QUAND LES BARS COMPILENT
Paris, le 1er mars 2001 - Depuis le succès des compilations de Claude Challes, Buddha bar, la grande mode du moment est de sortir des CD qui retracent l’ambiance musicale d’un endroit : bars branchés, restaurants où se presse le tout Paris et même hôtels de luxe. Les ventes s’envolent, les lieux font leur publicité à peu de frais et les DJs de restaurant deviennent aussi connus que les DJs de clubs. Analyse subjective d’un embourgeoisement musical.
La dernière tendance électro
Paris, le 1er mars 2001 - Depuis le succès des compilations de Claude Challes, Buddha bar, la grande mode du moment est de sortir des CD qui retracent l’ambiance musicale d’un endroit : bars branchés, restaurants où se presse le tout Paris et même hôtels de luxe. Les ventes s’envolent, les lieux font leur publicité à peu de frais et les DJs de restaurant deviennent aussi connus que les DJs de clubs. Analyse subjective d’un embourgeoisement musical.
Etes-vous lounge ?
Après la house music, la techno et la jungle, voici venu le temps de la lounge music, la musique de salon. Terme qui ne veut absolument rien dire puisque tous les courants musicaux électroniques aux rythmes lents peuvent entrer dans cette catégorie : ambiant, dub, trip hop, nu-jazz ou jungle-jazz. En bref, voilà encore une invention pour faire du neuf avec du vieux. Mais derrière cette mode se cache une nouvelle façon d’appréhender les nouvelles musiques.
Quand les premiers rassemblements électroniques ont déferlé en France à la fin des années 80, ils se déroulaient dans des hangars, dans des champignonnières ou encore dans des châteaux. Ces fêtes avaient lieu loin, très loin du centre ville et des clubs. Le public désertait alors les discothèques trop chères, et préférait les rave party, plus tolérantes et surtout musicalement révolutionnaires par rapport au son joué dans les clubs. Dix ans plus tard, la musique électronique est définitivement sortie de l’underground, elle passe en radio, se vend très bien et brasse donc beaucoup d’argent.
Du coup, cette « mauvaise fille » a fait son entrée dans les lieux branchés de la capitale au grand dam des puristes mais pour le plus grand plaisir des aficionados qui après une décennie de militantisme techno peuvent enfin écouter cette musique dans des conditions plus confortables. Finies donc les soirées révélées quelques heures avant leurs débuts, les annulations de dernière minute, l’intervention des forces de l’ordre, la galère du petit matin pour rentrer chez soi. Vive les fauteuils moelleux des clubs, le champagne au bar et le métro qui vous ramène à la maison. Les héros sont fatigués et veulent du confort, Monsieur !
Il faut aussi garder à l’esprit qu’un grand nombre de ravers de la première heure qui avaient à peine 20 ans en 90, ont désormais intégré le monde du travail et souvent, dans la musique électronique : journalistes, chefs de projet dans les maisons de disques, DJs, patrons de labels ou encore organisateurs de soirées, bref tout ceux qu’on appelle les VIP de l’électronique.
La musique électronique, moins radicale qu’à ses débuts et son public plus installé, ont donc, tous deux évolué.
Before plutôt qu’after !
Les afters, ces fêtes qui commencent à cinq heures du matin, c’est bon quand on a vingt ans, mais à partir d’un certain âge, on préfère les before, les soirées d’avant-club. Et les befores se passent aujourd’hui, généralement, dans des bars ou des restaurants qui ont tous leurs propres DJs et une sono digne de ce nom. Vous imaginez bien qu’on ne prend pas un verre entre amis ou que l'on ne dîne pas au restaurant en écoutant du hardcore ou de la trance mais plutôt de la lounge music. La boucle est bouclée.
Rentabilité, publicité et cocooning
C’est Claude Challe qui a lancé la mode des compilations lounge en 1999 avec sa série Buddha bar suivi de très près par Stéphane Pompougnac de l’Hôtel Costes et sa compilation éponyme. Au départ, cet ancien DJ des Bains-Douches de Paris pensait en vendre quelques centaines, aux clients de l’hôtel. Vu le nombre d’intéressés, Stéphane Pompougnac propose aux frères Costes, les patrons du lieu, l’idée d’une compilation qu’ils acceptent sans trop y croire. Aujourd’hui, près de 200.000 CD ont été vendus dans le monde et un quatrième volume est en préparation. Le succès de cette série est dû, bien sûr, aux excellents choix musicaux de Pompougnac mais aussi à son éclectisme : Cesaria Evora côtoie Pink Martini et I :Cube. De plus, cette série a bénéficié d’un bouche à oreille extraordinaire. C’est le CD rêvé pour un dîner entre amis, de l’entrée au dessert.
Après le succès de cette série, tous les bars et les restaurants branchés se sont infiltrés dans la brèche : publicité à bon compte, augmentation et rajeunissement de la clientèle et faibles coûts de production. Le Buddha bar, l’Hôtel Costes, la Mezzanine de l’Alcazar, le Barramundi, La Gare, le Barrio Latino, Le Plaza club et bientôt le Barbara Bui café et le Wax ont bien compris que compiler des morceaux connus sur un CD permet de faire sa publicité à peu de frais, notamment à la radio, le prix de chaque morceau étant très peu cher.
Coté musical, le pire côtoie l’insignifiant. Pour une compilation Costes ou La Mezzanine, combien de Barramundi, ethno-ambiant sans intérêt ou de Buddha bar aux relents babas-cool dépassés ? Certaines compilations nous donnent l’impression d’être coincés dans un ascenseur.
Ce phénomène parisien dépasse largement les frontières de la capitale puisqu’on entend aujourd’hui ces compilations un peu partout en Europe. On a l’impression ainsi d’être dans ces fameux endroits, qui exercent une attirance certaine. Finalement, ce système de compilation est rodé de telle manière que tout le monde y trouve son compte : les lieux font leur publicité, les labels gagnent de l’argent sans se ruiner (ils n’ont pas de frais de studio pour les artistes) quant aux principaux intéressés, les musiciens, ils voient venir à eux une nouvelle manne financière et surtout un moyen de faire connaître leur travail.
Ne soyons donc pas trop exigeants envers ces compilations et cette mode du «musically correct», puisque après tout, ces compilations permettent aux musiques électroniques d’entrer dans les salons et de gagner un nouveau public.
Willy Richert
A se procurer :
Hôtel Costes par Stéphane Pompougnac, volume 1,2 et 3 (Pschent/Wagram music)
La Gare, Lounge station sélectionné par DJ Sonic et DJ Terry (Night and Day)
La Mezzanine de L’Alcazar sélectionné et mixé par Fabrice Lamy et Shade (Wagram music)