Françoiz Breut
Révélée par son travail avec Dominique A, la chanteuse Françoiz Breut, après la parution de son deuxième album Vingt à trente mille jours, a lancé à la fois une tournée et une exposition de livres uniques inspirés de ses chansons, qui sont l’une et l’autre en cours.
Du micro au pinceau (et retour)
Révélée par son travail avec Dominique A, la chanteuse Françoiz Breut, après la parution de son deuxième album Vingt à trente mille jours, a lancé à la fois une tournée et une exposition de livres uniques inspirés de ses chansons, qui sont l’une et l’autre en cours.
L’Espace Frédéric-Sanchez, à la lisière du Marais, à Paris, est un lieu étrange, à la fois galerie d’art contemporain et magasin de disques : décor clinique, aux murs peuplés des jolies surprises de pochettes de CD bien choisis. Au fond, une structure blanche et noire, aux parois recouvertes par des gravures agrandies d’un vieux dictionnaire néerlandais. On en pousse la porte, le casque d’un lecteur de CD baladeur sur les oreilles et on est dans le Juke-box de Françoiz Breut : des chansons et de petits livres de dessins, créations uniques d’une jeune artiste rare.
Il y a quelques années, on la vit arriver, les bras derrière le dos, pour chanter quelques vers de quelques chansons avec Dominique A, une des plus belles révélations françaises des années 90 - et son compagnon d’alors. Puis, en 1997, elle a sorti un premier album solo, révélation d’une voix pure et simple, d’un univers riche et désolé. Au même moment, elle signait la pochette de la compilation Comme un seul homme, qui voyait toute une génération d’artistes de rock et de pop français se mobiliser au profit du don d’organe. Car la chanteuse est aussi illustratrice, pratiquant deux passions : "Le dessin est un travail solitaire, je travaille chez moi, dit-elle. Pour la musique, je suis obligée de collaborer, d’échanger des idées." Elle n’en est pas encore au choix cornélien entre le pinceau et le micro : "Peut-être que ça viendra un jour. Pour l’instant, ça se complète bien."
Alors qu’elle a sorti cet hiver un nouveau et magnifique disque, Vingt à trente mille jours (chez Lithium-Labels), elle en illustre des chansons dans Juke-box : un dessin sciemment naïf, presque enfantin, avec de belles formes rondes, des animaux souriants, des personnages aux jambes en bâton. Mais il y a aussi une mélancolie et une précision d’évocation qui éveillent de tout autres sensations que l’amusement et la légèreté. Présentés dans des boîtes elles-mêmes illustrées, les livres de Françoiz Breut jouent de l’épaisseur de la matière, du grain de la peinture et du dessin, des constrastes entre son trait et des pages de dictionnaires ou de livres de grammaire utilisées pour les décors. Elle s’avoue passionnée par Winsor McKay, le génial créateur de Little Nemo in Slumberland, il y a un siècle, mais aussi par Brueghel et Bosch, dont on retrouve le foisonnement de détails et d’observation dans ses travaux, par les enlumineurs du Moyen Age ou l’illustrateur américain Maurice Sendack. En écoutant Les bras le long du lit, Nord, La nuit repose, Il n’y a pas d’hommes dans les coulisses, Silhouettes minuscules, Sans souci ou Silhouettes minuscules, on en découvre la transcription graphique qu’elle en a faite : "Comme j’ai commencé à travailler sur les livres au début de l’enregistrement du disque, ce sont des images qui me sont venues après avoir travaillé les chansons. J’ai choisi les textes qui suscitaient le plus d’images. Mais les gens qui visitent l’exposition ne sont pas forcés d’avoir le casque sur les oreilles en regardant les livres. Je ne veux pas imposer mon interprétation des chansons."
Et, même, l’exposition pourrait vivre sans elles. La structure octogonale dans laquelle on s’enferme pour regarder les livres (un peu plus de deux mètres de diamètre et de hauteur sous plafond), la délectation de manipuler ces objets uniques et superbes, la richesse de l’illustration, tout cela constitue une expérience rare, à la fois assez éloignée et très accordée à la carrière musicale de Françoiz Breut. Avec sa chemise à carreaux, sa façon singulière de poser le bras sur la perche de son micro, son regard à la fois scrutateur et enjoué, elle est une chanteuse plutôt unique. Trente et un ans, une solide énergie dans un petit corps de femme moderne et un chant presque neutre, à la fois paisible et réaliste, nostalgique et enjoué. Françoiz Breut ressemble aux femmes de son époque, mélancolique sans le moindre sentiment de défaite. Sur scène, entourée d’un solide groupe rock emmené par Dominique A lui-même, la petite jeune femme en noir tétanisée de trac est devenue une très efficace chanteuse. Certes, elle est tentée par le monochrome, le jansénisme, le camaïeu gris commun à beaucoup d’artistes éclos ces dernières années, mais elle est capable de beaux énervements, d’envolées toutes droites dans l’émotion et le partage. Elle chante de beaux dessins.
Tournée: Le 6 mars à Saint Germain en Laye, le 7 à Caen, le 8 à Paris (Elysée Montmartre, avec Calexico), le 9 à Strasbourg , le 10 à Annecy.
Disque : Vingt à trente mille jours, chez Lithium-Labels.