Henri Salvador

C’est une belle histoire. Et nous, on aime bien les belles histoires. Celle d’un jeune homme de 83 ans qui a propulsé son dernier album en tête des hit-parades. Avec des chansons qui, dit-il, auraient tout juste été des « face B » il y a quinze ans. Henri Salvador, vous nous le réclamez. Le 3 novembre dernier, nous vous avions proposé une jolie entrevue par Véronique Mortaigne. Peut-être un peu tôt, et loin aujourd’hui dans nos archives ! Depuis, Riton a eu ses Victoire de la Musique (Meilleur disque de l’année, Meilleur interprète masculin). Le revoici donc, « à la une ».

La Victoire de la jeunesse !

C’est une belle histoire. Et nous, on aime bien les belles histoires. Celle d’un jeune homme de 83 ans qui a propulsé son dernier album en tête des hit-parades. Avec des chansons qui, dit-il, auraient tout juste été des « face B » il y a quinze ans. Henri Salvador, vous nous le réclamez. Le 3 novembre dernier, nous vous avions proposé une jolie entrevue par Véronique Mortaigne. Peut-être un peu tôt, et loin aujourd’hui dans nos archives ! Depuis, Riton a eu ses Victoire de la Musique (Meilleur disque de l’année, Meilleur interprète masculin). Le revoici donc, « à la une ».

Paris, le 3 novembre 2000 - Le nouvel album de Henri Salvador est un événement. D'une part parce que notre homme, du haut de ses 83 ans, est un artiste au parcours riche et varié et à l'humeur toujours joviale. D'autre part, parce que son album Chambre avec vue est un délice pour l'ouïe, une grande réussite musicale, dont la plupart des maîtres d'œuvres sont de jeunes auteurs-compositeurs. Cela valait bien une chronique suivie d'un entretien avec le plus célèbre rire de France.

Rares sont les albums qui dégagent une seule et unique atmosphère. On pourrait avancer sans trop se tromper qu'ici le farniente mélancolique est parfaitement maîtrisé. Autant le dire tout de suite, Chambre avec vue est de ces albums que l'on écoute et que l'on réécoute. Dix fois plutôt qu'une. En boucle. Délaissant, inerte, la pile des autres disques à chroniquer. Un jour peut-être. Cette atmosphère, elle vous enveloppe dès les premières notes de Jardin d'hiver qui ouvre le nouvel album de Henri Salvador sur treize perles. A 83 ans, Henri Salvador roucoule. Quelques accords de guitare, à la façon d'une bossa, (Tom Jobim n'aurait-il pas, en écoutant ce Français chanter, ralenti la samba pour lui donner sa couleur nostalgique ?) que viennent accompagner la voix suave de ce papy crooner.

C'est d'ailleurs ce premier titre amené par une jeune parolière, Keren Ann Zeidel qui décida Henri Salvador à se lancer dans l'aventure, entraîné par un jeune producteur Marc di Domenico. Pour une fois qu'on lui en donnait les moyens, le chanteur tenait à donner à ce nouvel album une tonalité bossa-nova. Pari réussi. Le swing nonchalant de ce passionné de jazz se plaquant divinement sur des mélodies taillées sur mesure, même, et surtout, lorsqu'il reprend un standard de Paul Misraki, Je sais que tu sais, son compagnon de route des jeunes années au sein de l'orchestre de Ray Ventura. Une trompette, légèrement en retrait mais à la fois si présente sur Chambre avec vue, le lent débit de ces quelques mots d'amour murmurés, tel est Henri Salvador, inspiré par la seule chose qui vaille la peine d'être chanté à savoir l'amour.

Au contraire de beaucoup de productions où l'on cherche la plus réussie des chansons, on cherche en vain ici la plus mauvaise. Sans jamais la rencontrer. Ce Tour de manège est un véritable enchantement tout comme Jazz Méditerranée à l'ambiance musicale surannée des années 40. Et si parfois les textes pêchent par leur uniformité, on comprend d'autant mieux les réserves de Henri Salvador à l'égard des jeunes paroliers actuels "qui veulent à tout prix imiter la manière d'écrire des Américains, reléguant la spécificité de la langue française". Pourtant il a fait confiance à des gens comme Art Mengo qui signe deux titres, Thomas Dutronc et Arnaud Garoux sur Mademoiselle, joliment enlevé, ou encore Françoise Hardy qu'il retrouve pour un duo qu'il a lui même provoqué. Il ne nous reste plus qu'à fermer les yeux et se souvenir de l'interprétation de Dans mon île, reprise un soir à l'Olympia, il y a de cela quelques années, par Caetano Veloso, le chanteur brésilien ayant fait sienne la douce mélodie de Henri Salvador. Si, comme on a pu le lire dans la presse, le chanteur s'est fait un réel plaisir à faire cet album, il faut qu'il sache que le plaisir est partagé pour qui sait savourer les bonnes choses.

Pascale Hamon

Chambre avec vue (Source/Virgin)
Vient de sortir également Maladie d'amour, chez Frémeaux et associés, l'intégrale des chansons d'Henri Salvador de 1942 à 1948.

Henri Salvador en six questions :

Quel fut votre premier regard sur Paris ?
Je suis arrivé à sept ans à Paris et j'étais terriblement déçu parce que pour moi, Paris était une ville toute blanche. Quand mon père recevait les catalogues de la Samaritaine, les monuments dessinés dessus étaient blancs et en arrivant à Paris, j'étais époustouflé. Qu'est-ce que c'était que cette ville toute noire ? Puis, j'ai appris à aimer Paris, comme elle était. Et quand Malraux a fait ravaler Paris, j'ai eu un coup au cœur. Dans mon premier rêve, Paris était blanc, puis je l'ai vue noire, puis Malraux l'a faite grise. Mais j'aime quand même Paris. Comme je suis venu tôt en France, on peut dire que je suis un titi de couleur. Enfant, j'étais copain d'un petit Parigot qui parlait l'argot. Je suis tombé amoureux de cette langue que je ne comprenais pas mais qui me faisait rire. J'ai découvert Paris avec ce petit garçon qui me racontait plein de choses. Je me suis enrichi de cette ville.

En revanche, vous n'avez pas commencé votre carrière en France ?
J'ai commencé pour ainsi dire ma carrière au Brésil. J'étais là-bas avec Ray Ventura. Et j'ai appris le métier sur les scènes du Brésil. Ça marchait très fort, j'étais devenu une grande vedette et il paraît même que Caetano Veloso a fait une chanson en mon honneur. Alors, je crâne… C'est un pays merveilleux et surtout musical. Pour moi, la base de la musique, c'est le Brésil. En un, je mets le Brésil, en deux l'Afrique du sud et en trois, l'Amérique grâce au jazz dont je suis un fan.

Est-ce vrai que vous auriez influencé la création de la bossa ?
Mon ami Sergio Mendes m'a raconté que dans un film italien, Ropa di Notte, j'avais fait une chanson, Dans mon île, et quand Jobim a vu ce film au Brésil, il a dit : "Mais voilà ce qu'il faut faire, il faut ralentir le tempo de la samba, mettre des accords très modernes et en faire un nouveau rythme". Et c'est grâce à ça que la bossa est née. J'étais tellement fier.

Comment se passait votre travail avec vos auteurs favoris ?
Avec Maurice Pon, qui est toujours vivant heureusement, et qui a écrit toutes ces très jolies chansons que j'ai écrites pour les enfants dont Une chanson douce, je lui chantais par téléphone une mélodie qu'il repiquait sur un magnéto. Il écrivait les paroles et il me rappelait. Il avait beaucoup de talent. Et il y a eu les trois autres, mes trois compères, Bernard Dimey, Bernard Michel et Boris Vian évidemment, qui malheureusement ont tous les trois disparus. Je me suis senti très seul. Vian et Dimey étaient les plus rapides. On trouvait une idée et en cinq minutes, Vian faisait les paroles. Il suffisait d'une idée. Ça venait de conversations qu'on avait. Et Dimey, il pouvait discuter avec vous en vers, en improvisant. D'ailleurs quand il a écrit Syracuse, il était complètement saoul. J'ai improvisé les premières notes et hop, il avait fini les paroles avant que je finisse ma musique.

Et avec Paul Misraki ?
Paul Misraki, c'est la base de la musique pour moi. J'étais tellement influencé par ses accords que lorsque je composais, j'avais peur de refaire du Misraki. C'était un monsieur absolument délicieux, un intellectuel un musicien et un merveilleux ami. C'est d'ailleurs pour cela que dans le disque, je rends hommage à une de ses chansons qu'il a faite il y a très très longtemps, Je sais que tu sais. Je l'ai rencontré chez Ray Ventura. C'était l'âme de l'orchestre. Et derrière des chansons populaires comme Tout va très bien, madame la marquise, les gens ignorent que c'était un très grand compositeur, qu'il écrivait des musiques de films de toute beauté.

Comment est né votre dernier disque ?
Grâce à une chanson de Léo Ferré, Avec le temps, que j'avais interprétée dans une émission de télé. Une amie m'a appelé pour me dire "Avec la voix que vous avez, je vous interdis de prendre votre retraite. Il faut que fassiez un autre disque." Moi, je lui ai répondu que je préférais aller aux Bahamas jouer aux boules. Mais elle m'a répondu : "Non, non, non, je m'en occupe !" Et elle m'envoie une chanson de Keren Ann et Benjamin Biolay, le Jardin d'hiver. Evidemment, je tombe sous le charme et c'est là que toute l'aventure phonographique a commencé. Cette jeune fille écrit un français comme j'en ai toujours rêvé, comme Vian ou Dimey, un très joli français. Je lui ai donc demandé si elle avait d'autres titres. J'ai alors rencontré Marc di Domenico qui a trouvé deux chansons de Art Mengo qui me convenaient. Puis, il m'a demandé des musiques. Je n'étais pas convaincu mais j'ai écrit quelque chose et il a trouvé ça bon. On a alors cherché des paroliers, avec beaucoup de mal. C'est donc Keren Ann qui a écrit très vite les paroles de Chambre avec vue. On a aussi demandé à Françoise Hardy d'en écrire une ce qu'elle a accepté avec beaucoup de gentillesse, ainsi que de la chanter avec moi. Et j'ai un texte de son fils, Thomas Dutronc. En fin de compte, on a essayé de trouver des couleurs. On a donc fait ces treize chansons qui ont l'air de plaire au public, alors qu'autrefois, ces chansons auraient été des faces B.

Propos recueillis par Véronique Mortaigne