Zebda au coeur du débat
Les Français le savent, les autres peut-être pas : le 11 mars prochain, les villes de France vont élire leur maire. A Toulouse, la quatrième cité du pays, une liste différente, au nom explicite de Motivé-e-s, bouscule l'échiquier politique local en rassemblant près de 17% des intentions de vote¹. Parmi les candidats, deux des membres du groupe Zebda, Hakim Amokrane et Magyd Cherfi. Ce dernier nous commente le parcours militant du groupe et les ambitions de Motivé-e-s.
Le groupe milite pour les élections municipales
Les Français le savent, les autres peut-être pas : le 11 mars prochain, les villes de France vont élire leur maire. A Toulouse, la quatrième cité du pays, une liste différente, au nom explicite de Motivé-e-s, bouscule l'échiquier politique local en rassemblant près de 17% des intentions de vote¹. Parmi les candidats, deux des membres du groupe Zebda, Hakim Amokrane et Magyd Cherfi. Ce dernier nous commente le parcours militant du groupe et les ambitions de Motivé-e-s.
"On est né de l'action politique. On était des militants associatifs avant Zebda. Sans Zebda, on le serait resté", lance Magyd Cherfi, 39 ans, chanteur du groupe et candidat, avec Hakim Amokrane, sur la liste dont la tête n'est autre que Salah Amokrane, 36 ans, frère aîné de Hakim et de Mustapha dit Mouss, membre de Zebda itou (un autre encore, Pascal, le guitariste, est candidat sur une autre liste de la région). Rappelons pour mémoire que Zebda, c'est trois albums dont le dernier, Essence ordinaire, s'est envolé à 600.000 exemplaires grâce au single Tomber la chemise, carton de l'année 99 et Victoire de la musique 2000 de la Meilleure chanson. A partir de là, beaucoup d'artistes oublieraient leur cité et ses problèmes pour se consacrer à la déco intérieure de leur Ferrari. Eux, les grosses cylindrées… bof.
Dès l'adolescence, tous se retrouvent déjà dans la lutte contre une municipalité qui, selon eux, délaisse les quartiers Nord, leurs quartiers. Dès 82, ils montent Vitécri, qui aide les jeunes du coin, leur ouvre des portes vers la culture, leur offre un soutien scolaire. Très vite, Vitécri s'implique dans la lutte contre le racisme et les problèmes des cités. En 95, l'association disparaît et Zebda naît (après un premier essai entre 83 et 85, le groupe existe vraiment depuis 88). En 97, forts d'une notoriété vite utilisée à des fins militantes, ils montent TaktiKollectif, une structure associative, "un projet citoyen", toujours actif, qui prolonge le travail de Vitécri, mais surtout, permet de porter la lutte sur le terrain politique. De ce nouveau "rapport de force", naît la liste Motivé-e-s dont l'orthographe très précise met en avant la place des femmes et la pluralité des sympathisants.
Et des sympathisants, il y en a. Les sondages leur sont très favorables, le dernier en date leur promettant 17%¹ d'intentions de vote. Leur score n'a fait qu'augmenter depuis le lancement officiel de la campagne et aujourd'hui, et selon le même sondage, ils dépasseraient largement les Verts (6%) et frisent la moitié des scores de la liste de la gauche PS/PC/PRG de François Simon (26%) contre 39% d'intentions de vote pour le candidat de la majorité actuelle, Philippe Douste-Blazy.
Pas de programme, pas de parti
Mais que disent les Motivé-e-s pour séduire tant de monde ? "Il s'agit de dire qu'à Toulouse, il y a deux sociétés", explique Magyd. "Une qui fonctionne, qui a les moyens, et une autre catégorie de gens qui sont exclus de la vie de cette ville. Les politiques ont fait en sorte que les gens soient dégoûtés de la chose politique. Et les jeunes qui nous rencontrent veulent bien nous suivre mais ne veulent pas se prendre la tête avec la politique pure. On a envie de recréer un lien en disant au gens que la vie de la cité dépend d'eux, qu'ils doivent y participer. Et nous, Motivé-e-s, on se donne les moyens de faire en sorte qu'on arrive à une plus grande participation de la population." Principe numéro un de la liste, la démocratie participative, la parole à tous, une certaine forme d'autogestion politique. Pas de programme figé et s'il doit y en avoir un, il doit venir des militants.
Alors que tous les plus gros partis de gauche (PS/PC/PRG) se sont rassemblés autour du candidat du parti socialiste, les Motivé-e-s ont donc préféré cultiver leur spécificité : "C'est totalement une liste de gauche. Mais la gauche, c'est des partis politiques. Et ces partis sont devenus des étouffoirs dans lesquels chacun envoie ses évidences. A l'extrême gauche, c'est le délire du bonheur pour les exclus. Et avec la gauche pluriel, on se déclare solidaires et l'affaire est entendue. Donc, ça ne nous convient pas non plus. Il faut remettre en question les fonctionnements de ces appareils qui sont coupés de la vie des gens. Nous, on veut une formule plus souple où on ait le sens de l'humour et la capacité de refuser le pouvoir s'il y a incompétence. C'est un problème d'état d'esprit." L'intransigeance et le souci d'intégrité de Motivé-e-s les ont même menés à fermer la porte de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), pourtant proches d'eux au départ (ils ont financé une partie de l'album Motivés en 97, une compilation de chants de lutte) : "On a essayé de partir ensemble mais dès qu'on s'est rencontrés", relate Magyd, "ils ont ressorti les évidences habituelles soit qu'eux ont raison et que les autres sont tous pourris. Nous, on ne veut pas dire qu'on a raison. On veut tenter une expérience. On n'est pas sûr nous-mêmes, que ça tienne la route. On veut faire jouer l'idée du doute qui ne va pas avec la démarche classique des partis."
Et bien que refusant le principe du parti, les Motivé-e-s ont dû jouer le jeu politique pour en arriver là. Le 8 février, Claude Sicre, pilier d'un militantisme local plus régionaliste, emblème des Fabulous Trobadors, l'autre groupe phare de Toulouse, interpellait les candidats dans la Dépêche du Midi sur "l'indigence de leur programme politique". Du côté de Motivé-e-s, bien que candidats, on approuve : "On partage beaucoup de choses avec Claude dans son analyse," répond Magyd. "Mais lui pense que nous ne devrions pas nous assimiler à un parti politique. Il veut un contre-pouvoir mais qui ne serait pas dans la dynamique politique. Mais ce que nous avons retenu, c'est que si nous ne sommes pas dans cette dynamique, les politiciens ne nous prennent pas au sérieux. Il parle d'indépendance, mais si on n'est pas sur le terrain politique, on dépend des politiques et ils nous tiennent à la gorge. Alors, que si on joue le jeu, on est le propre responsable de ses projets."
Coluche ?
Invariablement, les Zebda doivent se justifier sur leur engagement : "A partir du moment où l'on est artiste, les gens se demandent si on est sérieux. Mais on démontre le contraire en mettant en avant que Zebda est né d'un mouvement politique et non le contraire. Les gens pensent qu'on fait un tour à la Coluche." Coluche ! Référence incontournable en la matière puisque cet humoriste et comédien, décédé en 86, figure quasi mythique en France pour sa grande gueule généreuse, s'est présenté aux élections présidentielles de 1981. Sa campagne est aujourd'hui une référence dès qu'un artiste ose se frotter au jeu politique : "D'un côté, c'est positif", remarque Magyd. "Il a été gigantesque dans la mouvance civile. Mais, il a fait un vrai spectacle de cette histoire. Nous, on n'est pas rigolo quand on traite des transports publics ou de la ré-appropriation de la distribution d'eau à Toulouse. Ce sont des sujets ingrats mais il faut en parler."
Une des raisons pour lesquelles Zebda s'implique aussi dans le débat actuel est l'hypocrisie qu'ils disent avoir ressenti dès que leur célébrité a explosé. C'est ainsi qu'à l'inauguration du Zénith de Toulouse en 99, ils ont tout simplement refusé l'invitation de la mairie. Magyd se souvient : "On s'est rappelé qu'il y a quinze ans, quand on appelait la mairie au secours, elle nous a fermé la porte au nez. Dès qu'on a eu l'occasion de renvoyer l'ascenseur, on l'a fait. La mairie a cassé le mouvement associatif des quartiers. On veut donc aller plus loin, dire qu'on ne veut plus de ces gens-là. Il faut des gens neufs à l'image de François Simon. Ce mec n'est pas rentré dans la boue des arrangements entre amis. Il nous plaît assez bien."
Mais beaucoup leur reprochent justement de prendre les voix du candidat François Simon. "On répond à cela qu'on a passé les quinze dernières années à voter utile pour le parti socialiste et qu'ils n'ont jamais renvoyé l'ascenseur dans les quartiers. François Simon représente un espoir, pas forcément le parti qui l'entoure. Il ne sort pas du giron du parti socialiste. C'est donc difficile pour nous mais on ne peut pas faire de politique en étant sûr de soi. Il nous faut vivre avec nos contradictions." Donc, en dépit des "discussions" au sein de Motivé-e-s, il est fort "envisageable" que la liste menée par Salah Amokrane appelle à voter pour ce candidat au deuxième tour. Après cela, selon les résultats, Motivé-e-s continuera son chemin au sein de la mairie ou "tentera de survivre à un troisième tour qui sera celui de la résistance".
1. Sondage Ipsos pour Le Figaro effectué entre les 6 et 8 février 2001 auprès de 500 personnes.