait triomphé au Bagdad à New York après-guerre et ait été courtisé par Hollywood, la presse américaine n'est guère loquace sur sa disparition. Le journaliste David D'Arcy, de la NPR (National Public Radio) nous confirme ce peu d'intérêt : "De nos jours les Américains ne savent pas grand chose sur la France. Il y eut des jours dans les années 40 et 50 où, au contraire, la France était associée à ses écrivains et ses artistes. C'était quand la Mer était un standard joué du Bronx à Beverly Hills. Mais aujourd'hui, essayez de trouver quelqu'un de moins de 40 ans qui connaît Trenet… Au magasin Tower Records à Manhattan, le casier Trenet est resté intact cette semaine. Pauvre Amérique."
Lorsque son heure viendra, Charles Aznavour, grand ami de Trenet, sera sans doute le seul Français à avoir le privilège de trôner en une de la presse américaine. Peu d'échos, donc, dans les quotidiens. Ceux qui ont choisi d'en parler (Baltimore Sun, Los Angeles Times, San Francisco Chronicles…), reprennent la plupart du temps une seule et même dépêche de l'Associated Press signée Cécile Roux. Le site internet de CNN annonce le décès via une dépêche de l'agence Reuters où l'on compare l'ambiance des concerts de ses débuts à la "Beatlemania des années 60".
Cependant, un journal, et non le moindre, s'est fendu d'un article original : le New York Times. Alan Riding y évoque un Trenet qui "bien que moins connu que Chevalier, Piaf et Aznavour à l'étranger, était la personnification de la chanson française", cette dernière expression étant en français comme souvent dans la presse anglophone. Il qualifie ses compositions de "très françaises dans les textes", mais montrant "l'influence du jazz américain très populaire à Paris en ce temps-là". En revanche, comme souvent dans la presse (même française), les années d'Occupation sont évoquées de maintes façons. Pour Riding, Trenet "a été attaqué par la droite française pendant la guerre en raison de ses liens avec le gouvernement du Front populaire".
Europe
Dans la presse, anglaise, on évoque les faits avec plus de précision. Peter Lennon du Guardian londonien, aborde le sujet autrement plus franchement que l'Américain : "Les Folies Bergères et la Gaieté parisienne, où il triomphait, étaient parmi les lieux favoris de la Wehrmacht. En juin 43, les Juifs ont été interdits de jouer sur scène et d'assister à ces spectacles. Pendant ce temps, Trenet chantait joyeusement Douce France pour un public privilégié." Puis il reproche aux Français d'avoir considéré sa "collaboration" comme "innocente et mineure". Il rappelle alors, ce que Véronique Mortaigne fait aussi dans le quotidien français du soir le Monde, que "lorsque la presse a accusé Trenet d'être juif et fils de rabbin, il a produit aux autorités quatre générations d'extraits de naissance pour prouver qu'il n'avait aucun sang juif." Enfin, il termine en écrivant que Trenet a été pardonné "en partie parce que le monde du spectacle pouvait être considéré comme le terrain de jeux des hommes politiques français dont les vilains membres fermaient les yeux sur les éventuels débordements en échange du bon temps offert."
Mais la presse britannique reconnaît par ailleurs tout le talent de Trenet. James Kirkup, dans The Independant, rappelle que les chansons de Trenet sont d'une "simplicité trompeuse : chaque phrase, chaque note sont fabriquées avec le plus grand soin et la plus grande invention artistique - un travail très lointain des répétitions monotones du rock et du rap."
La Suisse, et en particulier le quotidien Le Temps, raconte le chanteur disparu avec beaucoup de poésie et de tendresse. Laurent Wolf, dans un éditorial qualifie Trenet d'"inventeur de la chanson française". Selon lui, avec Trenet "les locomotives circulaient dans les appartements. (…). Sa poésie était proche du surréalisme et de l'invention inépuisable du parler populaire. Il jouait avec les images, avec les mots, avec les idées. Et jamais il n'affichait son malheur et celui des autres. Il avait l'humour des mélancoliques". Le même jour, Vincent Monnet affirme que "Trenet est parvenu dès les premières années de sa carrière à réconcilier la France populaire et l'intelligentsia parisienne". Dans le même ordre d'idée mais dit différemment, Michel Barbey, toujours dans Le Temps, pense que "Trenet est celui qui devait faire passer la chanson française des tétons de Valentine aux pistons d'Armstrong".
Enfin, selon Nicolas Dufour, "ce deuil est plus sensible encore pour une station de radio : le Fou chantant fut un des premiers chansonniers à s'acoquiner avec le nouveau média. (…) Il aura nourri le média autant qu'il en aura vécu".
En Espagne, le journal Diario 16 annonce dans son édition du 20 février, la disparition du chanteur en insistant sur son rôle de novateur : "Auteur, compositeur et interprète de près d'un millier de chansons, entre autres le succès mondial la Mer, contribua dans les années 40 à introduire la chanson française dans l'ère moderne, grâce à la qualité de ses textes et son talent musical." Le célèbre quotidien El Pais quant à lui à travers la plume d'Octavi Martí évoque la période de la Seconde Guerre mondiale tout en mettant en perspective le rôle qu'on fit jouer à ses chansons jusque dans une période récente : "Beaucoup de ses chansons étaient gentiment surréalistes, presque toujours optimistes et joyeuses, mais parfois elles prenaient des accents mélancoliques comme entre autres, un de ses succès intitulé Douce France, un air qui fut fredonné par les collabos pétainistes et par les Résistants gaullistes. En 88, il servit même à rassembler l'électorat autour de François Mitterrand."
Pour continuer dans le même domaine, Laura Putti dans le quotidien italien la Repubblica, rappelle son non-engagement politique : "Il continue de donner des concerts durant l'Occupation et comme Chevalier et Piaf, en 43, va en Allemagne pour chanter devant les prisonniers français. Ce fut l'unique moment sombre dans une carrière brillante et longue de presque un siècle." Dans un autre article Michele Serra regretterait presque de ne pas avoir un Trenet en Italie : "La mort de Trenet est pour la France (et pour tous les francophiles au monde) un grand deuil. Quelque chose de largement similaire aurait pu arriver chez nous avec Modugno s'il avait chanté plus longtemps et si nous appartenions à un pays moins divisé et si nous usions de moins de dialectes". L'auteur de l'article, même s'il loue les qualités artistiques indéniables de Trenet, n'est pas des plus tendres quand il se remémore un de ses derniers concerts en Italie : "Pour quelques chanceux, ce fut un vrai choc il y a de ça huit ans, de voir et d'entendre Trenet à San Remo. Déjà décrépi, le visage figé par un sourire de vieille actrice, il portait un invraisemblable complet blanc et quand il chantait, s'appuyant sur le micro, s'élevait sur le bout de ses chaussures, blanches elles aussi".
Amérique latine
Le journal Uno Mas Uno au Mexique rappelle pourquoi Trenet fut par certains côtés, un homme en avance sur son temps : "Avec un mélange de phrasé dans le style du jazz américain et des paroles simples, Trenet fut un des premiers artistes français qui exploitèrent la radio comme un moyen de communication massif dans les années d'avant-guerre." Il propose aussi une vision différente de ses positions durant la Seconde Guerre mondiale : "Son homosexualité déclarée, son goût pour le jazz et son amitié avec les artistes juifs le firent passer pour une cible des nazis durant l'occupation allemande de 40 à 44, quand la presse collaborationniste le considérait comme ayant une mauvaise influence sur la jeunesse."
Ricardo Garcia Oliveri dans Clarín, le grand quotidien argentin écrit : "Le comparer à Gardel n'est pas exagéré. (…). Comme les chanteurs de Tango avec Gardel, les chanteurs français avaient des problèmes lorsqu'ils tombaient sur un thème qu'il n'avait pas encore enregistré - c'était de toute façon extrêmement rare - car alors, ils ne savaient pas comment l'interpréter, comment le dire, où chanter les larmes, où chanter le rire..." Gardel et Trenet devraient figurer au même panthéon de la chanson selon ce journaliste qui continue par "Il vint en Argentine en 1947 engagé par LR1 Radio Lel Mundo dont les nouvelles soulignaient qu'il venait de New York et que le jour de ses débuts à l'Embassy, les bis avaient duré 50 minutes. Il continua à venir par la suite ; les habitants de Buenos Aires, les Argentins apprirent à l'aimer tandis qu'ils sifflaient les airs de Que reste t'il de nos amours, Je chante, Chanson d'amour, Si tu vas a Paris, …" Trenet sur les traces de Gardel dans le cœur des Argentins ?
Japon
Finissons avec le pays du Soleil Levant où l'annonce du décès de Charles Trenet fut accueilli avec beaucoup d'émotion. Frédéric Charles, envoyé spécial permanent à Tokyo, nous conte à quel point le chanteur a marqué les Japonais :
Charles Trenet, les Japonais l'auront découvert après-guerre, et seuls ceux qui auront connu cette période de destructions et les frustrations qui suivirent la défaite, l'occupation américaine, se souviennent de lui et éprouvent, à l'annonce de sa mort, davantage de tristesse que de nostalgie. Car c'est une période de leur histoire, celle d'Hiroshima, de la renaissance de leurs cendres atomisées qu'ils préfèrent oublier. La prospérité qu'ils ont acquise, entre-temps, et avec elle la puissance économique en dépit de leurs difficultés présentes leur paraissent, tout de même plus rassurant.
"Seuls les Japonais qui ont plus de cinquante ans connaissent le nom de Charles Trenet", reconnaît Shuji Kato, le responsable d'une association d'amoureux de la chanson française. Avec le jazz, Charles Trenet leur aura permis de se recréer un univers coupé de la ville, un lieu de repli et de fuite. Des boîtes à chanson française minuscules apparurent dans les quartiers de Tokyo au début des années 50, comme chez Koga qui existe toujours dans le quartier de Akasaka, et où son propriétaire, lui-même chanteur, traduisit en japonais des mots aussi précieux de l’artiste français comme ceux-ci : "Il faut garder quelques sourires pour se moquer des jours sans joie".
"De la Mer à Fleur bleue, ses chansons, très gaies, avaient offert de l'espoir aux Japonais de l'après-guerre", ajoute Shuji Kato. L'une des habituées de chez Koga depuis trente ans, Chiyoko Sakurai, un professeur de littérature japonaise, dit que ces boîtes a chansons françaises, souvent sombres, tapies au fond de leur ruelle, étaient synonymes de dépaysement après-guerre. "J'ai découvert Charles Trenet, sa poésie, ses joies simples, sa foi en l'avenir grâce aux traductions de M. Koga. Je l'ai senti dans ma langue car je ne parle pas le français. Mais il m'a permis de rêver, d'imaginer un monde meilleur et de pas céder au nihilisme contrairement a beaucoup d'intellectuels japonais de l'époque. Y' a d'la joie, Je chante, ces ritournelles parfois un peu absurdes, tant elles sont légères, à une période de notre histoire si douloureuse où les Japonais avaient perdu toute confiance en eux-mêmes, croyez-moi, elles nous ont aidés à supporter l'insupportable", dit-elle.
Les enfants et petits-enfants de Chiyoko Sakurai ont été influencés, eux, par la culture populaire américaine, Hollywood ou leurs propres chanteurs plus ou moins fous. Et qui ont emprunté certaines des recettes de Trenet, comme le swing américain, le fox-trot ou la valse musette, pour plaquer dessus leur propre poésie. "Charles Trenet a eu son heure de gloire au Japon dans les années 50 et 60, c'est vrai. Mais la chanson japonaise a été influencée par lui, c'est indéniable ; nos artistes se sont enrichis de ses disques, ils les ont étudiés avec la plus grande minutie pour développer leur propre style et dérouler un fil mélodique non moins original", estime Chiyoko Sakurai.
"Ces rythmes jazzy et entraînants apportaient un son nouveau" se souvient Shuji Kato. Ce sont les Japonais qui cédèrent, au lendemain de ces années sombres de la défaite, à la passion du jazz, l'identifièrent à la musique de Duke Ellington et de Louis Armstrong que Charles Trenet fréquenta. Le lien était établi : "Le jazz et les chansons de Trenet que demander de plus? Pour les Japonais il était une sorte de George Gershwin français et, comme lui, ils rêvaient d'un nouveau monde. Au fond, malgré d'inévitables malentendus, compte tenu des différences culturelles, ces Japonais qui avaient vingt ans dans les années de l'après-guerre se sentaient très proches de Trenet", confie Shuhei Ohno, l'éditeur de Ça gaze, un magazine consacré à la chanson française au Japon.
Que reste-il de Trenet aujourd'hui au Japon ? "La Mer. Cet air reste fredonné dans l'archipel grâce la radio ou à la télévision. Les jeunes Japonais le connaissent même s'ils ne savent pas qui en est l'auteur", répond Hiroshi Ashino, un autre spécialiste de la chanson française à Tokyo. Les chansons de Trenet, hélas, ne figurent pas dans les catalogues des bars karaoké, si nombreux et populaires au Japon. Les jeunes Japonais qui fréquentent ce genre d'endroit préfèrent des chanteurs comme Jo Dassin ou Claude François. Car leurs mélodies sont considérées comme plus faciles à chanter en japonais. Le Japon change mais Charles Trenet n'est pas oublié."
Epilogue
L'Inde (The Hindu), l'Allemagne (Stern), l'Algérie (El Watan), la Pologne (Gazeta Wyborcza), le Sénégal (Le Soleil), la liste est encore longue des journaux ayant évoqué le souvenir de l'artiste. La Mer est de loin le titre le plus cité, celui qui a permis à Charles Trenet de laisser une trace de poésie dans la mémoire collective internationale.
La rédaction de RFI Musique
Jean-Jacques Dufayet, Valérie Passelègue, Catherine Pouplain